Addictions : les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, des lieux pour se libérer

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Par Charlotte de l'Escale

Temps de lecture estimé 7 minute(s)

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Les Csapa aident les personnes dépendantes, quelle que soit leur addiction (alcool, tabac, héroïne, sexe, jeu ou autres). Ils les accueillent gratuitement, sans jugement, et en leur laissant toute latitude quant à leurs soins.

« L’addiction est définie par l’incapacité à être libre de choisir », définit Jean-Michel Doyen, directeur de Csapa (centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) à Albi (81). Que la personne joue, fume, boive, consomme de la cocaïne ou des écrans, elle est dépendante si elle a perdu sa liberté, si elle n’a plus le contrôle. Les Csapa accueillent « toutes les personnes qui ont un problème avec une conduite addictive », explique-t-il. Cela regroupe celles qui souffrent de dépendance à un produit ou à un comportement et leur entourage.

La philosophie de ces lieux est de laisser les patients libres. Ils sont libres de se sevrer, d’entrer dans un processus de réduction des risques ou de ne rien changer. Ce sont également eux qui choisissent leur thérapeutique. « Nous leur permettons de redécouvrir une part de liberté. » Ces lieux ont un accueil bienveillant et dénué de jugement. Ils sont confidentiels et financés par une dotation annuelle de l’Assurance maladie (les personnes qui s’y rendent n’ont pas d’argent à sortir de leur poche). Les patients sont environ 30% à y venir d’eux-mêmes, 30% sur recommandation du corps médical, 30% sur décision de justice (obligation de soin), et 10% par le biais de travailleurs sociaux ou de structures spécialisées.

La réduction du risque a supplanté l’abstinence à tout prix

Créés en 2010, ces centres de soins sont le résultat du regroupement des centres de cure ambulatoire en alcoologie et des centres de soins et de suivi en toxicomanie. L’Etat a estimé que séparer les addictions par produit n’avait plus de sens. Les Csapa traitent les addictions en fonction de l’individu et non en fonction du produit. Ils l’accueillent en ambulatoire, lors d’entretiens qui durent de 10 minutes à 1 heure.

C’est à la même période que l’idée de la réduction du risque a supplanté celle de l’abstinence à tout prix. Jean-Michel Doyen explique : « Avant, on considérait que l’abstinence était l’objectif à atteindre. Aujourd’hui, on n’est plus tout à fait dans ce schéma-là. Globalement, si vous prenez des produits, si vous êtes bien avec la dose que vous avez et si vous arrivez à le gérer correctement tant au niveau de la santé qu’au niveau de la conduite automobile, des relations familiales ou du milieu professionnel, il n’y a pas de problème. » Cette évolution dans le traitement des addictions est héritée de la prévention sida : on a cessé de demander aux toxicomanes de se sevrer à tout prix, pour leur conseiller d’utiliser du matériel stérile.

Le choix de la réduction des risques est celui de l’efficacité. A la base, le produit ou le comportement qui suscite l’addiction joue un rôle positif dans la vie du patient. Il peut lui permettre d’occulter un traumatisme, de gérer son stress, d’être plus efficace… « Il faut imaginer quelqu’un qui consomme des produits depuis vingt ans et à qui on dit qu’il va devoir arrêter toute sa vie. Souvent, ça ne marche pas. Le passage par la réduction du risque va permettre éventuellement une abstinence. Mais ça ne sera pas l’objectif initial. Il faut que la personne soit d’abord bien dans sa tête, pour réfléchir sur sa santé, après », argumente Jean-Michel Doyen.

Les Csapa regroupent cinq professions

Les Csapa sont présents dans tous les départements (1). Ils sont portés par des structures hospitalières, ou, pour la majorité, par des associations — c’est le cas de celui que dirige-Jean-Michel Doyen, qui est géré par l’Anpaa, Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie. Ils regroupent cinq professions qui travaillent en étroite collaboration les unes avec les autres :

- le médecin. « On a des médecins, parce qu’il y a des prescriptions médicales », précise le directeur de Csapa. Le craving est le besoin irrésistible de consommer du produit. Certains médicaments le réduisent : le Baclofène pour l’alcool, la Méthadone pour l’héroïne. Quand le patient est délivré du craving, il peut penser à d’autres choses qu’au produit : à sa famille, à sa santé, à son avenir professionnel…  Les médecins peuvent aussi prescrire un séjour en milieu hospitalier, par exemple. Dans les Csapa, ils sont tous formés en addictologie ;

- le psychologue. Il permet au dépendant d’effectuer un travail au long court. Il conduit des entretiens individuels et de groupe. Il identifie les problèmes liés à la personnalité du patient, à son environnement, etc. Il aide aussi l’entourage du dépendant, pour qui la situation est très difficile, et qui a besoin d’apprendre à aider la personne dépendante ;

- le travailleur social. Il s’agit d’assistants sociaux, d’éducateurs spécialisés et de conseillers en économie sociale et familiale. Jean-Michel Doyen raconte : « Les personnes qui arrivent dans nos centres ont un parcours très compliqué. Par exemple, une alcoolo-dépendance peut prendre quinze ans à se mettre en place. Mais durant ce parcours, elles peuvent perdre leur permis, ce qui peut entraîner la perte de leur emploi, puis de leur famille, de leur maison… Le travailleur social intervient pour permettre l’accès aux droits » ;

- le chargé de prévention. La prévention a été rendue obligatoire dans les Csapa par la loi de santé de 2016. Les chargés de prévention vont à l’extérieur du centre : dans des établissements scolaires, des entreprises, par exemple ;

- le secrétaire d’accueil. Pour Jean-Michel Doyen, « la qualité de l’accueil est essentielle. Passer la porte d’un Csapa peut être difficile. Le secrétaire d’accueil fait l’interface entre l’établissement et le patient. Il a des capacités d’accueil, de reformulation, d’absence de jugement, de propositions diverses et variées, pour rentrer en contact avec le patient ».

Hôpitaux et associations, des partenaires des Csapa

L’équipe travaille en lien étroit avec les hôpitaux, les centres de cure et les associations de type Alcooliques anonymes. Elle suit ses patients tout au long de leur parcours de santé. « Quand le patient nous dit qu’il n’y arrivera pas s’il reste chez lui, nous lui indiquons la possibilité de la cure hospitalière », explique Jean-Michel Doyen. Là, il ne sera pas lâché par le Csapa, qui continuera de suivre son dossier pendant sa cure et où il pourra retourner ensuite. Quant aux associations d’entraide, elles jouent un rôle complémentaire de celui du Csapa. Elles ne sont pas dans le soin, mais elles apportent un soutien fort aux personnes. « Quand un patient ne va pas bien, il peut essayer de nous appeler à minuit, il va tomber sur le répondeur. En revanche, s’il appelle son parrain des Alcooliques anonymes, il lui répondra. »

Selon le directeur du Csapa d’Albi, la grande majorité des patients sont des hommes : « Globalement, 75% de nos patients sont des hommes. C’est une constante nationale, toutes addictions confondues. » Mais de nouvelles structures sont en train d’émerger, dans lesquelles la majorité des patients sont des femmes (lire encadré ci-dessous).

(1) Vous pouvez consulter l’annuaire des Csapa à cette adresse : https://annuaire.action-sociale.org/etablissements/readaptation-sociale/centre-de-soins-accompagnement-prevention-addictologie-197.html

Une expérience nouvelle : les microstructures.

Une expérience est en cours en Occitanie, dans les Hauts-de-France et en Ile-de-France. Il s’agit d’un dispositif de microstructures. Des psychologues et des travailleurs sociaux des Csapa se rendent une fois par semaine dans des maisons de santé regroupant des médecins généralistes, pour recevoir des patients ayant un problème d’addiction. Jean-Michel Doyen explique : « On est en appui, par le biais de notre médecin addictologue, sur les parcours de santé. Ce ne sont pas les gens qui viennent chez nous, c’est nous qui allons à leur rencontre. Et là, la majorité de notre public est féminin. » Cette expérimentation a deux ans et demi. « Cela permet de toucher un nouveau public qu’on ne soupçonnait pas. C’est passionnant parce que c’est la future médecine, je pense. Et pour vous donner une idée des retours, dans une des maisons de santé, on a des médecins qui nous ont dit : “Je soignais des gens depuis vingt ans pour des symptômes : je n’avais jamais pensé qu’il y avait une conduite addictive derrière.” Cela démarre, c’est ça qui est passionnant. Par rapport à la médecine classique, qui a des siècles et des siècles, nous on est des petits jeunes ! », s’enthousiasme Jean-Michel Doyen.

Par Charlotte de l'Escale

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