Douleurs chroniques : le pari d'une prise en charge (presque) sans médicament à Nantes

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Par Pauline Hervé

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Le centre d'évaluation et de traitement de la douleur du CHU de Nantes propose aux patients souffrant de douleurs chroniques et rebelles une prise en charge pluridisciplinaire et personnalisée. Elle fait la part belle à l'activité physique, au soutien psychologique et aux médecines complémentaires. Objectif : mieux vivre avec la douleur.

« C'étaient des douleurs diffuses dans tout le corps, inimaginables, très difficiles à supporter. J'ai bien cru que j'allais finir en fauteuil roulant ». Cela fait vingt ans que Katia est suivie pour sa fibromyalgie au centre d'évaluation et de traitement de la douleur du CHU de Nantes. On estime que, comme elle, 20 % des Français souffrent de douleurs chroniques (qui durent plus de 6 mois) et « rebelles », autrement dit résistantes à un traitement de première intention. C'est pour eux que les équipes du centre nantais travaillent à une prise en charge particulière : pluridisciplinaire et avec le moins de médicaments possible.

Le professeur Julien Nizard, rhumatologue, algologue et gériatre, dirige ce service Douleur, soins palliatifs et de support, qui reçoit 7 500 patients par an. Ici, algologues, médecins de rééducation, kinésithérapeutes, médecins acupuncteurs, médecins manuels, médecins du travail ont un même objectif : aider les patients douloureux à avoir la meilleure vie possible. « Je préfère dire "mieux vivre" plutôt que "vivre avec", pour ne pas rester focalisé sur la douleur précise le Pr Nizard. Certains patients n'ont pas moins mal mais vont mieux quand même. On ne promet d'ailleurs jamais de faire disparaître complètement la douleur. »

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Le service Douleur, soins palliatifs et de support du CHU de Nantes reçoit 7 500 patients par an. Crédit photo : DR.

Sortir du « tout-médicament » pour prendre en charge les douleurs chroniques

Les personnes qui arrivent au centre d'évaluation et de traitement de la douleur ont derrière elles un passé médical compliqué. Beaucoup n'ont pas été bien traitées avant. « Le problème avec la douleur chronique, c'est qu'une consultation demande du temps. C'est précisément ce qui manque chez les médecins généralistes, les kinés, qui sont vus en première intention », explique Julien Nizard. Le responsable du centre pointe aussi du doigt le manque de formation sur la prise en charge du patient douloureux en France, dont l'enseignement universitaire ne date que de 2002.

Conséquence fréquente : ces patients se voient prescrire des médicaments « puissants mais inappropriés, qui vont les rendre encore plus malades », souligne le Pr Nizard. Or, « dans la douleur chronique, les médicaments, c'est le moins possible et le moins longtemps. Car le risque est d'avoir davantage d'ennuis (effets secondaires, dépendance) que de bénéfices ». C'est pourquoi au centre d'évaluation et de traitement de la douleur, on mise sur de nombreuses méthodes complémentaires pour sortir du « tout-médicament ».

Programme personnalisé et autonomie pour les patients

Ici arrivent des personnes souffrant de rachialgies (douleurs de la colonne vertébrale, dos ou cou) qui constituent une bonne moitié des patients, mais aussi de céphalées chroniques, de fibromyalgies et leurs douleurs diffuses, de douleurs neuropathiques, d'algodystrophie, d'arthrose

Chacun va suivre le même parcours, avec une hospitalisation de cinq jours minimum en semaine. Au programme, après un examen médical complet, des consultations avec les différents spécialistes pour des approches complémentaires de la douleur, des activités entre patients (marche, relaxation, mobilisation corporelle active), et de l'éducation thérapeutique. L'objectif est que le patient puisse repartir avec un programme personnalisé et les outils nécessaires pour être plus autonome dans la gestion de sa douleur.

« La douleur chronique, c'est comme une chaise : si les quatre pieds ne sont pas également solides, elle ne tiendra pas. Pour nous, comme recommandé par la Haute Autorité de santé, ces quatre pieds sont des médicaments adaptés et l'éducation thérapeutique du patient, la rééducation par le mouvement, l'axe psychologique et l'aspect socioprofessionnel », détaille le Pr Nizard.

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Le Pr Julien Nizard, rhumatologue, algologue et gériatre, dirige le service Douleur, soins palliatifs et de support de Nantes. Crédit photo : DR.

Trouver un bien-être grâce à une approche psychocorporelle et psychologique

L'éducation thérapeutique consiste à détailler et expliquer au patient son ordonnance de médicament et à l'impliquer personnellement. « 80 % des gens qui viennent chez nous n'ont aucune idée de l'action des médicaments qu'on leur prescrit contre la douleur », poursuit-il. L'objectif est de sortir d'une situation passive où l'on avale des médicaments à une attitude plus active avec, par exemple, des mouvements à faire chez soi chaque jour, répétés avec une kinésithérapeute lors de l'hospitalisation.

L'approche psychocorporelle (relaxation, méditation, hypnose…) et psychologique est cruciale également. Souvent, les patients douloureux ont aussi des troubles anxieux, dépressifs ou une addiction aux médicaments, à des substances dangereuses ou à certains comportements.

Frédéric Gillot, psychologue clinicien au centre, reçoit chaque patient avant l'hospitalisation puis pendant le séjour. « On cherche des éléments qui lui permettent de trouver un bien-être hors du médicament. Cela peut passer par l'hypnose, la relaxation. Nous pouvons encourager certains patients désocialisés à se réinscrire dans le champ social, en s'engageant dans une association par exemple. Se remettre dans la vie, en quelque sorte. »

C'est aussi le but de l'accompagnement socioprofessionnel : une assistante sociale fait d'ailleurs partie de l'équipe. Avec la douleur chronique, l'isolement est fréquent. « C'est tout un cercle vicieux qui s'est installé, souligne le psychologue, entre arrêt du travail, incompréhension des proches face à un mal souvent invisible, perte de confiance en soi et de l'estime de soi, sentiment d'inutilité sur le plan professionnel voire familial… Avec le patient, nous essayons de casser ce cercle. »

Réapprendre à bouger est aussi une thérapie

Briser un cercle, en construire un autre, c'est aussi l'objectif des nombreuses séances en groupe. Katia se souvient : « Les groupes d'échange permettent de s'exprimer et de partager. Les proches ont du mal à comprendre car la maladie est invisible. C'est difficile à vivre. Là, j'ai eu le sentiment d'être comprise et écoutée. De même, lors des séances de kiné, de marche sportive, on se serre les coudes car on sait que les autres ont les mêmes problèmes que nous. »

Réapprendre à bouger est loin d'être une évidence. Pourtant, l'exercice physique est une thérapie incontournable en cas de douleur chronique, aussi bien pour un mal de dos que pour des migraines. « On apprend que plus on a mal, moins on a envie de bouger, mais moins on a envie de bouger, moins ça va ! », résume Katia en évoquant notamment les séances de kiné pour apprendre les bons mouvements à refaire chez soi.

La formule fonctionne. Elle qui avait commencé par des « injections de Kétamine tant la douleur était forte » a progressivement diminué les médicaments « en accord avec les médecins, sans recrudescence des douleurs » et s'en dit « très fière ». « La fibromyalgie sera toujours là, en veille, mais je n'en souffre plus. Je vais avoir 60 ans et je prends des cours pour passer mon permis moto, le rêve de mes 16 ans ! »

* La fibromyalgie est une forme de douleur chronique diffuse, associée à une hypersensibilité.

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