Quand le masque bouscule le travail

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Par Patricia Guipponi

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

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Depuis le 1er septembre 2020, le masque est obligatoire au travail, hors bureau individuel. Il est souvent la seule protection contre la Covid-19. Son port peut engendrer nombre de difficultés et de conséquences, comme l’expliquent une avocate, une maître-nageur et une coiffeuse.

Sa robe noire, qu’elle n’a pas encore enfilée, est coincée dans la commissure de son avant-bras gauche, replié au niveau du coude. De l’autre côté, Maître Gwendoline Massain enserre des dossiers. Un masque recouvre la moitié de son visage, du nez jusqu’au menton, panoplie d’usage depuis que les audiences des tribunaux ont repris, à la fin du confinement.

« Il a été demandé d’en porter un dans toutes les juridictions, dès l’arrivée dans l’enceinte du tribunal, et de le garder. Nous n’avons pas attendu l’obligation de ce 1er septembre », explique l’avocate au barreau de Paris, qui a suivi sans rechigner les recommandations.

Afin d’éviter un rebond de l’épidémie de Covid-19, le port du masque est obligatoire sur le lieu du travail, hors bureau individuel, depuis le 1er septembre 2020. Le Gouvernement a pris cette décision à la suite de l’avis rendu par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommandant le port du masque dans les lieux collectifs clos.

La communication faciale n’existe plus

C’est aussi masquées que vont travailler tous les jours, Carine, maître-nageur sauveteur en Île-de-France, et Laetitia Estimbre, coiffeuse dans l’Hérault. Cet ajout à leur tenue de labeur n’est pas sans conséquence pour l’exercice de leurs fonctions. « Outre son inconfort, il vient bousculer certaines habitudes et codes de la profession d’avocat », poursuit Me Massain. La plaidoirie est l’essence même de son métier. « Notre débit de paroles est assez conséquent. Le masque change la donne. »

En effet, cela s’avère compliqué de poser sa respiration, de jouer de l’exclamation, de l’affirmation, de jongler avec les variations de tons… « On force la voix car on a le sentiment que l’on est moins audible. On peut aussi rester sur la retenue. Il faut trouver un juste équilibre. »

En audience, la communication passe par la gestuelle, le visage, les yeux. « Magistrats, justiciables, avocats, personnels de justice sont masqués. On n’appréhende plus l’autre de la même manière. On ne peut plus percevoir les signes, les rictus, les expressions, le sourire qui va pouvoir orienter, renseigner. C’est déroutant », raconte Me Massain.

Certaines audiences se déroulaient dans le cabinet du juge. Et cette intimité était rassurante, nécessaire pour les cas d’affaires familiales, les dossiers impliquant des enfants. « À présent, l’obligation de distance et le port du masque nous renvoient dans les salles où se tiennent les procès classiques. Cela déshumanise encore plus le système judiciaire. Les rapports sont plus froids, notamment avec les magistrats ».

Toutefois, Gwendoline Massain sait qu’elle n’a pas le choix et s’accommode de la situation. « Je suis plus inquiétée par le fait que les délais d’audiencement aient pris encore plus de retard avec le confinement qui a ralenti la bonne marche de la justice. »

Le travail rendu plus difficile en zones humides

Carine, maître-nageur sauveteur dans une collectivité territoriale d’Île-de-France, s’est aussi résignée à adopter le masque pour travailler. Bien que le contexte s’y prête peu. « C’est notre seul mode de protection. Envers le public, non masqué quand il est dans les bassins, et pour nous-mêmes », reconnaît la jeune femme, qui se doit d’être doublement vigilante face à la Covid-19 car elle est asthmatique.

A son arrivée à la piscine, et dans les clubs de natation où elle officie, Carine porte un masque en tissu. Elle déambule ainsi dans les parties communes, les vestiaires. A l’entrée des bassins, elle opte pour le masque chirurgical jetable, mieux approprié au travail en zone humide. La surveillance et les exercices s’effectuent toujours avec sa présence sur le nez. « On a la sensation d’être dans un sauna en permanence ! »

Les opérations de sauvetage doivent aussi s’articuler avec le masque. « Certains protocoles de secours ont dû s’adapter à la Covid-19. Par exemple, la position latérale de sécurité n’est plus pratiquée lors de malaises simples. Dans les cas extrêmes, comme le début de noyade, on ne tergiverse pas. On intervient pour porter secours sans masque jusqu’à la sortie de l’eau. Les collègues, masqués, prennent le relais. »

Carine a senti que le masque allait peu à peu être imposé. « Durant le confinement, je me suis obligée à le porter tous les jours pour m’y habituer. Un quart d’heure, une demi-heure, une heure… ainsi de suite. »

Petits incidents de coupe d’élastiques

Depuis le 11 mai, le masque a pris autant d’importance que la paire de ciseaux dans le salon de coiffure de Laetitia Estimbre, à l’ouest de la métropole de Montpellier. Il est devenu, avec tout un arsenal de blouses et autres recouvre-mobiliers jetables plastifiés, un outil essentiel dès la réouverture des lieux. Promiscuité avec la clientèle oblige.

Pas simple à porter dans un espace où sèche-cheveux, lisseurs et brosses chauffantes occupent l’air ambiant. « A l’usage, on a constaté qu’il était difficile de doubler le masque avec la visière, comme cela était recommandé par la profession. Et que le masque, vite humide, devait être changé bien avant les quatre heures préconisées », souligne la commerçante.

De petits incidents se sont immiscés dans la coupe de cheveux. « Quand on va derrière les oreilles, on peut attraper un élastique. Nous demandons au client de tenir à distance les attaches dès que l’on s’attaque à cette zone. » Pas évident de faire la conversation en de telles circonstances. La causerie se poursuit mais ce n’est plus aussi fluide. « Il faut trouver des alternatives. » Mimer avec les mains, écrire. « C’est ce que j’ai fait pour communiquer avec un de mes clients, sourd et muet. A cause du masque, il ne peut plus lire sur les lèvres. »

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