Etudiants en santé : les causes du mal-être

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Par Solal Duchêne

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Deux enquêtes révèlent un mal-être inquiétant chez les futurs professionnels de santé. Si le secteur reste attractif pour de nombreux étudiants, les manques de moyens financiers et humains de l'hôpital pèsent sur leur moral. Attachée à sa qualité de vie, la nouvelle génération dénonce une forte pression subie lors des stages, et une rémunération insuffisante.

La crise de l'hôpital touche aussi le moral des étudiants. Dans une étude réalisée en 2022 par la fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi), 61,4% des futurs infirmiers ont déclaré que leur santé mentale s’était dégradée depuis le début de leur formation. Concernant la médecine, une enquête de l’association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) sur l’année 2021 a révélé que 75% des futurs médecins souffraient d’anxiété chronique. « Encore plus inquiétant, 39% souffrent de symptômes dépressifs, soit 12 points de plus que lors de notre précédente étude en 2017 », alerte Yaël Thomas, le président de l’Anemf.

Des conditions d’accueil dégradées durant les stages

« Les chiffres de Parcours Sup le montrent, le métier d’infirmier attire, observe Naïza Savignat, en charge de la lutte contre les discriminations à la Fnesi jusqu’en octobre 2022. Malheureusement, les étudiants rencontrent énormément de problèmes durant leur formation. »

L’étudiante pointe notamment des plannings surchargés, l’absence de formation des tuteurs et un manque de moyens humains et financiers. « Les étudiants remplissent des taches très importantes à l'hôpital car ils compensent les sous-effectifs, explique la soignante. Mais sur la durée, la situation n’est pas tenable. »

Des conditions de stage difficiles que connaissent aussi les étudiants en médecine. « Notre statut et nos droits sont très peu cadrés à l’hôpital et donc peu respectés », regrette Yaël Thomas. Le futur médecin dénonce la forte pression des stages, au cours desquels les étudiants peuvent « facilement devenir les bouche-trous de l’hôpital ».

« Notre génération aussi a été confrontée à ces difficultés et à une forme de maltraitance pendant les études, remarque Martine Duclos, 57 ans, chef du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand. Mais depuis, il y a tout de même eu des avancées. »

Par exemple, les internes* disposent désormais d’un repos de sécurité après leurs gardes. « Les étudiants hospitaliers ont aussi aujourd'hui une journée obligatoire par semaine laissée libre pour des activités universitaires, ainsi que des jours pour préparer leurs examens », ajoute l’endocrinologue.

La fin du numerus clausus entraîne un afflux d’étudiants

En 2021, pour palier la pénurie de médecins, le numerus clausus** a été supprimé. Mais l’afflux d’étudiants en médecine ne s’est pas accompagné de nouveaux moyens, regrettent Yael Thomas et Martine Duclos. « On est débordés par les demandes de stages, constate le professeur, dont le service est passé de 5 à 15 externes. Comme nous manquons d'effectifs et de moyens financiers pour les encadrer, ils ne viennent pas tous les jours. » Faute de place, un roulement s’est mis en place entre les étudiants pour être présents dans le service.

« Malheureusement l’aspect pédagogique, l’accompagnement et l’apprentissage sont mis de côté », regrette Yael Thomas, le président de l’Anemf, actuellement en 4ème année d’étude de médecine à Brest.

La nouvelle génération de soignants tient à sa qualité de vie

Le malaise est aussi confirmé par l'administration universitaire. « La dégradation de la santé mentale des étudiants est un fait avéré, reconnaît Patrice Diot, doyen de la faculté de médecine de Tours. Les professions de santé sont très exigeantes et le bien-être personnel y est souvent difficile à trouver. »

D’autre part, le directeur alerte sur les risques psycho-sociaux liés à la découverte du milieu hospitalier. « Nous devons mieux préparer les étudiants à ce monde très particulier, dans lequel ils ont du mal à trouver leur place. » Le manque de préparation aux codes de l'hôpital, à sa hiérarchie et à son organisation pourrait en partie expliquer les difficultés vécues durant les stages, d’après Patrice Diot.

Le doyen évoque aussi un phénomène générationnel. « La société évolue, un jeune médecin n’a plus forcément envie de consacrer autant de temps à l’exercice professionnel que ses prédécesseurs. »

Yael Thomas et le professeur Duclos s’accordent encore sur un point : pour compenser le départ d’un médecin à la retraite, c’est deux voire trois remplaçants qui sont aujourd’hui nécessaires. « Nous n’aurions peut-être pas dû, mais notre génération a accepté de travailler tous les jours de sa vie, sans s’économiser, témoigne Martine Duclos. Je comprends que la nouvelle génération ait envie d’autre chose, mais nous faisons un métier de passion où il est compliqué de compter ses heures. »

La rémunération des stages jugée insuffisante par les étudiants

Entre la 4ème et la 6ème année de formation, les étudiants hospitaliers (appelés « externes ») effectuent 5 demi-journées par semaine de stage à l'hôpital. Ils sont payés 2,70€ bruts par heure durant cette période, d’après l’Anemf. « Le manque d’effectifs fait de nous une main-d’œuvre facile, rémunérée de façon dérisoire, regrette Yaël Thomas, son président. Mais dans la pratique, nous sommes indispensables au fonctionnement de l'hôpital. » Les futurs médecins y réalisent du travail administratif, accueillent les patients et leur font passer divers examens.

Les indemnités de stage perçues par les étudiantes infirmières sont quant à elles comprises entre 1,01€ et 1,70€ par heure. « Nous demandons simplement à être payés autant que dans les autres filières de l’enseignement supérieur, soit 3,90€ l’heure », plaide Naïza Savignat, de la Fnesi. Quid des bourses ? Depuis 2005, les Régions peuvent en verser aux étudiants des filières sanitaires et sociales. Chaque région décide elle-même de sa politique, fixant ses propres taux et barèmes.

Des difficultés dans l’ensemble des filières

Les difficultés économiques ne concernent pas uniquement les étudiants de la filière santé. Une étude de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), publiée en septembre 2022, révèle que le coût de la rentrée (+7,38%) et les frais de la vie courante (+2%) ont tous les deux augmenté en 2022 par rapport à l’année précédente. « L’inflation atteint 20% pour certains produits alimentaires et de première nécessité, sans être compensée par une hausse des bourses et aides sociales, regrette Félix Sosso, porte-parole de la Fage. En conséquence, des étudiants vont devoir se restreindre, notamment sur l’alimentaire. » Pour y remédier, la Fage plaide notamment pour une réforme structurelle du système des bourses. « La précarité étudiante est un problème global, qui nécessite une réponse collective et politique à la hauteur des enjeux », estime l’élu étudiant.

Faut-il enseigner la médecine différemment ?

Outre le manque de moyens, faut-il revoir la manière d'enseigner la médecine ? Des échanges entre doyens existent sur le sujet. « Il faudrait davantage enseigner à nos étudiants les bonnes pratiques pour aller chercher des informations médicales fiables. Beaucoup de connaissances sont aujourd’hui accessibles très facilement », relève Patrice Diot, doyen de la faculté de médecine de Tours.

Le doyen prend l’exemple de la posologie, qui correspond au dosage du médicament prescrit dans le cadre d’un traitement. Ces doses étaient auparavant majoritairement apprises par cœur. « Limiter l’apprentissage de ces connaissances d’accès très simple devrait permettre aux étudiants de se concentrer davantage sur d’autres apprentissages, comme celui du raisonnement de médecin. »

Une piste parmi d’autres pour le directeur, qui estime que de futures réformes seront nécessaires. « Elles devront permettre aux étudiants de retrouver un équilibre dans leur vie. »

* L’interne est un étudiant en médecine de 3ème cycle, soit entre la 7ème et la 12ème année d’études. Il est médecin, mais n’a pas encore le titre de docteur.

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