Un documentaire s’intéresse aux auteurs de violences sexuelles sur mineurs

Publié le

Par Nathania Cahen

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

Illustration
© DR

La parole des victimes de violences sexuelles est aujourd’hui entendue et de moins en moins discutée. La société s’efforce de mieux les protéger et d’accompagner leur « reconstruction ». Mais qu’en est-il des auteurs d’inceste ou de violences exercées sur des mineurs ? Punir ne règle pas tout. Il existe en France des consultations médicales spécialisées pour tenter d’aider et de guérir ces déviances pathologiques. C’est le sujet d’un documentaire intitulé Le sous-sol de nos démons.

Illustration
© Patrick Gherdoussi

Portrait Fanny Fontan

Après un documentaire remarqué sur l’inceste*, l’auteure et réalisatrice Fanny Fontan s’est intéressée au sujet sensible et complexe des auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs. Dans Le sous-sol de nos démons**, elle s’est immergée dans le service du CHU de Montpellier spécialisé dans la prise en charge de ces patients.

Elle partage avec nous ses réticences au départ. Puis la rencontre avec des soignants qui l’ont convaincue de la nécessité d’écouter aussi ces personnes, de les encadrer et de les soigner pour parer au risque de récidive. Certains sont dans le déni. D’autres luttent contre leur part d’ombre.

Des consultations pour soigner les auteurs de violences

Le sujet des violences sexuelles sur mineurs est explosif. Pourquoi vous êtes-vous lancée dans la réalisation de ce documentaire ?

Fanny Fontan : C’est une suite logique dans mon travail mais aussi dans celui de ma coauteure, Feriel Alouti, journaliste engagée qui donne souvent la parole aux « méchants », ceux que l’on entend rarement. J’ai beaucoup hésité : comment des médecins peuvent-ils aider les auteurs alors que les victimes doivent se débrouiller toutes seules ? Comment peuvent-ils faire du bien à des personnes qui font du mal ? Feriel m’a convaincue. Puis la rencontre avec Magali Teillard-Dira, psychologue clinicienne, et Mathieu Lacambre, psychiatre - qui s’est démené pour le numéro unique en France - a été déterminante.

Ces deux spécialistes en criminologie et victimologie travaillent au CRIAVS*** de Montpellier. Une unité de soins pionnière y a ouvert en 2010, dédiée aux personnes présentant des déviances ou perversions sexuelles. Depuis, le nombre de consultations a doublé tous les deux ans avec, aujourd'hui, plus de 400 personnes suivies.

Quel a été le parti pris retenu dans votre documentaire Le sous-sol de nos démons ?

F.F. : Pendant un an et demi, nous avons mis nos pas dans ceux de cette équipe. Lors des consultations pour suivis individuels, mais aussi lors de groupes de parole et de rencontres auteur-victime.

Nous nous sommes intéressées à quatre de leurs patients. Le premier purge une peine de prison pour viol. Les trois autres ont une obligation de suivi médical à l’hôpital ; pas de passage à l’acte pour l’un d’entre eux mais une addiction aux images pornographiques sur la toile.

Il s’agit souvent d’un Monsieur-tout le monde

Vous évoquez une prise de conscience de votre part…

F.F. : Je me suis rendu compte qu’il fallait aussi s’occuper des auteurs d’actes pédophiles. Sans quoi on a beau parler, s’offusquer, rien ne change. Vouloir comprendre ne veut pas dire pardonner leurs actes, mais protéger la société et ses enfants.

D’abord, il est important de démythifier ces personnes qui ne sont ni des Dutroux ni des Fourniret. Ce qu’ils ont fait est monstrueux, mais n’en fait pas des monstres. Il s’agit souvent d’un Monsieur-tout le monde (et plus exceptionnellement d’une Madame-tout le monde) qui appartient dans 75 à 80 % des cas au cercle familial ou proche de sa jeune victime. Un papi, un tonton, un instituteur ou un curé qui, pour 40 % d’entre eux, ont été abusés au cours de leur enfance… Les « gros pervers », les « prédateurs », sont minoritaires.

La plupart de ces hommes sont bien intégrés socialement, ont un métier, une vie de famille, des hobbies, parfois des enfants.

Un abus de confiance et d’affection

Ces auteurs de violences sexuelles sur mineurs sont-ils dans le déni ? Dans le regret ?

F.F. : C’est compliqué. Parmi les agresseurs sexuels, il y a ceux qui pensent avoir une relation particulière. D’autres se sentent seuls, manquent d’affection, et comblent ce manque avec un enfant proche. Dominée par son affection et sa confiance, la victime « se laisse faire » (ou subit) ce qui peut permettre à l’agresseur d’y voir un consentement.

Il leur faut du temps pour comprendre. Pour nombre d’entre eux, ce qui s’est passé était quelque chose de doux, d’affectueux, un moment partagé dont ils ne mesurent pas la violence.

Celui qui est prison pour le viol de deux petites filles a longtemps campé dans le déni. « Elles ne m’ont pas dit non, il n’y a pas eu de violence ». Le déni permet de ne pas prendre conscience de ses actes, de ne pas s’effondrer psychologiquement.

Celui qui est adepte d’images porno a sollicité lui-même un suivi médical et participe de son plein gré à des rencontres avec des victimes. Il évoque « une force sombre dont il a du mal à se défaire ». Il est marié, il lutte.

Un autre, condamné à 10 ans d’obligation de soins est désormais dans la prise de conscience et s’inquiète de savoir comment va sa petite victime.

Diviser par deux le risque de récidive

De quelles ressources disposent les soignants ?

F.F. : Ce n’est pas une science exacte. Les différents outils utilisés sont la parole, les groupes de parole, la rencontre avec la victime, des médicaments qui réfrènent la libido, la déconstruction des fantasmes pour éviter le passage à l’acte ou la récidive.

Il faut surtout aider ces personnes à mettre du sens sur leurs actes, prendre la mesure de ce qu’ils ont fait et comprendre le traumatisme de leurs victimes. Les soins permettent aujourd’hui de diviser par deux les risques de récidive.

* Produit en 2016, N’en parle pas, c’est un secret a reçu une étoile de la Scam (société civile des auteurs multimédia) en 2019 et le prix média Enfance majuscule pour le meilleur documentaire.

Un numéro d’appel pour les auteurs de violences sur mineurs

Non surtaxé, le 0 806 23 10 63 est un centre d’écoute national accessible en journée, mis en place pour les personnes souffrant de trouble pédophilique. Il a pour but de prévenir le passage à l’acte et de proposer une offre de soins adaptée.

Expérimenté depuis 2019 dans 5 régions, ce numéro d’appel est étendu depuis janvier 2021 à toute la France.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.
Tous les champs sont obligatoires.

Ce site utilise un système anti- spams pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

A découvrir