« Il faut que le handicap ne soit plus tabou pour l’entreprise »

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Par Agnès Morel

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© Getty Images - Photo portrait : DR

Du 20 au 26 novembre, LADAPT organise avec ses deux partenaires*, la 27e Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH). L’objectif : organiser des événements partout en Europe pour informer et sensibiliser le grand public à l’insertion des personnes en situation de handicap - qu’il s’agisse du recrutement ou du maintien dans l’emploi.

Rencontre avec Karine Reverte, la nouvelle directrice générale de LADAPT ou L'association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, sur l’importance de cet événement, qui a été lancé en France en 1987.

On entend que l’emploi va mieux, on imagine que pour les personnes handicapées aussi ?

Karine Reverte : Oui, la situation de l’emploi s’améliore, le chômage est au plus bas et il y a davantage d’embauches. Mais des difficultés persistent encore pour les personnes porteuses de handicap : d’après les chiffres de 2022, elles sont 12 % à être au chômage, contre 7 % pour la population générale ! Et si ce taux est en diminution sur les dernières années, beaucoup de ces personnes restent très éloignées de l’emploi, parce qu’elles sont âgées, peu formées, peu mobiles.

Cela signifie que la France n’atteint pas l’objectif fixé par la loi de 1987 : compter 6 % des personnes handicapées en emploi. Aujourd’hui, il y a seulement 3 % de personnes handicapées en emploi dans le secteur privé et 5,3 % dans le public, ce qui reste très insuffisant. Quand on fait le calcul, c’est 1 entreprise sur 3 qui n’embauche pas de salarié porteur de handicap. Et, d’après l’IFOP, les femmes sont encore moins bien loties que les hommes.

Comment explique-t-on ce fort taux de chômage en 2023 ?

K.R. : Même si les jeunes générations ont un peu plus accès à l’école que leurs aînés, ce taux de chômage reste problématique. D’autant que le handicap n’est pas circonscrit aux seuls travailleurs reconnus handicapés via une RQTH (N.D.L.R. : reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) : on estime en 2023 que 8 à 10 millions de personnes en France, au total, sont porteuses d’un handicap consécutif à une maladie (cancer, diabète, maladies chroniques…)** dont la majorité travaille, sans le signaler.

Pourquoi ? Car, malgré la loi, le handicap continue d’effrayer les employeurs, notamment le handicap psychique (autisme, troubles bipolaires…). Il y a là beaucoup d’idées fausses. On craint que ces salariés ne puissent pas atteindre un taux de productivité suffisant ou encore que leurs besoins d’accompagnement soient trop onéreux sans parler de la peur du regard des collègues… C’est ce qui explique que parmi les 2,7 millions de personnes reconnues officiellement « travailleurs handicapés », 12 % sont aujourd’hui sans emploi. C’est pourquoi cette semaine sur l’emploi est primordiale. Il faut faire tomber ces peurs et ces idées reçues et faire en sorte que le handicap ne soit plus tabou.

Cette année, l’accent est mis sur le numérique, pourquoi ?

K.R. : Tout d’abord, parce que nous sommes convaincus que le numérique représente une formidable opportunité en termes d’emploi. C’est un secteur qui rassemble actuellement plus de 660 000 personnes et qui va créer encore de l’emploi dans les années à venir – de nombreux postes ne sont pas pourvus aujourd’hui !

Cela pourrait être une chance pour les personnes handicapées dans la mesure où ce sont des fonctions qui peuvent s’avérer accessibles et qu’elles permettent de nombreux aménagements de poste ou de conditions de travail : on peut exercer en télétravail, avec un téléphone et un ordinateur, choisir ses horaires de travail. Souvent, c’est plus facile pour elles qu’occuper un poste sur le terrain.

Mais il y a des obstacles : les outils numériques sont omniprésents dans notre quotidien, mais pas systématiquement dans celui des personnes porteuses d’un handicap. Et elles en sont parfois très éloignées. Cela constitue une fracture numérique, qui peut être un frein et les éloigner du monde du travail.

Vous proposez donc des formations au numérique ?

K.R. : Tout à fait. Car c’est très important de ne pas les laisser sur le bord du chemin. A LADAPT, dont le cœur de métier est la formation et l’emploi des personnes handicapées, nous avons développé ce qu’on pourrait appeler des « passerelles » pour accompagner ces personnes.

Il s’agit de formations sur mesure, en petit groupe de 10-15, sur 6 à 12 mois. Objectif : offrir aux stagiaires une formation adaptée sur tous les plans (technique, humain…) pour leur permettre de progresser, d’acquérir les bases du numérique.

Et, pour certains d’entre eux, l’idée est d’aller plus loin, en leur ouvrant la possibilité d’une orientation professionnelle dans ce secteur, en les amenant à suivre ensuite un cursus classique, pour devenir codeur, développeur web, infographiste, etc. Car on ne peut pas trouver d’emploi, aujourd’hui, dans ce secteur sans avoir suivi de formation appropriée.

LADAPT a aussi travaillé avec le réseau de formation Simplon, qui dispense des sessions de formation au codage, pour réserver des places aux personnes atteintes de certains handicaps. Car il y a parfois des spécificités à prendre en compte - par exemple, former une personne autiste nécessite davantage de temps ainsi qu’un dialogue avec des mots adaptés.

Et c’est très important de dire aux personnes handicapées qu’elles aussi peuvent avoir accès à la formation et obtenir un diplôme.

D’autant, que le numérique, c’est l’avenir ?

K.R. : Oui, nous nous intéressons au numérique, car nous savons que c’est un secteur en plein développement. Pensez à tout ce que cela a révolutionné dans notre vie au quotidien – et à tout ce que cela va continuer à améliorer. Et plus encore pour les personnes en situation de handicap.

Grâce aux applications de synthèse vocale, une personne malvoyante peut désormais lire ses mails, y répondre, et travailler comme n’importe qui. Lorsqu’elle se déplace, elle peut utiliser des outils connectés - des lunettes ou bien une canne - qui reconnaissent son environnement et l’avertissent (noms des boutiques, horaires d’ouverture, etc.). Il existe aussi pour les personnes malentendantes, des assistants virtuels qui traduisent du texte en son (et le contraire) ou même des lunettes, qui font apparaître en direct, une image avec la traduction en langue des signes. Enfin, toutes les personnes à mobilité réduite peuvent, aujourd’hui, utiliser la domotique pour commander une action avec le regard ou la voix – qu’il s’agisse d’ouvrir une porte ou d’actionner son clavier d’ordinateur etc.

La recherche et les entreprises du net ont développé des outils incroyables et nous avons devant nous une révolution dont nous n’avons pas idée encore, grâce notamment aux progrès faits par l’Intelligence artificielle…

En quoi va consister cette semaine pour l’emploi, du 20 au 26 novembre ?

K.R. : Avec cet événement, nous souhaitons sensibiliser le grand public à la question de l’emploi et du handicap, mais pas seulement. Grâce à nos deux partenaires, le FIPHFP et l’AGEFIPH, seront organisés 300 à 400 événements partout en France, comme des Handicafé ou des opérations de job dating. Tous les événements sont à retrouver sur https://www.semaine-emploi-handicap.com/

Le but ? Que chaque entreprise puisse s’emparer du sujet pour organiser un événement dédié, en parler et faire tomber les tabous sur le handicap en entreprise.

Connaissez-vous ainsi le DuoDay, qui est né en Irlande et a été repris en France en 2018 ? L’idée est toute simple : organiser un binôme entre un employé et une personne en situation de handicap pendant une journée, afin de mieux se connaître et montrer comment on peut travailler ensemble. Près de 40 000 duos seront formés ce jour-là.

*LADAPT travaille avec ses deux partenaires historiques : l’AGEFIPH ou Association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, pour le secteur privé, ainsi que le FIPHFP ou Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, pour le secteur public

** Plus d’une personne de plus de 15 ans sur dix (14 %) est en situation de handicap, indique la Drees, le service statistique des ministères sociaux.

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