Covid-19 : les Français ont-ils confiance dans la science ?

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Par Patricia Guipponi

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Depuis le début de la pandémie, les scientifiques bénéficient d'une visibilité renforcée. Toutefois, la multiplicité des avis, parfois contradictoires, et l’inédit de la situation font que certains Français doutent. Au point d’éprouver de la méfiance envers la science ?

La science a pris une part prépondérante dans le paysage français avec la crise sanitaire du Covid-19. Le Conseil scientifique, organe indépendant composé de chercheurs et médecins, éclaire la décision publique de lutte contre le coronavirus depuis mars 2020. L’Etat s’appuie sur ses avis pour agir autant dans le domaine de la santé que sur les questions de la vie scolaire ou la tenue d’élections par exemple.

Les scientifiques sont aussi en première ligne dans les débats publics. Ils ont pris l’habitude de s’exprimer sur la pandémie dans les médias et sur les réseaux sociaux. Controverses et cacophonies s’y sont souvent illustrées et continuent de l’être aujourd’hui. Ajoutées à l’inconnu de la situation, à la profusion d’informations et de données sanitaires parfois en contradiction, elles ont contribué à générer de l’incompréhension et de la confusion auprès du grand public.

Cela a-t-il pour autant écorné la confiance que les Français ont envers la science et instauré de la méfiance et de la défiance à son encontre ? Ce sujet fait l’objet d’enquêtes d’opinions et a largement été évoqué lors d’un colloque sur l’expertise scientifique face aux crises de la Haute autorité de santé.

84 % des Français sondés font confiance aux scientifiques

Mathias Girel, enseignant-chercheur à l’Ecole normale supérieure (ENS) et directeur du Centre d’archives en philosophie, histoire et édition des sciences au CNRS, revient sur cette méfiance en se référant à l’étude Les Français et la science, publiée le 16 novembre 2021 par l’Université de Lorraine. « Les scientifiques sont bien placés sur l’échelle de la confiance accordée par les Français (selon 84 % des sondés). La défiance est en revanche plus marquée envers les politiques et la presse. »

Le baromètre Ipsos-Sapiens, publié en décembre 2020, relève cependant que les Français sont assez critiques envers la science. Ces derniers sont de plus en plus tentés de remettre en question l’honnêteté du travail scientifique. 48 % des sondés considèrent « qu’on peut faire confiance aux scientifiques pour dire la vérité » dans les recherches qui peuvent avoir des répercussions sur leur santé. Ils étaient 53 % en 2013.

Mathias Girel le reconnaît. Il existe bien une inquiétude « liée à de la supposée défiance » en décalage toutefois avec le comportement réel des Français. On ne peut pas nier les mouvements réfractaires, le développement des théories du complot mais on ne peut pas parler de lame de fond envers l’expertise scientifique. « Quand on regarde le taux de vaccination, on est plus ou moins autour des 80 % selon les tranches d’âges. Cela ne traduit pas, au moins pour toute la période qui précède les rappels, une défiance massive à l’égard de la science et de ce que l’État dit du bénéfice-risque du vaccin anti-Covid. »

Le doute est le moteur de la recherche

Il est légitime que le grand public se sente parfois « déboussolé devant cette confusion générale de controverses, parfois artificielles, mettant en avant des personnalités pétries de certitudes », relève le physicien Etienne Klein*, directeur de recherches au Commissariat de l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Cependant, lui aussi observe que « la confiance en la science demeure pour la majorité silencieuse des Français. »

Il est normal que les Français se posent des questions. « On est face à une nouvelle pandémie depuis deux ans. Il reste encore tant à comprendre. Des variants apparaissent avec des caractéristiques qui ne sont pas connues instantanément », reprend Mathias Girel de l’ENS. Et dans ce contexte, comme l’indique Etienne Klein, « les véritables experts scientifiques, lorsqu’ils sont interrogés, répondent parfois « qu’ils ne savent pas », ce qui conduit à ce qu’ils soient médiatiquement détrônés par des pseudo-experts qui, eux, font semblant de déjà savoir. »

Le physicien rappelle que la recherche s’inscrit dans une temporalité non compressible et dans le doute. « C’est son moteur, son combustible ». Cela ne va pas de pair avec la vitesse de l’actualité, la course à l’audimat, le manque de recul. « Une prime est ainsi donnée aux orateurs et à tous ceux qui affirment au-delà de ce qu’ils savent », souligne Etienne Klein. Pourtant, si exprimer des ignorances n’est pas confortable en temps de crise, « c’est ce qu’il faudrait davantage faire », ajoute Mathias Girel.

Laisser plus de place à la pédagogie

Force est de constater que la place laissée à la pédagogie est assez réduite dans les débats publics. Etienne Klein le déplore. « Pourquoi ne prend-on pas davantage le temps d’expliquer, s’agissant des traitements, ce qu’est, par exemple, un essai randomisé**, ou un essai en double aveugle*** ? Il en est de même pour le terme exponentiel**** que l’on a employé à tort et à travers sans proprement le définir. »

Mathias Girel précise que les scientifiques sont suffisamment ouverts et pédagogues pour décortiquer le jargon attenant à leur métier et les actions qu’ils mènent quand on les sollicite à cette fin. « La vulgarisation fait partie de leur fonction. Ils expliquent tout au long de leur parcours leurs travaux à leurs pairs mais aussi à des non-spécialistes avec qui il faut faire preuve de simplicité et de clarté. »

Et Etienne Klein de citer en référence la conférence de presse télévisée du 28 mars 2020 où ministres et médecins se sont exprimés simplement sur « ce qu’ils savaient et ce qu’ils savaient ne pas savoir. C’est comme cela qu’il faut faire plutôt que de laisser courir des controverses prématurées. » Ce dernier se félicite que beaucoup de Français se passionnent pour la science et cherchent à s’informer en lisant une presse plus spécialisée et fiable. « Cela leur permet d’être plus prudents dans leurs avis et de prendre du recul ».

La confiance et les sondages

En octobre 2021, le Conseil d’analyse économique publiait un focus sur la confiance dans les scientifiques par temps de crise, analyse effectuée notamment par les économistes Daniel Cohen et Yann Algan. L’étude menée sur 12 pays (dont la France), de mars à décembre 2020, démontre que la confiance portée aux scientifiques est un déterminant essentiel dans le respect des mesures sanitaires (restrictions, gestes barrière…) et la volonté d’être vaccinées.

Cette confiance a chuté en France comparée à d’autres pays où elle est restée stable. Une partie des Français pensant que les scientifiques pouvaient cacher des choses. « Il faut se demander de quelle confiance on parle. La confiance envers ceux qui disent les choses ? Ou la confiance envers les activités de la science qui pourraient permettre de sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvons ? », observe le physicien Etienne Klein. « On les mélange souvent et cela crée une ambiguïté dans la façon d’interpréter les sondages ».

*Etienne Klein a publié Le goût du vrai aux éditions Tracts Gallimard.

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