Christophe Debien est psychiatre au CHU de Lille mais aussi passionné de films, de séries et de littérature. Avec son livre et la chaîne Youtube Le PsyLab, qu’il coanime, il donne au grand public des clés pour mieux comprendre la psychiatrie et pouvoir en parler simplement.
Pourquoi partir de personnages de fiction pour évoquer les troubles psy ?
Christophe Debien : La plupart des représentations que l’on a sur la psychiatrie et les troubles psychiques sont fausses. On les puise en général au cœur de ce qui est le plus accessible : le cinéma et les séries. Il m’a paru assez pertinent de mélanger les deux pour donner des clés de lecture par rapport aux films et aux séries, et ainsi redresser un certain nombre de stigmates sur la psychiatrie. C’est ce que nous faisons depuis 2014 avec Geoffrey Marcaggi, un confrère psychiatre, sur notre chaîne youtube Le Psylab. Ce livre en est un peu le prolongement. Chaque chapitre part d’un personnage de cinéma ou de série pour expliquer le trouble psy dont il souffre : John Rambo et le stress post-traumatique, Tony Soprano et la dépression, Carrie Matheson (Homeland) et les troubles bipolaires…
C’est une manière de transmettre des connaissances. Sur Internet, nous avons choisi Youtube, un support léger et très grand public. L’objectif est de donner aux gens des clés pour réfléchir, s’interroger sur leurs représentations. Ainsi, un méchant schizophrène meurtrier au double visage, cela fonctionne très bien dans un scénario. Mais ça ne correspond pas à ce qu’a mon voisin qui vit avec cette maladie lourde à porter, je ne vais pas en rajouter en le repoussant en raison de clichés caricaturaux.
Est-ce difficile de casser les clichés sur la psychiatrie ?
C.D. : C’est surtout long, car ces idées reçues sont enracinées depuis très longtemps – je le montre dans ce livre- elles existent dès les débuts du cinéma. Celles-ci commencent à vaciller mais c’est récent. Une des leçons des confinements est que l’on commence à se préoccuper du psychisme des gens. J’ai rarement vu autant d’articles sur la santé mentale des Français, sur le nombre de dépressions, de suicides présumés…
Certaines associations comme les Journées de la schizophrénie organisent maintenant des événements avec une certaine visibilité. Un film récent, La foret de mon père, de Vero Cratzborn parle de la bipolarité sous l’angle des conséquences pour les familles. ll y a quelque chose qui bouge. On ne parlait même pas de santé mentale avant et c’est positif.
Mais la stigmatisation existe toujours. Elle éloigne les gens du soin et c’est grave. Cela entraîne des retards au diagnostic, à la prise en charge ; ça laisse la place à pas mal de charlatans et ce sont les personnes atteintes de ces maladies qui trinquent.
Comment parler des troubles psy en famille, entre proches ?
C.D. : On peut justement s’appuyer sur une série, un film qu’on a vu. Cela permet de partir de la fiction, et de dire « ça me ressemble, je l’ai déjà vécu ». Utiliser un média comme les séries peut faciliter la parole avec les jeunes. Par exemple, la série américaine 13 reasons why (Netflix) bat en brèche, dès son titre, une des idées reçues sur le suicide : il suffirait d’une chose pour déclencher un passage à l’acte. Or, c’est toujours un ensemble de causes cumulées qui mène au geste suicidaire. Cette série a connu un succès énorme, a fait beaucoup parler et on a observé une augmentation du recours aux lignes de soutien chez les plus jeunes dans le monde. Et l’enjeu est énorme car beaucoup de maladies mentales commencent entre 15 et 25 ans.
Il y a aussi des choses à ne pas dire, comme à quelqu’un qui souffrirait de dépression…
C.D. : Les phrases comme « reprends-toi, bouge-toi » ne servent à rien. Précisément, une personne en dépression souffre de ne pas réussir à se bouger ! C’est assez humain d’être tenté de les utiliser, car on veut aider. On confond le rôle du proche (aider, soutenir) et celui du soignant. Or, quand l’un fait le travail de l’autre, c’est une catastrophe.
Constatez-vous déjà les conséquences psy de la situation sanitaire actuelle ?
C.D. : Il y a une augmentation des nouveaux patients, avec des troubles anxieux et dépressifs. C’est très difficile à quantifier car on ne tient pas bien les comptes en psychiatrie. Ce sont des impressions cliniques, mais elles remontent de partout.
Ce constat est cependant à nuancer. Je m’occupe d’un réseau national de prévention de la récidive suicidaire, le dispositif Vigilans. On observe une tendance avec autant d’idées suicidaires mais moins de passage à l’acte. Il n’y a pas davantage de suicides qu’à la même période en 2019.
C’est toujours à la sortie des crises que l’on constate les conséquences psychologiques. Or, on est encore en plein dans cette crise sanitaire. C’est plutôt en juin prochain que l’on pourra en voir les véritables effets.
* Nos héros sont malades, Christophe Debien, ed. HumenSciences, 2020