Santé : peut-on prévoir son avenir ?

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Par Pauline Leduc

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

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© BlackJack3D / iStock

Votre ADN, une boule de cristal pour décrypter à long terme votre état de santé ? Le point avec deux spécialistes qui mettent à mal les idées reçues.

Et si un simple test vous permettait de découvrir ce que votre ADN vous réserve ? C’est la promesse vendue par des sociétés américaines privées à des particuliers, via internet. Avec moins de mille dollars, tout un chacun peut donc recevoir une analyse détaillée qui liste les maladies auxquelles il est potentiellement prédisposé et quantifie les risques qu’il en soit atteint.

Pour cela, ces entreprises s’appuient sur le séquençage ADN, une analyse personnalisée de nos informations génétiques.

« Cette démarche permet, avec une prise de sang ou un test salivaire, de lire les 3 milliards de bases chimiques qu’il y a sur nos chromosomes. Et donc de voir quelles sont les mutations et les modifications de l’ADN qui peuvent entraîner des conséquences sur l’état de santé », détaille Laurent Alexandre, chirurgien urologue et président de la société de séquençage ADN, DNA vision.

Encadrement

En France, cette pratique est interdite en vente libre pour les particuliers. Elle est strictement encadrée, comme tous les tests génétiques, par la loi de bioéthique de 2004. Cette dernière prévoit que les tests ne soient entrepris qu’à des fins médicales – ciblées sur une maladie en particulier – ou de recherches scientifiques, et dans le cadre d’une procédure judiciaire (enquêtes criminelles…).

« Ils sont soumis à de nombreuses étapes et il y a toujours une rencontre préalable avec le généticien qui informe le patient (sur la maladie, sa transmission, ses manifestations et ses traitements). Ce dernier doit ensuite signer un papier de consentement éclairé et dispose de quelques jours pour réfléchir avant de passer le test. Il pourra décider jusqu’au bout de ne pas en connaître les résultats », explique Alexandra Henrion Claude, généticienne et directrice de recherche à l’Inserm*.

Idées reçues

Pourquoi un tel cadre ? Parce que la génétique est à prendre avec beaucoup de précautions. Les progrès de la recherche posent de plus en plus de questions éthiques, comme le souligne Laurent Alexandre : « Nous serons bientôt capables de modifier le génome** des enfants à naître, et des expérimentations ont déjà été menées en Chine. Le bébé à la carte n’est plus un fantasme et cela interroge : jusqu’où ira-t-on ? ».

Au-delà de l’éthique, Alexandra Henrion Caude s’inquiète de la mauvaise compréhension « de ce qu’on est en droit d’attendre des tests génétiques ». Avec la démocratisation du séquençage ADN, et « la publicité qu’il y a autour », l’idée selon laquelle notre avenir est écrit dans nos gènes se répand. Sur ce point les deux spécialistes sont unanimes : non, car ce que nous sommes est le résultat de l’interaction entre notre ADN et notre environnement (ce que nous mangeons, vivons, respirons, buvons…).

On peut ainsi déterminer les risques d’un individu à contracter un cancer, mais rien ne garantit qu’il en sera atteint. De plus, insiste Alexandra Henrion Caude : « L’ADN est encore pour nous comme des hiéroglyphes, nous n’en comprenons qu’environ 1 % ». Et, renchérit Laurent Alexandre, « il faudra séquencer l’ADN de millions de personnes avant de pouvoir vraiment interpréter les données fournies ».

Si l’analyse de notre code génétique peut, dans des cas particuliers, sceller notre avenir (découverte de myopathies, maladie de Huntington ou trisomie 21), elle ne doit pas être perçue comme une boule de cristal infaillible.

* Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale.
** Génome : ensemble des gènes portés par les chromosomes d’une espèce.

Témoignage

« Les bénéfices me semblent moins élevés que les risques » - Alexandra Henrion Caude - Généticienne et directrice de recherche à l’Inserm.

« Toute vérité ne me semble pas bonne à dire, surtout lorsque c’est une vérité dont on ne mesure pas forcément l’impact sur la santé. En ayant recours à un test génétique vendu sur internet, sans un accompagnement médical, une personne peut découvrir, toute seule chez elle, qu’il existe une mutation dans un de ses gènes que l’on connaît comme étant porteur de maladie. Sa vie peut alors basculer parce qu’elle sait qu’elle est à risque sans que rien ne permette de dire si la maladie se déclenchera.

C’est une épée de Damoclès qu’elle portera toute sa vie et qui peut influencer ses choix, sa vie et sûrement sa santé : le stress est connu pour générer, révéler ou même aggraver des affections. Alors qu’elle recherchait au départ “un risque zéro”, cela devient finalement contreproductif. Il faut aussi savoir que nous sommes tous porteurs de mutations dans nos gènes, il n’existe donc pas de normalité en la matière.

Passionnée de génétique, je milite pourtant pour un “droit à ne pas savoir” qui va devenir de plus en plus difficile à affirmer dans le siècle à venir. Compte tenu de tout ce que l’on ne maîtrise pas, les bénéfices me semblent bien moins élevés que les risques. »

 

« Cela permettra de prédire l’arrivée des pathologies et éventuellement de les prévenir » - Laurent Alexandre - Chirurgien urologue et président de la société de séquençage ADN, DNA vision.

« À l’heure actuelle, les bénéfices réels d’un séquençage ADN intégral sont presque nuls en France. Puisque les médecins et le système de santé ne sont pas encore aptes à interpréter les 100 000 gigas de données brutes que cela engendre pour chaque individu. Mais dans un avenir proche, cela permettra de prédire précisément l’arrivée des pathologies et éventuellement de les prévenir ou les corriger le jour où les modifications génétiques seront politiquement acceptées et techniquement parfaites.

Pourquoi souhaiter savoir qu’on est atteint d’une maladie génétique incurable ? Eh bien pour faire bouger les choses. Car si vous apprenez cette information à 20 ans, il vous reste 30 ans avant de la contracter et c’est un temps suffisant pour éradiquer la maladie. Je crois à une nouvelle solidarité génétique qui permettra de se cotiser, chacun à son échelle, avec tous les autres malades du monde, pour accélérer la mise au point d’un traitement.

On peut même imaginer l’équivalent d’un Téléthon pour ce genre de situation. Nous ne le savons pas encore mais les cent prochaines années vont révolutionner notre rapport à la maladie et à la mort puisque de nombreuses innovations – notamment génétiques – sont en marche. »

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