Qu’est-ce que l’intrapreneuriat ?

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Par Solal Duchêne

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Depuis quelques années, une tendance venue des Etats-Unis se développe dans les entreprises françaises : l’intrapreneuriat. Qu’est-ce que cette nouvelle manière d’entreprendre ? Est-elle accessible à tous ? Comment la mettre en place ? Explications.

Entreprendre sans quitter son emploi serait-il devenu possible ? Oui, si l’on est prêt à se lancer dans l’aventure de l’intrapreneuriat (parfois appelé à tort "intraprenariat"). Cette nouvelle manière d’entreprendre est apparue au Etats-Unis à la fin des années 70. Les grandes entreprises étaient alors confrontées au départ massif de leurs cadres, avides d'émancipation et tentés par l’entrepreneuriat.

Afin de répondre à cette fuite des talents, l’intrapreneuriat (contraction de « intra » et « entrepreneur ») a été imaginé. Il permet au salarié de lancer un projet innovant, tout en conservant son poste dans l’entreprise. L’intrapreneuriat s’est développé en France au cours des dernières années, lorsque de grands groupes, désireux de relancer leur innovation, ont commencé à l’expérimenter.

Qu’est-ce que l’intrapreneuriat ?

L’intrapreneuriat est initié par un salarié, au sein de son entreprise, avec l’accord de sa hiérarchie. Le collaborateur, alors appelé « intrapreneur », est détaché au développement du projet qu’il souhaite réaliser. Cet engagement peut se faire de façon exclusive ou à temps partiel. Il s’agit la plupart du temps d’un processus d’innovation, que le salarié peut expérimenter avec le soutien de son entreprise.

« L’intrapreneuriat est une conséquence de mon envie de m’engager », se souvient Thierry Gatineau, responsable de projet et intrapreneur au sein d’Harmonie Mutuelle. En 2018, il a créé le Bracelet Rouge, un bracelet SOS, permettant de fournir aux secours les informations médicales d’urgence en cas d’accident. Le nom de la personne, son groupe sanguin, ses antécédents médicaux ou encore ses allergies peuvent ainsi être communiqués aux secouristes grâce à un QRcode présent sur le bracelet. Un gain de temps dans la transmission des données qui peut permettre de sauver des vies. « L’intrapreneuriat était l’unique possibilité pour moi de mener ce projet. J’en ai fait la demande, et l’entreprise m’a fait confiance. »

Seul ou à la tête d’une petite équipe, l’intrapreneur se voit attribuer les mêmes responsabilités qu’un chef d’entreprise : gestion de budget, management, production. « L’intrapreneuriat prend des formes multiples, explique Pascal Corbel, professeur en sciences de gestion et du management à l’Université Paris-Saclay. Cela peut aller du petit projet jusqu’à une véritable start-up interne ».

Tout au long de l’initiative, l’intrapreneur garde son statut de salarié et l’entreprise conserve la propriété intellectuelle et industrielle de tous les biens produits.

Comment le mettre en place ?

Du côté de l’entreprise, un programme intrapreneurial se prépare et doit avoir été bien anticipé. « Il est essentiel d’avoir un appui hiérarchique important, et des objectifs clairs », estime Pascal Corbel. Le suivi de l’intrapreneur, avec des reportings réguliers, doit également être assuré par l’employeur. « Sans réelle conviction et anticipation, l’intrapreneuriat ne fait pas de miracle et les entreprises peuvent être déçues », prévient l’universitaire.

Pour le salarié, le projet intrapreneurial repose sur la base du volontariat. C’est le cas de Thierry Gatineau, intrapreneur chez Harmonie Mutuelle. En expérimentant un bracelet SOS alors qu’il est directeur du laboratoire d’innovation technologique, il prend conscience du potentiel de cette technologie. A la fin de l'expérience, il souhaite poursuivre le projet, auquel il croit beaucoup. « Les retours du terrain étaient très positifs et l’attractivité du bracelet d’urgence avait été démontrée. »

Il propose alors à son entreprise de continuer le projet, en intrapreneuriat. « Il y avait un intérêt pour les deux parties. Ce projet résonnait en moi et donnait beaucoup de sens à mon travail. Et c’était la possibilité pour Harmonie Mutuelle de développer un nouveau service. »

Selon l’enseignant-chercheur Pascal Corbel, la cohérence de l’initiative avec la culture de l’entreprise et ses valeurs est un facteur de réussite important, voire primordial.

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Thierry Gatineau présente le Bracelet Rouge, lauréat du Trophée de l'Assurance 2021 Crédit photo : Le Bracelet Rouge

Quels sont les avantages de l’intrapreneuriat ?

La démarche intrapreneuriale tend à créer un partenariat « gagnant-gagnant » entre le salarié et son employeur. D’un côté, le collaborateur peut initier un projet sans prendre de risque financier. De l’autre, l’entreprise capitalise sur ses ressources humaines, tout en encourageant les innovations.

Pour les salariés ?

« On est amené à développer un grand nombre de compétences, dans beaucoup de domaines », estime Thierry Gatineau. L’intrapreneur doit notamment gérer les aspects juridiques, financiers et technologiques de son projet, tout en ayant aussi la charge du business-model et de la communication.

Ce développement professionnel participe à l'épanouissement du salarié désireux d’évoluer. En outre, il renforce son employabilité et peut même servir d’accélérateur de carrière. « L’expérience du Bracelet Rouge et de l’intrapreneuriat m’ont fait développer de nouvelles expertises et j’ai depuis intégré une nouvelle direction », observe Thierry Gatineau.

L’intrapreneuriat répond également aux attentes des cadres, demandeurs de sens, mais aussi de challenges et d’autonomie dans leur travail. Entreprendre sans risque donne au collaborateur la chance de se tester. Et en cas de succès du projet, de bénéficier d’une belle reconnaissance.

Et pour les entreprises ?

Répondre à ce besoin d’indépendance contribue à fidéliser des talents parfois tentés d’aller voir ailleurs*. « Je suis aujourd’hui un salarié engagé et heureux, confirme Thierry Gatineau. La confiance que m’a accordé mon entreprise a décuplé mon énergie ». Les  entreprises ont d’ailleurs parfaitement compris les bénéfices qu’ils pouvaient tirer à encourager les initiatives de leurs collaborateurs.

Car libérer la créativité des salariés permet aussi de rester attractif et de résister à la concurrence. « Aujourd’hui, les grands groupes sont bousculés par des start-ups qui viennent bouger les lignes sur leur marché, analyse Pascal Corbel, professeur à l'Université Paris-Saclay. Ils doivent retrouver un esprit plus entrepreneurial pour rester compétitifs ». Et, en cas de réussite du projet, l’entreprise peut améliorer son offre avec de nouveaux produits.

Comment l’intrapreneuriat se développe-t-il aujourd’hui ?

D’après une étude** du cabinet Deloitte, 37% des entreprises ont un programme d’intrapreneuriat. « Du côté des grands groupes, il y a une tendance à mettre en place des dispositifs pour favoriser l’intrapreneuriat, note Pascal Corbel. Particulièrement dans les secteurs de la tech, comme l'électronique ou les télécoms. »

Pour quels résultats ? « Il est encore difficile de calculer les retours sur investissement. Souvent, il s’agit de diffuser une culture entrepreneuriale en interne », affirme le chercheur. Mais l’encadrement se professionnalise et les intrapreneurs sont de mieux en mieux accompagnés. « Le système s’organise et se structure peu à peu avec des programmes d’accélérateurs internes, des incubateurs, ou encore des Lab » énumère Pascal Corbel.

L’intrapreneuriat répond à deux enjeux importants du monde de l’entreprise : la fidélisation des talents et le management de l’innovation.

* En 2019, 57% des cadres déclaraient envisager de quitter le salariat pour une autre forme d’emploi.

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