Marie-Pierre Toubhans : « L’emploi des jeunes en situation de handicap reste plus compliqué que pour les autres »

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Par Patricia Guipponi

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L’insertion à l’emploi des jeunes en situation de handicap est la thématique centrale de la 25e édition de la semaine européenne de l’emploi des personnes handicapées, qui se tient du 15 au 21 novembre 2021. C’est le cheval de bataille de Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice générale du collectif associatif Droit au savoir.

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Marie-Pierre Toubhans est la coordinatrice générale de Droit au savoir, collectif associatif qui agit en faveur de la poursuite d’études et d’une meilleure insertion sociale et professionnelle des jeunes en situation de handicap. Elle préside la commission Éducation/Scolarité du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Et officie en tant que maîtresse de conférences associée à l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA).

Elle s’occupe plus spécifiquement des questions d’insertion professionnelle, un sujet dont elle commente la réalité du terrain à laquelle sont confrontés les plus jeunes.

« Un plus fort taux de chômage et d’inactivité des jeunes en situation de handicap »

Votre expérience du terrain vous amène à quelles observations sur la question de l’emploi des jeunes en situation de handicap ?

Marie-Pierre Toubhans : Les jeunes en situation de handicap doivent faire face à une série d’obstacles dans leur accès à l’emploi. D’abord en tant que jeunes, puis en tant que personnes handicapées. Ces dernières sont confrontées à une double marginalité. Elles connaissent un plus fort taux de chômage et d’inactivité.

Quand elles sont embauchées, elles occupent souvent une position inférieure à leur qualification et/ou sont employées à temps partiel. Sans compter que ces jeunes sont soumis aux mêmes contraintes que les autres : le stress des études, l’importance des diplômes, la difficulté à se positionner dans la recherche d’emploi, la pression sociale, le passage à l’âge adulte…

Chaque année, nous faisons le constat que la situation reste compliquée. Et la crise sanitaire et économique que nous traversons n’a rien arrangé. Pour que cela évolue rapidement et positivement, il faut se questionner sérieusement sur l’accessibilité des locaux, l’organisation et le rythme du travail, l’aménagement du poste, le maintien dans l’emploi… et s’engager fortement sur la formation et les qualifications des personnes en situation de handicap. Cette situation reste problématique bien que les choses bougent dans le bon sens. On ne peut pas le nier.

« Les dispositifs pour l’emploi des jeunes en situation de handicap sont une vraie jungle ! »

Quelles avancées permettent d’affirmer qu’il y a du mieux ?

M-P. T. : Il y a une volonté des pouvoirs publics pour que ça change. On légifère et réglemente pour cela. On le voit notamment avec le dispositif « Un jeune, une solution » qui propose des mesures spécifiques pour les personnes en situation de handicap. Cela se traduit par exemple par l’extension jusqu’à 30 ans de la prime annuelle de 4 000 € aux entreprises pour l’embauche d’un jeune dans le cadre du contrat initiative emploi. Ou encore par l’emploi accompagné ouvert aux jeunes à partir de 16 ans.

Les dispositifs ne manquent pas. Ils sont même nombreux. Mais il y en a tellement qu’il est difficile de s’y retrouver. C’est une jungle ! Si bien qu’on en arrive à inventer des dispositifs pour mieux se repérer alors qu’il faudrait plutôt évaluer ceux qui existent pour les réajuster aux besoins, les réorienter ou les arrêter quand ils ne sont pas pertinents et porteurs.

Il est aussi important de travailler aux questions de l’emploi des jeunes en situation de handicap à l’échelle locale. Cela pour apporter des réponses au plus près des besoins.

Les entreprises jouent-elles le jeu ?

M-P. T. : On constate une évolution dans les mentalités. À l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation deux jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA), nous observons un réel intérêt des entreprises publiques et privées à la question du handicap et de l’emploi.

Elles nous sollicitent pour des opérations de sensibilisation en leur sein, de la formation. Et nous-mêmes formons des conseillers en accessibilité, qui, à leur tour, pourront agir au sein des entreprises. La scolarisation et la montée en qualification des jeunes gens en situation de handicap, leur connexion et leur intégration au milieu ordinaire ont favorisé cette ouverture des entreprises.

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Les entreprises se montrent de plus en plus ouvertes à l'emploi de personnes en situation de handicap. Crédit photo : Getty Images.

« Les jeunes en situation de handicap sont avant tout des jeunes comme les autres ».

Est-ce que l’accès à l’emploi des jeunes est plus difficile selon le handicap ?

M-P. T. : Cela dépend des situations, des personnes. Les jeunes qui ont un handicap invisible confient qu’ils sont obligés de se justifier en permanence en raison de leurs besoins et de l’adaptabilité de leur poste. Ils doivent faire face à une problématique de reconnaissance. Cela peut influer sur le relationnel entre collègues. Parfois, on ne les croit pas. Le handicap invisible concerne 80 % des personnes en situation de handicap.

Quels enseignements peut-on tirer de la récente enquête sur l’accès à l’emploi des jeunes en situation de handicap publiée le 21 octobre 2021 ?

M-P. T. : Cette enquête permet de mesurer les enjeux actuels, de formuler des propositions et d’aiguiller les politiques publiques. En sondant en parallèle un échantillon de jeunes de 18 à 30 ans, représentatif de la population française, elle distingue ce qui relève des spécificités dans les parcours des jeunes en situation de handicap. Elle confirme qu’ils sont avant tout des jeunes comme les autres. Leurs aspirations sont communes.

« Un jeune en situation de handicap sur deux dit avoir été victime de discrimination dans sa recherche d’emploi »

Que révèle l’enquête sur leur recherche d’emploi ?

M-P. T. : L’enquête souligne l’impact des discriminations dans les parcours de recherche d’emploi. 63 % des jeunes sondés disent en avoir été victimes au cours de leur scolarité et un sur deux dans leur recherche d’emploi. Les freins à l’embauche se traduisent par une recherche d’emploi plus longue.

Sur ce point, les jeunes en situation de handicap mettent notamment en cause l’accessibilité de l’environnement de travail, mais aussi l’éloignement, la crainte d’une charge de travail trop importante et de difficultés d’intégration en entreprise.

Les jeunes en situation de handicap en recherche d’emploi ne sont que 39 % à indiquer leur situation de handicap sur leur CV et seuls 57 % d’entre eux évoquent leurs besoins spécifiques avec les recruteurs. Cependant, une fois employés, ils sont plus nombreux que les autres jeunes à estimer qu’ils occupent des postes en adéquation avec leurs qualifications, leur projet professionnel.

 

Les résultats de l’enquête sur l’accès des jeunes handicapés à l’emploi

L’enquête menée par l’Agefiph, le FIPHFP, LADAPT, l’UNML, le CNCPH, les associations Droit au savoir et 100% Handinamique auprès d’un panel de jeunes Français révèle que ceux en situation de handicap mettent en moyenne 7,6 mois pour obtenir un entretien contre 4,2 mois pour les autres. Soit une recherche deux fois plus longue qu’ils estiment assez compliquée.

La localisation géographique de l’emploi est importante pour 68 % des sondés en situation de handicap (61 % pour les autres jeunes). La rémunération est, en revanche, un critère moins important pour eux (36 % contre 43 %) comparé à l’engagement éthique de l’entreprise (42 % contre 28 %).

Une fois qu’ils sont embauchés, les jeunes gens en situation de handicap se disent très majoritairement satisfaits de leur condition. L’emploi occupé correspond à leur qualification (84 % contre 78 %) et à leur projet professionnel (84 % contre 75 %). Cependant, 30 % expriment des difficultés pour accéder à une promotion ou à une formation (contre 20 % pour les autres jeunes).

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