Troubles bipolaires : un diagnostic souvent trop tardif

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Par Catherine Chausseray (ANPM/France Mutualité)

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Également appelée trouble maniacodépressif, la bipolarité est une pathologie complexe et mal connue. Elle affecte l’humeur et entraîne des phases d’euphorie et de dépression, plus ou moins graves selon les personnes qui en souffrent.

En France, on estime que les troubles bipolaires toucheraient 1 % à 2,5 % de la population, soit entre 650 000 et 1 650 000 personnes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) les place au sixième rang mondial des handicaps, mais cette pathologie est encore trop souvent sous-diagnostiquée. « Le plus grave, pour les troubles de l’humeur et les troubles bipolaires, ce sont les retards de diagnostic », constate en effet Valérie Le Moal, psychiatre au CHRU de Brest-Hôpital de Bohars et référente du centre expert de la Fondation FondaMental de Brest.

Le plus souvent, la pathologie est décelée à la suite d’une crise, mais elle peut aussi être confondue avec une dépression. « Il est difficile de faire la différence entre une dépression dite unipolaire, autrement dit quand le moral d’une personne est constamment bas, et une dépression « bipolaire », laquelle alterne avec des phases dites hypomaniaques [phases d’hyperactivité, moins fortes que les phases maniaques, N.D.L.R.] qui peuvent passer inaperçues », détaille la spécialiste, avant d’ajouter : « C’est lorsque le traitement à base d’antidépresseurs ne procure aucune amélioration, notamment, que le diagnostic peut s’orienter vers des troubles bipolaires. »

Poser le bon diagnostic

Pour détecter un trouble bipolaire, le psychiatre s’appuie uniquement sur un examen clinique, car il n’existe pas encore de biomarqueurs qui permettraient de confirmer le diagnostic, par une IRM ou des analyses sanguines, par exemple. Aujourd’hui, deux syndromes sont identifiés par le psychiatre :

  • le syndrome dépressif, qui se traduit par une diminution de l’humeur, de l’énergie et des activités
  • le syndrome maniaque, qui lui se manifeste par l’exact contraire, à savoir une augmentation de l’énergie, de l’activité et de l’humeur.

« Ces deux syndromes sont absolument en miroir et doivent répondre à des critères de durée et de retentissement pour pouvoir être appelés épisodes maniaques ou dépressifs », précise le Dr Pierre-Alexis Geoffroy sur le site de la Fondation FondaMental. Malheureusement, avant qu’un trouble bipolaire ne soit diagnostiqué, il faut attendre dix ans en moyenne. Or plus le trouble est traité tôt, meilleur est le pronostic. Mais la recherche avance à grands pas et les scientifiques placent beaucoup d’espoir dans le développement de biomarqueurs, qui permettraient d’identifier plus tôt le trouble bipolaire et donc de le traiter plus efficacement.

Quotidien difficile et risque de mortalité accru

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La bipolarité, qui se manifeste principalement entre 15 et 25 ans et dure toute la vie, gâche le quotidien des patients. Ces derniers peuvent connaître des problèmes cognitifs, comme des troubles de la mémoire ou de l’attention, et voient très souvent leur sommeil perturbé. « Une insomnie sans fatigue peut être le signe d’un épisode maniaque – ou encore se manifester à travers une fatigue excessive, souligne FondaMental.

La bipolarité se caractérise également par l’impossibilité de pouvoir gérer ses émotions, et cette hyperactivité émotionnelle s’incarne dans des comportements irritables, colériques. Elle peut aussi donner lieu à des troubles anxieux. »

Plus grave, l’espérance de vie des personnes bipolaires est réduite de dix ans par rapport à la population générale. Les tentatives de suicide sont plus nombreuses parmi ces patients, sujets à des épisodes dépressifs. Parmi ceux qui ne sont pas traités, 20 % mettent fin à leur vie. Par ailleurs, les troubles bipolaires s’accompagnent d’une forte comorbidité.

D’autres troubles se greffent à la maladie (alcoolisme, diabète, dysthyroïdie, etc.), faisant par exemple encourir le risque de succomber à d’autres pathologies, comme une maladie cardiovasculaire. Enfin, les conduites à risque (sexualité, addictions, dépenses) sont fréquentes et associées au handicap.

La promesse de traitements innovants et personnalisés

L’importance des facteurs génétiques a été démontrée. Les chercheurs ont constaté que, chez les personnes ayant des antécédents familiaux, le risque d’avoir un trouble était supérieur à celui de la population générale.

En étudiant le génome de plusieurs patients, ils ont observé des variations génétiques plus fréquentes, ainsi que des variations rares, voire uniques, dans certaines familles. Ils en ont déduit un risque augmenté de développer un trouble bipolaire. En identifiant des gènes impliqués dans le transport du calcium dans les cellules (nécessaire à la communication entre les neurones), ils soupçonnent les troubles bipolaires d’être liés à ce problème de connexion. Ces découvertes récentes vont permettre le développement de traitements personnalisés.

Mais la génétique n’explique pas tout. Les scientifiques estiment qu’elle peut être la cause de la survenue de la maladie dans 60 % des cas, les 40 % restants étant le fruit de facteurs environnementaux.
C’est la raison pour laquelle les chercheurs suivent également la piste immuno-inflammatoire, qui s’avère prometteuse pour mieux diagnostiquer et traiter les troubles bipolaires.

La cause profonde de la maladie reste à découvrir

« Nous savons aujourd’hui que les troubles bipolaires sont l’interaction entre un terrain génétique favorisant et des facteurs environnementaux, note le Pr Marion Leboyer sur le site de FondaMental. […] Les patients bipolaires sont porteurs de variants génétiques qui expliquent qu’ils se défendent moins bien que les autres face à des agressions extérieures telles que le stress […], en particulier au début de la vie. Cette interaction entre ce terrain génétique et ces facteurs environnementaux déclenche une cascade immuno-inflammatoire qui va persister tout au long de la vie et tout au long des épisodes aigus (dépressifs et maniaques). »

Si la cause profonde de la maladie reste encore à découvrir, les médecins savent aujourd’hui avec certitude qu’il existe une vulnérabilité génétique et psychologique prédisposant aux troubles bipolaires. Dans ce cas, ce sont certains facteurs extérieurs qui joueront un rôle déclencheur dans l’apparition de la maladie : un deuil, une rupture, un épisode de stress intense…

Des centres experts pour diagnostiquer, évaluer et accompagner

« Les symptômes de la bipolarité pouvant être confondus avec ceux d’une dépression, il faudrait davantage alerter les généralistes sur ce sujet, car le retard de diagnostic peut s’expliquer en partie par un manque de connaissances concernant cette pathologie », remarque Valérie Le Moal, psychiatre référente du centre expert de la Fondation FondaMental de Brest, qui souhaite « la mise en place d’outils pour sensibiliser les médecins. »

L’entourage, aussi, devrait être plus interrogé, car les répercussions des crises bipolaires sur la famille sont insuffisamment prises en compte, regrette la psychiatre. Les proches peuvent penser que la personne est simplement cyclothymique, et donc ne réagissent pas assez tôt. « Actuellement, 40 % des dépressifs pourraient en réalité souffrir de bipolarité sans être diagnostiqués », souligne-t-elle, avant de préciser que « les médecins, mais aussi les patients, peuvent s’adresser directement au centre expert par courrier ou par e-mail. »

Pour diagnostiquer de manière précise la forme de bipolarité dont souffre le patient, il est crucial de bien identifier les symptômes. Plusieurs entretiens sont menés, puis un bilan psycho-neurologique est établi. Les centres experts permettent une prise en charge complète, où interviennent diététiciens, psychologues ou spécialistes du sommeil. « L’hygiène de vie fait partie de la prise en charge, elle est même essentielle, insiste Valérie Le Moal. Il y a une grosse part d’éducation thérapeutique ».

Une fois que le diagnostic est posé, un traitement est mis en place. Les patients sont revus au minimum une fois par an pendant trois ans, le temps que le traitement soit stabilisé, qui est à vie lorsqu’il y a des rechutes.
Des réunions mensuelles sont organisées entre tous les centres experts afin de mettre à jour les connaissances et de faire évoluer la recherche.

 

Par Catherine Chausseray (ANPM/France Mutualité)

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