Travail de demain : « Réconcilier l’économie, le social et l’environnement »

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Par Natacha Czerwinski

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À quoi ressemblera le monde en 2049 ? À travers un cycle de conférences prospectives, l’Obs en partenariat avec Harmonie Mutuelle, l’Assurance retraite, Orange, La Poste et Toyota explore les scénarios du futur. Lors du dernier débat en date, les experts se sont penchés sur la question du travail.

Transition écologique et numérique, travail à distance, quête de sens, remise en question du salariat… « Jamais les modes de travail et d’organisation des entreprises n’ont été à ce point bousculés », a souligné la journaliste Dominique Nora en ouverture de la conférence organisée le 22 mars par l’Obs, en partenariat avec Harmonie Mutuelle, l’Assurance retraite, Orange, La Poste et Toyota. Le débat, qui portait sur le « futur du travail », s’inscrit dans un ensemble de conférences prospectives destinées à réfléchir au monde de 2049 à travers les regards croisés de chercheurs, d’experts, de professionnels ou encore d’écrivains.

« Ce soir, l’exercice est de penser le futur désirable pour le travail, a précisé Dominique Nora. C’est un sujet particulièrement pertinent alors qu’on voit se développer aux États-Unis, mais aussi en France, des phénomènes comme "la Grande Démission" (l’expression fait référence au nombre impressionnant de personnes qui ont quitté leur emploi depuis mars 2020, N.D.L.R.). »

Créer un lieu de travail « sûr et bienveillant »

Pour « réenchanter le travail », c’est le modèle de « l’entreprise consciente » (autrement dit celle qui développe le savoir-faire mais aussi le savoir-être de ses équipes) qui doit être privilégiée, estime Navi Radjou, conseiller en innovation et en leadership et coauteur du Guide de l’innovation frugale (Diateino). « Une entreprise consciente est une organisation éclairée qui sait nourrir et harmoniser tous les shakras* de ses employés, clients et partenaires, afin qu’ils puissent vivre, travailler et interagir avec confiance, empathie et créativité », détaille le spécialiste.

En exemple, il a cité la démarche d’Eileen Fisher, créatrice d’une marque de vêtements pour femmes qui porte son nom. À rebours de la fast fashion, qui provoque des dégâts sociaux et environnementaux colossaux, « Eileen Fisher pratique la slow fashion, décrit Navi Radjou. Elle produit moins de vêtements mais plus durables, utilise des fibres biologiques, encourage ses clients à rapporter leurs vêtements usagés, qui sont surcyclés**. Les employés bénéficient d’un lieu de travail sûr et bienveillant : l’entreprise paie bien plus que la moyenne du secteur, offre des avantages sociaux considérables, investit massivement dans le développement personnel ainsi que dans la santé et l’éducation des familles de ses sous-traitants en Asie. »

« Les salariés sont le capital humain des entreprises »

« Ce que l’entreprise va devoir réconcilier, ce sont ces trois mots, qui ont été centraux pendant le confinement : environnement, social et économie, renchérit Virginie Malnoy, directrice Nouveaux Modèles chez Harmonie Mutuelle. De plus en plus, les entreprises prennent conscience que leurs salariés sont leur capital humain et qu’il faut en prendre soin. Nous-mêmes, nous disons que nous voulons être alignés "corps/cœur/esprit". Depuis que nous sommes devenus une entreprise mutualiste à mission, nous proposons par exemple tous les mois "Les rendez-vous de l’EMM" : tous les collègues qui le souhaitent peuvent venir et réfléchir avec nous à un sujet donné. C’est important que chacun puisse se sentir acteur de ce qu’on met en œuvre. »

Cette prise en compte de l’épanouissement personnel est d’autant plus importante qu’elle est au cœur des aspirations des jeunes diplômés. D’après une enquête réalisée auprès d’étudiants en grandes écoles de commerce, 92 % d’entre eux choisiront leur entreprise s’ils ont l’assurance d’y être utile, d’y avoir de l’influence et de pouvoir participer aux décisions.

Les nouvelles générations ont également soif d’éthique et de responsabilité. « Les jeunes rendent l’entreprise redevable des enjeux du monde, à la fois environnementaux et sociétaux (non-discrimination, diversité, inclusion), analyse Manuelle Malot, directrice carrières et prospectives de l’Edhec et fondatrice et directrice du NewGen Talent Centre. Si l’entreprise n’est pas alignée avec leurs propres valeurs et qu’elle ne propose pas un modèle auquel ils adhèrent, ils ne s’engageront pas. »

À l’inverse, quand ils y croient, ils foncent ! La preuve avec la start-up PowerZ, qui développe un jeu vidéo éducatif. « On a en face de nous des GAFA et des gros studios et on n’a pas les moyens de proposer les mêmes packages qu’eux. En revanche, on a du sens et de l’envie à offrir et on arrive à attirer des talents assez incroyables », assure Yann Carron, son cofondateur, qui croit aussi que l’entreprise du futur se doit d’être « transparente ».

Management par la confiance

Quant au management, comment le repenser pour qu’il corresponde aux envies et besoins de demain ? Pour les experts présents, la notion clé est celle de la confiance accordée aux salariés. « Pendant la crise du Covid, le télétravail s’est mis en place et les équipes, tant bien que mal, sont parvenues à atteindre une stabilité, des résultats, une organisation qui a permis de continuer à fonctionner, rappelle Fadela Pinon, coach en management chez Many2One. On a fait la démonstration que l’autonomie était possible. »

Avec son management 100 % à distance (dont le concept date d’avant même la pandémie), Baptiste Hamain, PDG de deux start-up, prouve d’ailleurs que la liberté des salariés n’est pas un frein à la croissance. « Nous proposons à nos employés de travailler où ils veulent et quand ils veulent, explique le dirigeant de juliette.com et de fizzer.com. Cela leur permet de choisir leur cadre de vie, d’organiser leur temps et, au final, de créer une harmonie entre leur vie professionnelle et leur vie privée. On a une culture du résultat et on laisse les gens prendre leurs responsabilités. »

Organisation en « réseaux d’équipes »

Pour la philosophe Céline Marty, il serait bienvenu, dans l’entreprise idéale de 2049, de réfléchir à « la suppression du management en tant que fonction séparée endossée par un individu qui n’est plus dans la fonction de production à proprement parler ». La notion d’« autorité » mérite aussi d’être questionnée, ajoute l’auteure de Travailler moins pour vivre mieux (Dunod). « Chez les jeunes, un management qui ne serait que statutaire ne peut pas fonctionner, confirme Manuelle Malot. Ils veulent un management de proximité, inspirant, qui développe leurs compétences. »

Luc Bretones, fondateur de la société de conseil Purpose for Good, est persuadé quant à lui que l’organisation la plus efficace passe par « un réseau d’équipes, pluridisciplinaires et multi-hiérarchiques, qui se constituent sur les projets cœur qui amènent de la valeur » à l’entreprise, plutôt que dans la « subordination de personnes ».

Pour le coauteur de l’ouvrage L’entreprise nouvelle génération (Eyrolles), le sujet de l’impact est fondamental. « On n’a pas envie de passer l’essentiel de son temps à se battre pour un résultat d’exploitation, aussi grand soit-il, conclut Luc Bretones. Faire +3 %, je ne sais pas ce que ça veut dire. Par contre si, dans quelques années, une majorité de salariés est capable de rentrer le soir et de dire à son conjoint ou sa conjointe : "Voilà à quoi a servi ma journée", on aura fait un bond de géant… »

*Selon la philosophie du yoga tantrique, nous avons tous sept chakras (ou centres énergétiques) qui façonnent notre perspective, notre motivation et notre comportement. Il y a le bien-être physique et la sécurité (associé au chakra racine) ; les désirs et les rêves (chakra sacré) ; la volonté et l’action (chakra du plexus) ; la compassion et l’amour (chakra du cœur) : la créativité et l’expression personnelle (chakra de la gorge) : l’intuition et la sagesse (chakra du troisième œil) et le sentiment d’harmonie avec le cosmos (chakra couronne).

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