Comment surmonter le bégaiement ?

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Par Sandrine Letellier

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En France, le bégaiement concernerait plus de 700 000 personnes. Ce trouble de l'élocution se caractérise par une altération de la fluidité et de l'enchaînement du discours. Il doit bénéficier d'une prise en charge précoce adaptée à chaque patient (orthophonie, suivi psychologique…), car il peut être à l'origine d'une profonde souffrance.

Quel est le point commun entre Albert Einstein, Marilyn Monroe, Gérard Depardieu, Julia Roberts ou encore Napoléon 1er ? Toutes ces célébrités ont été confrontées au bégaiement. Cette liste, loin d'être exhaustive, prouve qu'un trouble du langage n'empêche pas les plus belles réussites. Pour autant, le bégaiement, qui provoque facilement le rire, la gêne, voire le rejet, peut constituer un frein à une vie sociale et professionnelle. Sentiment de honte, stress à l'idée d'être incompris… À tel point que, dans les cas les plus sérieux, le bégaiement peut aussi donner droit à une Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH). Aussi est-il essentiel de consulter dès les premières manifestations d'une parole empêchée.

Le bégaiement est un trouble complexe de l'élocution

« Il s'agit d'un trouble du rythme de la parole. Parler demande davantage d'effort musculaire. Mais d'autres signes sont souvent associés, comme des tensions respiratoires, des mouvements involontaires du visage ou du corps, un regard figé, une hypersalivation, explique le Dr Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel, médecin ORL, phoniatre, psychologue et linguiste. La spécialiste participe à Bénéphidire, le premier programme de recherche français lancé en 2021 spécifiquement consacré au bégaiement, domaine dans lequel elle travaille depuis plus de 40 ans. « Chez la personne atteinte de bégaiement, cela entraîne alors une obsession de la forme du propos au détriment de sa compréhension, ce qui altère sa communication avec son interlocuteur. » Cela se traduit par des répétitions de mots et de syllabes, une prolongation des sons, l'usage fréquent de mots d'appui comme « bon », « ben » et « mais » …
« Le bégaiement est un trouble complexe dans lequel les aspects neurologiques et psychologiques interagissent constamment, souligne Catherine Daubié, orthophoniste à Nancy, déléguée de l'Association Parole Bégaiement pour la Meurthe et Moselle. Il ne doit cependant pas être considéré comme une maladie à proprement parler. » Le bégaiement ne se manifeste généralement pas lorsqu'on parle seul, ni quand on chante ou lorsqu'on joue au théâtre. Fréquemment, la simple peur de bégayer entretient le trouble : c'est en quelque sorte l'interlocuteur qui fait bégayer…

Véronique, 55 ans : « Je regrette de ne pas avoir consulté plus tôt »

Véronique s'est mise à bégayer vers l'âge de 7 ans. Son frère aîné, lui aussi, souffre de bégaiement. « Le sujet était considéré comme tabou dans ma famille et j'ai dû attendre des années pour réaliser combien je souffrais de ce trouble, témoigne Véronique. J'ai passé une grande partie de ma vie à élaborer des stratégies épuisantes pour tenter de le dissimuler. À l'âge de 11 ans, dès mon entrée au collège, j'optais tour à tour pour le silence, le changement de mots lorsque certains s'avéraient trop durs à prononcer, l'anticipation des phrases à formuler… Tous ces stratagèmes avaient, entre autres inconvénients, celui de délivrer des messages qui n'étaient pas exactement ceux que je souhaitais. » Il y à 4 ans, suite à des problèmes de dépression et de burn-out, le bégaiement de Véronique s'intensifie au point de la mettre de plus en plus en difficultés dans l'exercice de son métier d'enseignante. Aussi, elle décide de consulter. En l'espace d'un an seulement de suivi psychologique et orthophonique, son bégaiement va considérablement s'atténuer.

Qui peut être concerné par le bégaiement ?

« Le bégaiement touche trois à quatre fois plus d’hommes que de femmes et peut survenir chez les personnes de tous les âges, précise l'orthophoniste. Mais ces symptômes apparaissent le plus souvent dans l'enfance lors de la mise en place du langage, généralement entre 2 et 6 ans, avec une prédominance entre 3 et 5 ans. » Beaucoup d'enfants qui bégaient présentent un déficit attentionnel (trouble se caractérisant par une incapacité à maintenir son attention, des difficultés à finir une tâche ou à patienter et une agitation incessante) qui perturbe la relation à l'autre ou des troubles de la motricité, de la coordination ou encore une dyspraxie (troubles des apprentissages de certains gestes et activités). Il n'est pas rare qu'un enfant qui bégaie rencontre aussi des difficultés d'apprentissage de la parole ou un retard de langage. « Dans 75 % des cas, les troubles déclarés dans l'enfance ne persisteront pas à l'âge adulte, rassure le Dr Monfrais-Pfauwadel.
À ce jour, les causes du bégaiement s'éclaircissent de plus en plus car les recherches en génétique et en neuro-imagerie ont permis ces dernières années de grandes avancées dans la compréhension de ce trouble. Plusieurs études ont démontré le rôle d'une composante génétique multiple et l'existence d'un terrain familial propice à sa survenue. » L'une d'entre elles, publiée dans une publication scientifique de référence (le Journal of the American Medical Association (Jama)*), confirme ce que l'on sait depuis maintenant une vingtaine d'années : les personnes atteintes de bégaiement présentent des altérations neuronales dans des régions cérébrales liées au langage et à l'attention. Avec l’âge, le cerveau peut créer des circuits dits « de compensation » qui feront disparaître le bégaiement, mais pas dans tous les cas. Mais d'autres facteurs, combinés à cette fragilité constitutionnelle, pourraient jouer un rôle non négligeable dans l'apparition du bégaiement, comme le fait d'avoir une personnalité sujette à l'anxiété sociale et au stress ou perfectionniste.
Des antécédents familiaux de bégaiement, un bilinguisme exigeant l'alternance de deux langues au sein d'une même famille, un niveau d'exigence éducative trop élevé, un contexte affectif difficile (deuil, divorce...) … peuvent également jouer un rôle.

Les différentes façons de vivre le bégaiement

Le bégaiement est vécu différemment selon les personnes concernées. Certaines, bien que non majoritaires, l'assument complètement et participent même au Concours d'éloquence organisé depuis quatre ans par l'Association Parole Bégaiement (APB) au Théâtre Bobino à Paris et depuis cette année dans d’autres villes (Lille, Lyon, Nantes et Bordeaux). D'autres, en revanche, vivent la parole empêchée avec des sentiments de frustration, de honte, de culpabilité et d'infériorité. « Il n'y a pas un, mais des bégaiements, insiste Catherine Daubié. De plus, la souffrance de la personne bègue n'est pas proportionnelle à ses accidents de parole. »
Acheter un pain au chocolat au lieu d'une tarte au citron parce qu'on pressent une difficulté sur le mot « tarte » ou « citron », rater un examen ou un entretien d'embauche à trop vouloir masquer son bégaiement, devoir attendre qu'une salle se vide pour oser poser une question…. Lorsque les moindres faits et gestes de la vie quotidienne s'apparentent à un parcours du combattant jalonné d'astuces plus ou moins convaincantes, il devient, dès lors, nécessaire de consulter.

Des thérapies adaptées à l'âge et à l'histoire du patient

Les techniques de rééducation pratiquées par les orthophonistes spécialisés restent le premier recours dans la plupart des cas. « Il faut bien avoir conscience qu'il est plus facile de faire disparaître un bégaiement avant l'âge de 6 ans, indique Catherine Daubié. On utilise des thérapies adaptées. Il y a notamment le programme Lidcombe, qui vise à rendre la parole de l'enfant plus fluide grâce à des commentaires adaptés, mais aussi le programme Parent Child Interaction (PCI) qui amène les parents à agir sur l'environnement de l'enfant de façon à améliorer la fluence de sa parole. Mais quelle que soit l'option envisagée, l'implication parentale est essentielle pour obtenir de bons résultats. »
Plus tard, il s'agit surtout d'aider le patient à vivre avec son bégaiement et à lui donner moins d'importance. Associées à la prise en charge orthophonique, les thérapies cognitivo-comportementales, l'hypnose ou encore la sophrologie peuvent aussi aider à gérer le stress et le malaise qui parfois se développent autour de ce trouble de l'élocution. Dans le cas d'un bégaiement faisant suite à un événement traumatique, l'approche psychologique, menée par un psychologue ou un psychiatre, pourra être envisagée. Les patients isolés dans leur souffrance peuvent aussi se rapprocher des associations pour trouver écoute, soutien et conseils avisés.

Prudence avec l'approche médicamenteuse

« Il n'existe pas de substance qui soit spécifiquement élaborée pour lutter contre le bégaiement, alerte le Dr Monfrais-Pfauwadel. En revanche, certains traitements médicamenteux peuvent parfois être envisagés ponctuellement lorsque le bégaiement est associé à des troubles de l'attention, des attaques de panique ou des tics, tout en sachant qu'ils peuvent entraîner des effets secondaires parfois plus gênants que les accrocs de parole. Ainsi, les anxiolytiques, très rarement prescrits chez l'enfant, entraînent somnolence et troubles de la mémoire immédiate… »
On sait aujourd'hui que le bégaiement est aussi associé à un excès de production dans le cerveau d'une hormone, la dopamine. Aussi la recherche se focalise-t-elle désormais sur toute une gamme de médicaments pouvant agir à différents niveaux sur la dopamine**. « Là encore, il faut bien évaluer la balance bénéfices/risques, insiste le Dr Monfrais-Pfauwadel. Car ces médicaments, souvent prescrits pour la schizophrénie et les troubles bipolaires, sont loin d'être anodins. Ils nécessitent des précautions de prescription avant d'être utilisés pour espérer améliorer la fluence des personnes bègues. »

Le bégaiement peut être aussi le symptôme de certaines maladies

Le bégaiement se manifeste quelquefois dans des maladies neuro-dégénératives comme le syndrome de Gilles de la Tourette qui se caractérise par la présence de tics multiples et vocaux, mais aussi la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques. Il peut aussi être la conséquence d'un accident vasculaire cérébral (AVC), d'un traumatisme crânien ou d'une tumeur. Il nécessite alors une prise en charge adaptée à la pathologie en lien avec son apparition.

*Jama, janvier 2017
**Frontiers in Neurosciences, février 2021.

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