« Il faut arrêter de faire comme si cela n’était pas grave. Il faut arrêter de croire que ces pratiques font partie de l’apprentissage normal de la vie : elles procèdent d’une forme de cruauté qui peut avoir des conséquences dramatiques. » Jean-Marie Bernard ne mâche pas ses mots. Responsable de l’équipe de sécurité de l’académie de Nice, il est l’un des 23 référents harcèlement institués par la loi dite pour la refondation de l’école de la République, du 8 juillet 2013.
Sa mission ? Prévenir le harcèlement en milieu scolaire et venir en aide aux victimes. Selon une récente enquête publiée par le ministère de l’Education, 10 % des écoliers et collégiens sont confrontés à ce type de violence, sous une forme « sévère » ou « très sévère » pour 6 % d’entre eux.
« Ce n’est pas nouveau, concède Jean-Marie Bernard. Mais la généralisation des smartphones, d’internet et des réseaux sociaux donne une nouvelle ampleur à ce phénomène. Autrefois, les brimades cessaient lorsque les élèves quittaient l’école. Aujourd’hui, elles peuvent prendre le relai sur ces réseaux virtuels et se poursuivre 24 heures sur 24 ! »
Le cyber-harcèlement s’appuie sur les ressorts classiques du harcèlement scolaire : bousculades, vols, insultes, moqueries, brimades exercés de façon répétée et devant témoins. « Mais le web permet de taper plus fort, déplore Jean-Marie Bernard. La victime est d’autant plus humiliée que le nombre de spectateurs est important. Et sur les réseaux sociaux, ils peuvent se compter par centaines… »
Le web, en créant de la distance, désinhibe ses utilisateurs : il est plus facile de s’en prendre à quelqu’un qui n’est pas en face de soi. Et la satisfaction malsaine du harceleur n’est pas bornée par les limites de l’écran. Pour la victime, les répercussions peuvent être significatives : difficultés scolaires, absentéisme, voire décrochage de l’élève.
« Dans certains cas, souligne le référent académique, le harcèlement peut générer de la violence, des troubles de l’équilibre psychologique et émotionnel. »
Pour certains élèves, les conséquences de ce harcèlement sont dramatiques et cela justifie la mobilisation des pouvoirs publics, qui ont engagé, fin 2013, une campagne d’information au sein des établissements, pour les élèves et les enseignants, mais aussi à l’extérieur, pour les parents.
« Nous encourageons la victime à parler, à briser la loi du silence, en se confiant aux membres de sa famille, ainsi qu’aux responsables de l’établissement scolaire – professeur, conseiller principal d’éducation, conseiller d’orientation, infirmière – qui sont désormais formés pour savoir comment agir. »
Les témoins sont sensibilisés et incités à parler pour ne pas devenir complices de ce harcèlement, en se taisant. Les parents doivent être attentifs à tout changement d’attitude de la part de leur(s) enfant(s). « Faute de naviguer eux-mêmes sur les réseaux sociaux, certains ne se rendent pas compte de la gravité et de l’impact d’un tel harcèlement, regrette Jean-Marie Bernard. Ils ont malheureusement tendance à sous-estimer le problème. »
Dans la plupart des cas, il suffit de mettre en garde le harceleur, en pointant les sanctions encourues, pour que le harcèlement cesse.
Même si le harcèlement sur les réseaux sociaux n’est pas une infraction réprimée en tant que telle par la loi française, l’auteur est susceptible de voir sa responsabilité engagée. Pour exemple, une injure ou une diffamation publique peut être punie d’une amende de 12 000 euros.
Il est utile de rappeler que la loi fixe à 10 ans l’âge de la responsabilité pénale. Cela signifie qu’à partir de cet âge, un mineur ayant commis une infraction peut être poursuivi et présenté au juge des enfants. Autant ne pas en arriver à de telles extrémités.
« C’était juste pour rire… » Dans le bureau du chef d’établissement, Maxence, 14 ans, fixe la pointe de ses chaussures. Il esquisse une défense : « Arthur ne m’a jamais dit que cela le dérangeait. Sinon, j’aurais arrêté… » Le principal du collège fronce les sourcils : « Toi, cela te ferait plaisir d’être insulté sur les réseaux sociaux ? Tu trouves ça sympa ? ».
La sentence tombe : en cas de récidive, cela sera l’exclusion définitive du collège, voire des poursuites si les parents de l’élève insulté portent plainte.
Dans le bureau d’à côté, Arthur respire. Cela faisait plus de six mois qu’il était devenu la « tête de Turc » de son camarade. Puis progressivement, de toute la classe… Il venait en classe avec une boule au ventre mais n’osait rien dire, de peur que rien ne change et même, que cela soit encore pire après.
C’est finalement l’un de ses copains qui en a parlé à ses parents. Ces derniers ont pris contact avec le conseiller principal d’éducation (CPE) qui, avec l’accord d’Arthur, a réalisé des captures d’écran sur internet avant de convoquer le harceleur.