Dépistage et prise en charge des troubles auditifs : tous concernés !

Publié le

Par Émilie Gilmer

Temps de lecture estimé 9 minute(s)

Illustration
© Getty Images

Selon l’OMS, d’ici à 2050, une personne sur quatre dans le monde sera confrontée à des problèmes d’audition. Les troubles auditifs sont pourtant insuffisamment pris en charge, faute de dépistage. Ce qui a un impact considérable sur la vie quotidienne et l’état de santé global des individus. Des solutions existent. Décryptage.

L’Association nationale de la presse mutualiste (ANPM) – dont Essentiel Santé Magazine est membre – a organisé, le mercredi 8 décembre, une rencontre sur le thème de l’audition.

Les professionnels présents ont rappelé l’intérêt de la réforme du 100 % santé, qui constitue un signal fort pour la prise en compte des troubles auditifs. Ils ont néanmoins souligné l’urgence qu’une campagne de prévention soit menée par les pouvoirs publics. Avec un objectif : inciter chacun à prendre conscience de l’importance et de la fragilité de son capital auditif. Ils ont aussi appelé de leurs vœux un dépistage systématique (notamment chez les jeunes, les actifs et les seniors) pour un traitement précoce et efficace de la déficience auditive, à tout moment de la vie.

Cet événement était organisé en partenariat avec la Fondation Pour l’Audition et le réseau mutualiste Écouter Voir, qui compte près de 1 200 centres optiques et d’audition sur l’ensemble du territoire. Il a réuni le professeur Bernard Fraysse, président de la société mondiale des ORL, Marc Greco, directeur technique audition chez Écouter Voir et président du Syndicat national de l’Audition Mutualiste (SYNAM), et Denis Le Squer, directeur général de la Fondation Pour l'Audition.

Déficiences auditives : quelle est l’ampleur du phénomène en France ?

10 % de la population française est aujourd’hui atteinte par une forme de malentendance, soit environ 6 millions de personnes. « Plus de deux tiers des personnes de plus de 65 ans sont touchées par une perte d’audition et trois enfants sur 1 000 naissent avec une surdité sévère ou profonde », précise Denis Le Squer, directeur général de la Fondation Pour l'Audition. Un sujet grave et important, mais qui demeure largement ignoré du grand public », indique l’expert.

Sans compter un autre phénomène qui s’ajoute à la perte d’audition et incommode 20 millions de Français : les acouphènes.

C’est dans ce contexte que Françoise Bettencourt Meyers, Jean-Pierre Meyers et la Fondation Bettencourt Schueller ont pris l’initiative, en 2015, de créer La Fondation Pour l'Audition. Leur ambition : fédérer les différents acteurs du secteur (chercheurs, médecins ORL, associations, etc.) afin de faire progresser la cause de la santé auditive. « Trois objectifs ont été fixés, précise Denis Le Squer. Soutenir et accélérer la recherche scientifique et médicale, améliorer le quotidien des personnes sourdes et malentendantes et sensibiliser le grand public sur la nécessité de préserver son capital auditif. »

Perte d’audition : quelles sont les répercussions sur le quotidien ?

Non traitée, la perte d’audition a des impacts importants tant sur la vie sociale, professionnelle et familiale que sur l’état de santé des personnes. « Elle diminue la capacité à communiquer, remarque Denis Le Squer. Cela peut entraîner un déclin cognitif, l’isolement et la dépression. »

Plusieurs scientifiques ont en effet établi un lien entre déclin cognitif et pertes auditives chez le sujet âgé. En témoigne une étude réalisée par des chercheurs américains de l’université Johns-Hopkins située à Baltimore : elle indique qu’une personne a deux fois plus de risques de développer une maladie de la mémoire à partir d’une perte de 25 décibels, voire une démence sénile à partir d’une perte de 40 décibels.

S’agissant des enfants, la déficience auditive entrave l’acquisition du langage. « C’est pourquoi l’enjeu d’une prise en charge dépasse largement la question de l’audition, remarque Bernard Fraysse, président de la société mondiale des ORL. Il concerne aussi la dépendance, la fragilité pour les personnes âgées et la scolarisation pour les enfants. »

Quelles sont les causes d’une déficience auditive ?

Les causes de la déficience auditive sont multiples. « Il existe des surdités liées à l’âge et des surdités dites génétiques, précise Denis Le Squer, directeur général de la Fondation Pour l'Audition. Mais certaines surdités peuvent aussi survenir suite à un traumatisme acoustique sonore et à une attaque bactérienne, virale ou ototoxique (consécutive à la prise de médicaments). »

La perte auditive liée à l’âge (appelée presbyacousie) est la cause la plus fréquente de consultation. Il n’en reste pas moins que, comme le rappelle la Fondation Pour l’Audition, le bruit est aujourd’hui l’ennemi numéro un de l’audition et entraîne des pertes auditives chez des individus de tous âges.

Selon une étude co-pilotée par l’ADEME et le CNB, plus de 25 millions de personnes en France sont affectées par le bruit des transports, dont 9 millions sont exposées à des niveaux critiques pour leur santé.

Par ailleurs, selon un sondage de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, rapporté par l’INRS*, 67 % des actifs français se disent dérangés par le bruit sur leur lieu de travail. Quant aux jeunes, ils sont très nombreux à risquer une déficience auditive par exposition au bruit dans un cadre récréatif (concerts, écoute musicale prolongée, etc.).

Ainsi, toujours selon la Fondation Pour l’Audition, le capital auditif est aujourd’hui endommagé de façon plus rapide et plus précoce. Or, lorsque celui-ci est épuisé, il n’est pas possible de le rétablir.

Quels sont les signes qui doivent alerter ?

« Le premier signe auquel il faut être attentif est la difficulté à entendre dans le bruit, alerte le professeur Bernard Fraysse. De nombreux malades témoignent du fait qu’ils n’entendent plus leurs petits-enfants quand ils vont au restaurant par exemple. » Que se produit-il ? L’environnement sonore du restaurant et la parole se mêlent et le cerveau n’arrive pas à faire la différence entre les deux. « Il est important que ce premier symptôme déclenche une première consultation », ajoute l’expert.

Par ailleurs, les experts le soulignent : il faut être très vigilant lorsque les symptômes sont unilatéraux, c’est-à-dire lorsqu’un seul côté n’entend pas bien. Il peut alors s’agir d’une pathologie organique qui suppose un traitement spécifique.

« La prise en charge doit se faire le plus tôt possible », souligne Denis Le Squer. Chez les seniors, on observe que la prise de conscience d’une déficience auditive est en moyenne de 7 à 10 ans. « Il est pourtant primordial que les publics réalisent la fragilité et l‘importance de leur capital auditif, ajoute l’expert. En cela, la mise en œuvre du 100 % santé (la réforme du « reste à charge zéro », pour l’amélioration de l’accès aux soins) est un signal très fort. » Car, même si l’appareillage n’est pas la seule solution, cette réforme a le mérite de faire parler du sujet…

Comment améliorer le dépistage des troubles auditifs ?

« L’une des avancées majeures de ces dernières années est le dépistage systématique des nouveau-nés à la maternité, qui rend possible un parcours de soins structuré, indique le professeur Bernard Fraysse, président de la société mondiale des ORL. Il faut maintenant faire la même chose chez les adultes ! C’est-à-dire organiser de manière plus active le dépistage pour une prise en charge précoce. »

Les professionnels misent notamment sur la diffusion auprès du grand public de l’application Höra** créée par la Fondation Pour l’Audition. Cet autotest, mis au point grâce à la constitution d’un comité d’experts scientifiques et médicaux, est un outil de repérage des troubles auditifs simple et gratuit. Il se télécharge sur tablette et smartphone et permet de mesurer en 3 minutes la compréhension de la parole dans le bruit. Son but : repérer les surdités bilatérales (quand les deux oreilles sont concernées) ou unilatérales (quand une seule oreille est concernée).

« L’une des vertus de cette application est de pouvoir se tester et se retester régulièrement, remarque Marc Greco, directeur technique audition chez Écouter Voir. En cela, elle constitue un bon levier pour faire entrer les patients au bon moment dans le parcours de soins et réduire ainsi le temps de latence de 7 à 10 ans avant la prise de conscience de la déficience. »

Vers qui se tourner pour une prise en charge adaptée de son trouble auditif ?

Dans le cadre du parcours de soins coordonné, une ordonnance est nécessaire pour obtenir une aide auditive. Le médecin généraliste oriente le patient vers un médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL), spécialiste des maladies et de la chirurgie de l’oreille notamment. Celui-ci établit un diagnostic et prescrit le cas échéant une aide auditive. Il appartient ensuite à l’audioprothésiste de préciser les caractéristiques de l’aide auditive dont le patient a besoin.

Pour le professeur Bernard Fraysse, la lisibilité du parcours de soins reste néanmoins à améliorer, avec un objectif prioritaire à atteindre : la pertinence de la prescription. « Elle se définit par l’adéquation entre le niveau de perte auditive, les attentes du patient et le type de prise en charge proposée (prothèse, implant par traitement chirurgical, etc.), rappelle-t-il. Il est important de se poser les bonnes questions : Est-ce que toutes les techniques ont été utilisées ? Est-ce que la prothèse est idéale dans ce type de surdité ? etc. »

À noter qu’en levant le frein du reste à charge, la mise en place du 100 % santé a entraîné une hausse de la vente des aides auditives. Selon le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem), 918 749 aides auditives ont été vendues en France 2020 (+ 3,45 % par rapport à 2019).

Quant au suivi proposé aux personnes appareillées, les experts s’accordent sur l’intérêt de la téléaudiologie, c’est-à-dire le réglage des appareils auditifs à distance. Une manière d’assurer une disponibilité plus grande de rendez-vous auprès d’un audioprothésiste compétent.

« Lorsque le 100 % santé a été bâti, la téléaudiologie n’était pas encore au point, mais elle a largement fait ses preuves depuis, remarque Marc Greco, directeur technique audition chez Écouter Voir. Aussi, notre souhait est d’intégrer davantage cette innovation dans les parcours de soins, sans pour autant supprimer les rendez-vous physiques. Nous dialoguons sur ce sujet avec les pouvoirs publics. »

*l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.
Tous les champs sont obligatoires.

Ce site utilise un système anti- spams pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

A découvrir