Protection de l’enfance : une loi plus sécurisante pour les enfants placés ?

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Par Patricia Guipponi

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La loi du 7 février 2022 sur la protection de l’enfance vise à améliorer la situation des enfants placés : possibilité de les confier à une personne de leur entourage, accompagnement jusqu’à 21 ans par les conseils départementaux, création d’un fichier national des agréments des familles d’accueil… Mais ces mesures sont-elles obligatoires et quels sont les moyens déployés pour leur mise en œuvre ?

La loi sur la protection de l’enfance, appelée loi Taquet du nom du secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles qui l’a portée, a été promulguée le 7 février 2022. Elle prévoit un certain nombre de mesures pour améliorer la sécurité des enfants placés, c’est-à-dire suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE), service de la compétence des conseils départementaux. Elle vise aussi à mieux soutenir les métiers sociaux et à renforcer les contrôles.

La loi concerne près de 340 000 enfants, du nourrisson au jeune majeur de 18 ans, âge de sortie de l’aide sociale à l’enfance. La moitié de ces enfants est placée en famille d’accueil ou en institutions (foyers, villages d’enfants et d’adolescents…). Les autres font l’objet de mesures éducatives et protectrices au sein de leur famille, accompagnée par les services sociaux.

Un quart des SDF sont d’anciens enfants placés

En soutenant sa loi devant les parlementaires, Adrien Taquet a insisté sur la nécessaire prise en charge des majeurs de moins de 21 ans par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Fini le couperet de la majorité qui courait jusqu’alors. Le secrétaire d’État a rappelé une triste réalité : un quart des sans domicile fixe français sont d’anciens enfants placés.

Sur décision des présidents des conseils départementaux, les jeunes de moins de 21 ans y compris ceux qui sont sortis de l’ASE seront accompagnés en cas de non-ressources ou de soutien familial insuffisant. Ils seront prioritaires dans l’attribution d’un pied-à-terre adapté à leur situation (chambre universitaire, logement social, foyer de jeunes travailleurs…).

Ils bénéficieront d’un soutien financier. Pour les étudiants, cela se traduira par le versement de bourses. Une allocation garantie jeune sera octroyée à ceux qui seront engagés dans un parcours d’insertion. Une aide financière sera attribuée aux jeunes sans perspective de travail ni ressources. Ils pourront notamment être aiguillés vers un contrat d’insertion dans la vie sociale.

Un entretien de suivi devra être organisé par le Département avec le jeune majeur, six mois après la sortie de l’ASE, afin de faire le bilan de son parcours et de son accès à l’autonomie.

L’accompagnement jusqu’à 21 ans décidé par les Départements

Lyes Louffok*, membre du Conseil national de protection de l’enfance, salue l’avancée qui met fin aux sorties sèches de l’ASE à la majorité de l’enfant placé. Cependant, il relève que la prise en charge prolongée jusqu’à 21 ans reste floue. « La loi ne dit rien sur le contenu et la durée de cet accompagnement… On va encore se retrouver dans des situations inégalitaires qui dépendront des moyens et de la volonté des Départements », déplore-t-il.

Baptiste Cohen, directeur du Pôle protection de l’enfance à la fondation Apprentis d’Auteuil, partage cet avis. « La loi est pleine de bonnes intentions mais il n’y a pas d’obligations formelles concrètes. Chaque Département reste autonome pour apprécier l’absence de ressources et de soutien familial dont il est question pour bénéficier de l’accompagnement. »

Quant à l’entretien de bilan de parcours que pratiquaient déjà certains départements, comme le souligne Baptiste Cohen, son obligation généralisée est bienvenue. « Mais il ne doit pas rester sans suite car rien n’est figé à cet âge-là. On ne trace pas son avenir à 18 ou à 21 ans. » La fondation Apprentis d’Auteuil et Lyes Louffok avaient milité pour une prise en charge des jeunes placés jusqu’à 25 ans. « Qu’on soit issu de l’ASE ou pas, on n’est pas autonome du jour au lendemain surtout de nos jours dans ce contexte socio-économique », plaide Baptiste Cohen.

Un contrôle des personnes autour de l’enfant placé

La loi Taquet permet par ailleurs le placement des enfants dans l’entourage proche avant d’avoir recours à l’aide sociale à l’enfance. Elle interdit aussi l’installation à l’hôtel des enfants placés excepté dans les situations d’urgence pour assurer la mise à l’abri des mineurs et pour une durée inférieure à deux mois. « Chercher un proche de confiance dans l’entourage de l’enfant, comme une tante, un cousin, un voisin, c’est plutôt une bonne chose », reconnaît Lyes Louffok. « À condition qu’il y ait un contrôle et un accompagnement de ces personnes. »

Le militant des droits de l’enfant se félicite de la création d’un fichier national des agréments des familles d’accueil. « C’est un bel outil de traçabilité car jusqu’alors, quand on retirait l’agrément à une famille, il était facile d’en obtenir un dans un autre département. » Encore faut-il que l’on « donne les moyens suffisants pour administrer ce fichier et c’est là que le bât blesse. La loi Taquet est une loi à zéro euro. On ne dit pas comment on va financer ses mesures. »

La loi systématise les contrôles de toute personne intervenant auprès des enfants de l’aide sociale à l’enfance afin qu’aucun condamné pour infractions sexuelles ne puisse travailler à leur contact. Une meilleure prévention des risques de maltraitance dans les établissements de l'ASE sera assurée avec la désignation d'un référent indépendant qui interviendra en cas de difficultés. L’enfant sera accompagné par un parrain, une marraine ou un mentor lors de son entrée au collège.

L’aide sociale à l’enfance : un travail humain qui demande du temps et des moyens

Baptiste Cohen de la fondation Apprentis d’Auteuil voit d’un bon œil ces mesures d’encadrement protectrices. Il s’inquiète toutefois de leur mise en pratique. « Les services sociaux vont avoir du mal à identifier toutes ces personnes. Il y en a déjà beaucoup qui transitent autour de l’enfant. »

Selon les chiffres dévoilés par Adrien Taquet, lors de son discours de présentation de la loi, l’aide sociale à l’enfance emploie 100 000 travailleurs sociaux et 40 000 assistants familiaux, sans compter l’ensemble des personnels paramédicaux et médicaux, les 486 juges des enfants et une centaine de greffiers.

« Ce travail humain demande du temps et des moyens », insiste Baptiste Cohen qui regrette que les parents soient les grands oubliés de l’affaire. « Tous les parents ne sont pas violents et maltraitants. Or, on a trop tendance à les considérer avant tout comme des dangers. L’action publique a un vrai déficit de vision de la place à leur donner ».

* Lyes Louffok a fait le récit de son vécu d’enfant placé et maltraité dans le livre « Dans l’enfer des foyers ». Livre de poche, éditions J’ai Lu. Le téléfilm « L’enfant de personne », diffusé en novembre 2021 sur France 2, est tiré de son ouvrage.

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