Les aides à domicile : « ces grandes oubliées de la crise sanitaire »

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Par Estelle Hersaint

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

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Senior woman in medical mask with social worker visiting her at home © GettyImage

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Applaudissements, promesses, reconnaissances, le soutien aux professionnels de santé a été marquant lors des deux derniers confinements. Parmi ces acteurs en première ligne, certains ont toutefois été oubliés : les auxiliaires de vie et professionnels du domicile. Chaque jour au côté des plus fragiles, ils sont indispensables et pourtant oeuvrent quotidiennement dans l’indifférence. Pour Dafna Mouchenik, c’est devenu viscéral : elle écrit Première Ligne, journal d'un service d'aide à domicile durant le confinement, pour rendre visible ces invisibles.

Grands oubliés du confinement, les professionnels du « prendre soin » peinent à se faire entendre. « Nous avions l’impression de faire quelque chose d’utile, et pourtant, il y a eu un silence retentissant sur ce qu’on était en train de vivre », déplore Dafna Mouchenik1, directrice d’une entreprise d’aide et de maintien à domicile pour les Parisiens. 

Elle décide alors d’écrire un livre, une façon pour elle de montrer « la vraie vie », de rendre visible un secteur ignoré par beaucoup. Première Ligne : journal d'un service d'aide à domicile durant le confinement, plonge le lecteur dans le quotidien d’une équipe solidaire et raconte son vécu de cheffe d’entreprise, entre débrouille, frustration et angoisse. Elle rend honneur au courage et à l’abnégation de ses collègues et employées, (plus de 160 personnes qui accompagnent quotidiennement près de 800 Parisiens), et dénonce une forme d’abandon de la part du gouvernement pour un secteur pourtant vital.

« Nous sommes des professionnels du ʺprendre soinʺ»

« Il y a une réelle incompréhension de nos métiers », selon elle. Tous ont pour mission de prendre soin des plus fragiles, de faire en sorte qu’ils conservent le plus possible d’autonomie tout en palliant les tâches de la vie quotidienne lorsqu’ils ne peuvent plus les réaliser seuls. Bien plus qu’une aide, le métier d’auxiliaire de vie est un engagement solidaire et social où il faut faire preuve d’empathie et de bienveillance. Pour comprendre ce métier, il faut « se mettre à la place de l’autre »

Aux côtés des auxiliaires de vie s’active aussi une équipe plus invisible encore, celle que Dafna aime appeler « l’équipe coulisse », qui « supporte, aide et soutient les auxiliaires de vie dans leur travail quotidien ». Cette équipe qui « ne compte pas ses heures », a d’ailleurs dû redoubler d’effort durant le confinement puisqu’il a fallu dans l’urgence refaire les emplois du temps à cause du manque de personnel, prioriser les interventions, rassurer les gens, soutenir les auxiliaires de vie tout en respectant les singularités et les besoins de chacun. « On a dû faire du sur-mesure sans les moyens du prêt à porter », explique-t-elle.

Comme beaucoup, ce service d’aide à domicile n'a pas été épargnée par la crise sanitaire. Dafna a dû faire face aux directives parfois contradictoires des autorités publiques, au manque de matériel, à l’ignorance des pouvoirs publics : « on a reçu une fiche métier spécial Covid nous demandant d’aller chez les gens avec des blouses, des gants, des masques, des sur chaussures, tout un matériel que nous n’avions pas ». Réactives, Dafna et son équipe ont su se débrouiller : achat de masques de plongée dans un magasin d’équipements sportifs, appel aux dons de gants et de masques, chasse au gel hydroalcoolique.

Elles ont aussi dû affronter l’invisibilité du métier : « ce qui est compliqué, c’est que personne ne nous connaît, même si nos professions étaient notées sur tous les arrêtés, il a fallu faire preuve de pédagogie, expliquer qui nous étions aux pharmaciens, aux directeurs d’écoles, aux policiers aussi, expliquer qu’on avait le droit de récupérer des masques, de faire garder nos enfants ou de circuler malgré le confinement. »

Si le second confinement s’est « un peu mieux passé que le premier car on a gagné en expérience (…), on a moins peur », Dafna espère voir ses conditions de travail et celles de ses équipes s’améliorer. Un espoir : la loi Grand âge et autonomie.

Entre espoir et déception : dans l’attente de la loi Grand âge et autonomie

Très attendue, et sans cesse repoussée, la loi « Grand âge et autonomie » a été annoncée pour 2021. « Presque prête » selon le ministre de la Santé Olivier Véran au micro de France Inter en juillet dernier, c’est un texte qui soulève « beaucoup d’espoir, de changements et de prise en compte des professionnels que nous sommes », affirme Dafna Mouchenik.

La loi envisage la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale sur la question de la dépendance. Son objectif serait d’augmenter les financements dédiés à l’autonomie, actuellement éparpillés entre plusieurs administrations : assurance maladie, mutuelles, départements etc. « J’attends vraiment une politique nationale car pour le moment l’action sociale est exclusivement confiée au département, ce qui crée de très fortes disparités sur le territoire », explique Dafna, « certains se sont par exemple vu attribuer une prime et d’autres pas ». Le 4 août dernier, Emmanuel Macron assurait que l’État et les départements financeraient une prime de 1 000 €, aux auxiliaires de vie des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD). Même si « Paris a rapidement décidé de verser à ses auxiliaires de vie une prime de 1500€, équivalente à celle des soignants », dans d’autres départements, « certains ont tardé ou tardent peut être encore à s’exécuter », selon cette cheffe d’entreprise, aussi présidente de Synerpa Domicile, une nouvelle branche de ce syndicat d’employeurs de la filière du Grand âge.

Un autre point fort et très attendu de la loi touche à la valorisation des professionnels de l’autonomie. Si Dafna Mouchenik parvient à proposer des temps pleins et CDI aux auxiliaires, dans d’autres structures, cela reste encore compliqué. Trop peu de professionnels formés, reconnaissance salariale insuffisante, évolutions professionnelles limitées etc. Les besoins sont criants, des besoins que la crise du coronavirus n’a fait qu’accentuer. « Le modèle dans lequel nous sommes est actuellement à bout de souffle », assure-t-elle, « la loi doit venir repenser la tarification de nos services (…) actuellement, on bricole, on fait de mauvaises économies qui compliquent les conditions de travail et favorisent le turn over alors que les gens dont on s’occupe ont besoin de stabilité ».

1. Dafna Mouchenik, Première Ligne, journal d'un service d'aide à domicile durant le confinement, Fauves (ed), 2020

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