La schizophrénie : mal connue et victime d’idées fausses

Publié le

Par Pauline Hervé

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En France, près de 600 000 personnes souffrent ou ont souffert de schizophrénie. Une maladie avec laquelle on peut réussir à vivre correctement, même s’il faut se battre contre la stigmatisation qui y est encore liée.

Le Pr Nicolas Franck, psychiatre, professeur des universités et auteur de plusieurs ouvrages sur la schizophrénie et la réhabilitation psychosociale, répond à nos questions.

Le terme de « schizophrénie » est souvent utilisé, mais pas toujours à bon escient. Que désigne-t-il vraiment ?

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Nicolas Franck

Nicolas Franck : La schizophrénie est encore mal connue et associée à de nombreuses idées fausses. Elle désigne un ensemble de troubles psychiques qui altèrent la relation d’une personne à la réalité et à elle-même. Les symptômes sont différents d’un individu à l’autre.

On distingue trois grands types de manifestations. D’abord, les symptômes dits positifs comme des hallucinations verbales (entendre des voix), sur lesquelles peut se construire un délire, c’est-à-dire une représentation du monde qui ne correspond pas à la réalité. Ensuite, les symptômes dits négatifs : des difficultés, voire une impossibilité à faire, à ressentir, à penser, à s’organiser. Enfin, la désorganisation : la difficulté à ordonner ses pensées, des propos mal compris par les autres, des émotions contraires ressenties au même moment… Tous ces symptômes contribuent à couper du monde extérieur les personnes qui en sont atteintes. Des difficultés cognitives (problèmes de mémoire, de concentration ou de planification, incapacité à reconnaître les émotions ou les souhaits d’autrui) sont souvent associées à la schizophrénie et gênent les personnes pour réussir leur vie quotidienne.

Le diagnostic est-il difficile à poser ?

N.F. : La schizophrénie est hétérogène, répond à différentes causes (dont des causes génétiques) et il existe des formes frontières avec d’autres troubles psychiatriques (dont les troubles bipolaires). De ce fait son diagnostic doit être solidement étayé. Pour poser un diagnostic de schizophrénie il faut que les troubles évoluent depuis plusieurs mois. Enfin, au-delà du diagnostic nosographique (appartenance à la catégorie de la schizophrénie) et éventuellement étiologique (identification d’une cause génétique ou autres – une consommation de substance toxique telle que le cannabis, une maladie auto-immune ou une infection cérébrale par exemple - aux troubles), il est également indispensable de réaliser un diagnostic fonctionnel. Celui-ci permet d’envisager comment la personne a concrètement des difficultés pour affronter le quotidien.

Combien de personnes souffrent de schizophrénie et troubles apparentés en France ?

N.F. : 600 000 personnes présenteront au cours de leur vie des manifestations schizophréniques. Cette maladie débute le plus souvent entre 16 et 25 ans.

Peut-on en guérir ?

N.F. : Le concept de guérison n’est pas celui qu’on utilise le plus en psychiatrie actuellement. La guérison sous-entend qu’on a un trouble identifié et que si l’on en supprime la cause, la maladie disparaît. Avec les troubles schizophréniques, on est fréquemment face à une cause non identifiée ou dans certains cas face à une cause identifiée, mais associée à une fragilité qui persiste dans la durée. C’est donc plutôt une rémission que l’on cherche à obtenir : faire disparaître les symptômes pour que la personne ait la vie la plus correcte possible.

Cependant, même en rémission certaines personnes ne se sentent pas bien dans leur quotidien, elles ne se sentent pas « rétablies ». D’autres ont encore des symptômes mais se sentent rétablies. C’est un vécu très individuel. D’où l’idée de s’attacher plutôt au concept de rétablissement, basé sur le ressenti de la personne : qu’est-ce qui lui faut pour vivre convenablement ? Les personnes qui sont atteintes de schizophrénie aspirent à pouvoir travailler de nouveau : c’est le premier souhait que recensent toutes les études. Or, du fait de la stigmatisation liée à cette maladie, leur taux d’insertion professionnelle en France est très bas (il est d’environ 10 %, alors qu’il atteint 30 % en Allemagne par exemple). Ces personnes souhaitent aussi retrouver de bonnes relations avec leur entourage. Il existe des programmes, comme Profamille ou AVEC (Accompagner Valider Echanger Comprendre), dont le but est de renforcer les capacités des familles pour accompagner leurs proches. Cela aide les familles à mieux supporter la maladie de leur proche.

Au-delà du traitement, qui associe des mesures médicamenteuses et non-médicamenteuses (dont la psychothérapie), ce qui importe c’est vraiment de se baser sur le souhait de la personne, en la mettant au cœur de ce cheminement. Les soignants sont là en appui pour lui permettre d’avancer. La « réhabilitation psychosociale » est devenue une priorité de santé. Elle a pour but, en s’appuyant sur de nouveaux outils de soins (dont la remédiation cognitive et la psychoéducation) de renforcer les capacités de décision et d’action des personnes afin qu’elles réussissent leur vie.

Les personnes atteintes de schizophrénie sont-elles dangereuses ?

N.F. : Elles sont surtout fragiles, victimes de personnes qui vont abuser de leur faiblesse et de leur désorganisation. C’est très rare que ces personnes deviennent des agresseurs. La schizophrénie n’est donc pas telle qu’on la voit d’habitude au cinéma ou dans les médias. Quand violence il y a, elle est plutôt à l’encontre de soi-même. De plus, elle est aussi très souvent liée à la consommation de toxiques associées.

À cause des a priori sur la schizophrénie, les personnes qui en sont atteintes sont rejetées et perdent des chances. L’impact de cette stigmatisation est beaucoup plus important que leur propre dangerosité. En outre, ces a priori sont intériorisés par les personnes qui finissent par se penser incapables de travailler, de vivre. Il faut absolument œuvrer à mettre fin à ce rejet. L’Organisation mondiale de la santé a même proposé de supprimer le terme de schizophrénie car il est connoté négativement dans le langage courant. Une telle décision a déjà été appliquée au Japon, où la schizophrénie a été rebaptisée « trouble de l’intégration ».

Aller plus loin :

La schizophrénie. La reconnaître et la soigner, Pr Nicolas Franck, Ed Odile Jacob, 2006.

schizinfo.com : Site de l’association des Journées de la schizophrénie. Information et actions de sensibilisation autour de la maladie.

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