Sylvie Wieviorka a exercé 40 ans en tant que psychiatre, spécialisée notamment dans la toxicomanie puis formatrice de psychothérapeutes. Elle revient sur la nécessité de moins hésiter avant de prendre soin de sa santé psychique, mais aussi sur les difficultés que posent le contexte sanitaire actuel et les manques de la prise en charge psy en France.
Comment bien choisir son psychothérapeute ? C’est le sous-titre de votre ouvrage.
Sylvie Wieviorka : Dans ce livre « Dans la tête de ma psy », je parle de « la jungle des thérapies » car l’offre est extrêmement multiple et s’y retrouver n’est pas évident. D’abord, un rappel : les définitions de la « psychothérapie » sont nombreuses. Celle du chercheur Paul Gérin – « ensemble de méthodes psychologiques dont le but est de soulager la souffrance dans un cadre contractuel » – a ma préférence pour sa clarté et sa simplicité.
On peut faire une psychothérapie, soit avec un psychiatre (qui a fait des études de médecine) ou un psychologue (diplômé en psychologie). La psychanalyse est l’une des différentes écoles de psychothérapie proposées, comme les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) ou les thérapies familiales et systémiques.
Au-delà de ces critères, vous allez devoir fréquenter votre psy plusieurs mois ou années, vous ouvrir à lui de choses très personnelles. Si vous constatez que le courant ne passe pas, c’est compliqué. C’est aussi une rencontre humaine.
4 étapes pour bien choisir son psy
Avez-vous écrit ce livre pour clarifier certains clichés sur les psychothérapies ?
S.W. : À chaque fois que j’ai l’occasion, à titre professionnel ou privé, de rencontrer des gens qui s’intéressent à ce que je fais, je me rends compte que de nombreuses idées reçues ne correspondent pas à la réalité. De même, il subsiste encore beaucoup de clichés et de craintes sur le fait de suivre une psychothérapie. C’est dommage car cela éloigne des gens du soin. Je souhaitais éclairer et rassurer, non seulement les patients des psys, mais aussi tous ceux qui sont en souffrance psychique et n’osent pas demander de l’aide. Enfin, j’ai bientôt 71 ans et une de mes motivations est de mettre par écrit ce que j’ai pu transmettre en faisant de la formation aux psychothérapeutes.
Les médias évoquent de plus en plus la santé mentale. Est-ce une bonne chose ?
S.W. : C’est une bonne chose d’en parler, et d’une façon différente, loin des « fous meurtriers », des faits divers… Les problèmes psychiques peuvent toucher chacun d’entre nous, à un moment de sa vie, quand il traverse des événements perturbants. Selon un sondage, en janvier 2020, plus de 30 % des Français déclarent avoir déjà fait appel à un psy, contre seulement 5 % en 2005. On peut le voir comme un signe d’augmentation du mal-être ou comme une « banalisation » du soin psy, et ce n’est pas un terme négatif pour moi.
Que conseiller à un proche qui ressent un mal-être mais ne va pas consulter ?
S.W. : Le premier conseil, c’est d’essayer ! Le fait de ne même pas oser passer la porte d’un psy est déjà un problème. On va voir un médecin quand on a un problème physique, il faut voir la thérapie de la même manière. Attention cependant, la durée n’est pas la même qu’en médecine somatique. Pour la souffrance psychique, le processus est un peu plus lent, des semaines ou des mois, il faut en être conscient.
Vous soulignez bien la différence entre développement personnel et psychothérapies…
S.W. : Le « génie » de ceux qui font des livres de développement personnel, c’est de s’adresser à des gens plutôt en bonne santé psychique, afin qu’ils aillent encore mieux. D’un point de vue marketing, c’est formidable car cela représente davantage de clients potentiels que les gens en souffrance.
En général, on y promet le bonheur à court terme et sans beaucoup d’effort. Or changer n’est pas toujours facile, cela prend du temps et nécessite un certain travail. Si le développement personnel ne se substitue pas à la thérapie, ce n’est pas gênant. En revanche, si des gens qui ont besoin de soins n’y vont pas et préfèrent ces méthodes, c’est un problème.
On parle beaucoup de la souffrance actuelle des étudiants, par exemple. Faut-il conseiller massivement d’aller consulter ?
S.W. : Le contexte lié au coronavirus est très compliqué : la solitude, agréable si elle est choisie, peut devenir terrible si on est coincé chez soi. Des couples sont au bord de l’implosion, car dans la vie habituelle, on n’est pas 24 heures sur 24 ensemble. Mais je suis gênée parce qu’en France, on a un problème d’accès aux soins psys. Les étudiants ne vont pas bien, appellent des services dédiés et ne peuvent pas être reçus… C’est compliqué d’inciter les gens à consulter alors que l’offre n’est pas à la hauteur. Je pense qu’il faudrait revoir l’organisation du suivi, permettre à des psychothérapeutes non-médecins de pratiquer avec un système de remboursement.
Tout au long de ma carrière, j’ai été frappée par une chose : pouvoir trouver quelqu’un à qui parler de ce qui ne va pas, quand vous vivez dans l’isolement et dans l’angoisse, c’est extrêmement important. Je regrette que la société française ne soit pas capable d’offrir ce soutien.
Dans la tête de ma psy, et comment choisir le sien. Sylvie Wieviorka, éditions Humensciences, 2021.