Centres dentaires : les dérives du low cost

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Par Peggy Cardin-Changizi

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Dans un contexte où certains Français renoncent aux soins dentaires, jugés trop chers, de nombreux centres dentaires low cost ont investi les grandes villes axant leur communication sur le prix. Mais des scandales sanitaires ont mis en lumière les dérives du secteur. On fait le point sur ce phénomène.

Les centres dentaires « low cost » font désormais partie du système français de santé. Apparues dans les années 2010, ces structures qui proposent des prix bas ont récemment poussé comme des champignons, notamment dans les grandes villes. Le pays compterait aujourd’hui plus de 1 150 centres dentaires low cost*. Ils emploient quelque 5 000 chirurgiens-dentistes sur les 42 000 en France. Et le dynamisme du marché devrait perdurer au rythme de 200 nouveaux centres chaque année.

Au départ, répondre à un besoin de soins dans les déserts médicaux

Une bonne nouvelle ? « Pas vraiment, répond Patrick Solera, président de la fédération des syndicats dentaires libéraux. Ils ont vu le jour grâce à la loi Bachelot de 2009. Celle-ci avait pour but de faciliter l’implantation de structures de soins - sous statut associatif à but non lucratif - dans les zones sous-dotées en chirurgiens-dentistes. C’est-à-dire là où il y avait un besoin très clair de la population de se faire soigner, à des tarifs plus abordables. Mais le système a rapidement dérivé puisqu’en réalité, ils se sont implantés dans des zones à forte densité de dentistes et auprès d’une population disposant peut-être d’un peu plus de pouvoir d’achat. »

Les centres low cost investissent les grandes agglomérations

La progression a été fulgurante. « Ce qu'il faut comprendre, c'est que pour pouvoir vivre, ces centres doivent disposer d’un vivier de patients suffisant, de praticiens à recruter et d’une marge financière, poursuit le Dr Alain Vallory, secrétaire général du syndicat Les chirurgiens-dentistes de France. C’est pour cela qu'ils ne s'installent pas à la campagne et qu’ils investissent les centres-villes des grandes agglomérations où les trois conditions sont réunies plus facilement. »

Pour accompagner leur développement, les établissements se sont appuyés sur une communication assez agressive. « Cela passe par la mise en avant d’une enseigne commerciale et d’un logo faciles à identifier, précise Emmanuelle Noémie-Sharps, directrice nationale santé dentaire chez VYV3**. Ces dispositifs de communication, auxquels les dentistes libéraux et mutualistes n’ont pas le droit, constituent le franchissement d’une limite légale qui finalement dessert la profession ».

Privilégier le 100 % santé pour des prix plafonnés

Mais l’offre de ces centres est-elle toujours attractive ? « Depuis 2020, et la loi 100 % santé, il n’existe quasiment plus de différences de tarifs car les prix de la plupart des actes sont plafonnés, avec un reste à charge de 0 euro, répond Patrick Solera. Il n’y a plus que sur l’implantologie et quelques prothèses spécifiques (comme les facettes) où une différence existe. »

L’intérêt pour ces centres, qui avaient pris l’habitude de mettre en avant leurs prix bas, réside donc désormais dans la pratique de ces actes rémunérateurs, ne relevant pas du panier 100 % santé.

Des praticiens plus jeunes et salariés

Dans ces centres low cost, le profil des praticiens est un peu particulier. Ils sont certes diplômés, parfois avec un diplôme obtenu à l’étranger qui permet d’exercer en France, mais ils sont surtout salariés.

« Ce statut offre un poste clé en main et une certaine sécurité, résume le Dr Alain Vallory. Avant, il était rare de s’installer directement après ses études. On commençait plutôt par travailler chez des confrères avec une forme de compagnonnage. Cela permettait notamment de mûrir son projet et de déterminer si on voulait se lancer ». Avec des contrats de salariés, les centres séduisent ainsi des jeunes praticiens tout juste qualifiés et assez peu expérimentés ».

Un business model basé sur la rentabilité

Mais ce n’est pas la formation des praticiens qui a déclenché les scandales que l’on connaît. C’est bien la logique et la recherche de profit au détriment du patient et de la qualité des soins.

« Plusieurs centres dentaires associatifs ont repris les recettes des enseignes qui ont fait scandale, à savoir des associations de façades qui empochent de l’argent via des sociétés "écrans" quelquefois basées à l’étranger », détaille Patrick Solera. Le syndicat a d’ailleurs déposé un dossier auprès du ministre de la Santé et des commissions parlementaires afin de réglementer ces pratiques.

De nombreux risques pour les patients

C’est dans cette optique que 30 députés ont déposé le 25 janvier 2022 une proposition de loi portée par Thibault Bazin (LR), membre de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. « Nous assistons à une ubérisation du système de soin, détaille le parlementaire de Moselle. Il y a donc un besoin urgent d’adapter notre arsenal, législatif et réglementaire, face à ce nouveau genre de centres de santé ».

Parmi les mesures proposées : la nomination d’un chirurgien‑dentiste référent au sein de chaque centre, l’obligation pour le gestionnaire de transmettre à l’Agence régionale de santé (ARS) les copies des contrats de travail et des diplômes des chirurgiens‑dentistes salariés.

« Les risques sont nombreux pour les patients, poursuit le député. Tant sur la qualité des soins (on ne sait pas à qui on a affaire), la pertinence des soins (certains ne sont pas nécessaires et pourtant facturés au patient et à l’Assurance maladie) et les sommes demandées. C’est pour cela que l’on demande également le rétablissement de l’agrément qui autorise l’exercice de l’activité dentaire à la suite d’une visite de conformité ».

Contrôles et restrictions d'installation

Un travail commun doit être mené entre toutes les entités concernées par le développement de ces structures : Assurance maladie, ARS, ordre des chirurgiens-dentistes, Trésor Public, législateur… « On est à la veille de nouveaux gros scandales », avertit le député. L'Assemblée nationale a pourtant voté un encadrement renforcé sur les procédures d’ouverture et d’installation de ces cliniques et des sanctions en cas de manquements.

En 2022, plus de 80 établissements ont été dans le viseur de l’Assurance maladie. Les pouvoirs des directeurs des Agences régionales de santé ont également été renforcés. « Depuis 2018, ils peuvent fermer tout centre de santé s’ils constatent des manquements à la qualité et à la sécurité des soins ou le non-respect de la réglementation en vigueur », insiste Thibault Bazin. Ainsi, de nombreux établissements ont été fermés, laissant des patients sur le carreau. Organisés dans des collectifs de défense, ces derniers se battent désormais pour obtenir indemnisations et réparations.

« Malheureusement, il n’y a pas que le dentaire qui soit touché par ces dérives. Toute la médecine technique (ophtalmologie, cardiologie…) est concernée, conclut Emmanuelle Noémie-Sharps. Dès lors qu’il y a une demande de soins qui n’est pas satisfaite, associée à des problèmes de prise en charge, il y a un risque que des opérateurs viennent répondre à ces besoins, de manière plus ou moins légale ».

* Selon Xerfi.

Par Peggy Cardin-Changizi

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