La philosophe Julia de Funès : « Le terme de coach est galvaudé »

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Par Patricia Guipponi

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Julia de Funès, docteure en philosophie et conférencière s’est penchée sur l’engouement pour les coachs en développement personnel. Elle fustige les impostures d’une certaine psychologie positive. Rencontre.

Dans son livre Développement (im)personnel, Le succès d’une imposture, Julia de Funès rappelle le rôle de l’esprit critique dans le développement de l’intelligence de l’homme.

« Tous les coachs ne sont pas à mettre dans le même sac »

Qu’est-ce qui motive votre intérêt pour le coaching, sujet de votre livre ?

Julia de Funès : Je suis amenée à travailler avec des coachs en entreprise. Et j’ai axé ma thèse de doctorat de philosophie sur le thème de l’authenticité, avec une partie consacrée au phénomène social qu’est devenu le développement personnel. Plus de 30 % des succès en librairie portent sur ce sujet et le métier de coach est en plein essor. Ce marché florissant est un vrai imbroglio. Le terme de coach est un mot-valise derrière lequel on trouve des réalités et des trajectoires diverses. Entre le love-coach, le Life coach, le coach dit professionnel, le coach en esthétique, en nutrition, etc., il y a de quoi se perdre. Or, tous les coachs ne sont pas à mettre dans le même sac.

En général, les coachs sportifs sont des sportifs eux-mêmes ou se confrontent à la réalité. C’est pourquoi je ne les conteste en rien et les admire beaucoup. Les coachs d’entreprise ont travaillé dans ce secteur avant d’embrasser ce métier. Ils sont censés savoir de quoi ils parlent, ont parfois une expérience légitime.

Les coachs en développement personnel me semblent, eux, plus contestables. Certains d’entre eux diffusent des recettes toutes faites, des concepts et une vision de la vie souvent réductionniste et idéaliste, ne tenant pas toujours compte des problèmes souvent inextricables de l’existence, des complexités de l’esprit humain.

L’argument consistant à dire « Oui, mais si ça fait du bien pourquoi s’en soucier ? » n’est pas un bon argument. En tout cas, pas d’un point de vue philosophique. Ce n’est pas parce qu’une chose fait du bien qu’elle est bonne en soi. L’alcool peut faire du bien… est-ce pour autant une bonne chose ? Mon livre consiste à démontrer que les principes sur lesquels reposent la plupart des ouvrages de développement personnel ne sont pas philosophiquement rigoureux.

« Confier ses problèmes à des professionnels dignes de ce nom »

Vous dites que l’on confie son bien-être, son âme à n’importe qui. Or cela ne nous viendrait pas à l’esprit de le faire avec son corps. Pourquoi ?

J. de. F. : Oui, on n’irait pas se faire opérer par quelqu’un qui n’a que dix-huit mois de formation. Je comprends la facilité qu’il y a à aller voir un coach par rapport à la difficulté d’aller voir un psychiatre. La démarche n’est pas la même. Mais les bénéfices non plus… Si c’est juste un vernis de bien-être qu’il nous faut, un coach peut sans doute suffire. Si c’est une difficulté plus profonde, il me semble préférable de confier ses problèmes à des professionnels dignes de ce nom : en l’occurrence des médecins.

« L’épanouissement personnel est le nouvel opium du peuple »

Selon vous, c’est notre quête de l’absolu bonheur qui nous ferait perdre le sens de la réalité ?

J. de. F. : L’épanouissement personnel est le nouvel opium du peuple. On nage dans la dictature du bien, du ‘’bonheurisme’’. Les ouvrages, que je fustige, édulcorent le réel à l’aide de mots doux. On préfère noyer les réalités mauvaises, les mots qui font mal, et les passions tristes. Mieux vaut positiver, penser que tout est possible, qu’il n’y a aucune limite, que les rêves sont réalisables.

Ces livres nous disent ce que l’on veut entendre, nous préconisent des façons d’être, promettent des résultats rapides, comme si tout dépendait uniquement du sujet et des préceptes invoqués. Mais les préceptes font rarement bonne recette quand il s’agit de problématiques existentielles. Le retour à la réalité est parfois rude.

Si la philosophie n’est pas une mode, si elle est vieille de 3000 ans, c’est qu’elle dit des choses vraies, en adéquation avec le réel. Ce n’est pas une littérature qui se soumet à l’ère du temps. Elle affronte l’existant, comprend tout, sans prétendre tout résoudre. Entre une réalité douloureuse ou des illusions savoureuses, elle choisit toujours la première ! Le développement personnel devrait - si l’on en croit le nom - développer les personnes. Ceci supposerait de développer l’esprit critique, le discernement, l’acuité de l’esprit, et non pas d’englober les lecteurs dans une impersonnalité généralisée et engourdissante pour l’intelligence.

Le développement personnel est finalement et paradoxalement d’un grand mépris pour la personnalité, la singularité de chacun.

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