Que devient notre empreinte numérique à notre mort ?

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Par Nathania Cahen

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La mort biologique n’est pas concomitante à la mort numérique. Aux documents et biens que l’on laisse derrière soi après sa mort, s’ajoutent désormais des données digitales personnelles (comptes bancaires en ligne, abonnements, mots de passe…). Ou publiques (réseaux sociaux, vie associative…).

Sachant que 86 % des Français utilisent internet, nous sommes donc presque tous concernés par les données digitales que nous laisserons à notre mort.

Lors du colloque « La mort, si on en parlait », organisé par VYV, la maison des Obsèques et la MAIF, qui s’est tenu à Marseille en novembre 2019, des professionnels aux expertises complémentaires ont abordé cette petite révolution sous des angles différents.

Un testament plus complet

Mathieu Fontaine, notaire à Saint-Paul Trois Châteaux, dans la Drôme, a insisté sur l’intérêt de préparer un testament approprié et d’adjoindre aux dispositions classiques de nouvelles concernant votre empreinte numérique. Que vous souhaitez-vous en faire ? Effacer, figer, animer ? « Nous nous interrogeons depuis une dizaine d’années sur le traitement des nouveaux usages et des nouveaux contenus qui ont grossi nos patrimoines et rentrent désormais dans certaines successions », indique Me Fontaine. Désormais, plus aucune distinction n’est faite entre les différents supports que constituent les papiers, clés USB, CD…, tous également pris en considération.

Le notaire regrette le vide juridique qui prévaut encore : Yahoo a ainsi refusé de transmettre les identifiants d’un compte mail essentiel pour une petite PME internationale. Des enfants n’ont pu accéder au compte bitcoin de leur père faute de clé cryptographique et ont épuisé tous les recours. « Cela peut impliquer aujourd’hui de débattre en famille de ces questions, de réussir à communiquer sur le sujet pas évident de la mort et des volontés de chacun. Soyez responsable de votre vivant, prévoyez et listez tous vos comptes en banque, tous les sites dont vous êtes adhérents (Airbnb, Blablacar, Itunes…), vos écrits et photos en ligne… ». Mathieu Fontaine pointe aussi des visions parfois très décalées d’un pays à l’autre.

Protectrices en France quand, aux États-Unis, il est possible d’exploiter les photos du compte Facebook d’une personne décédée et que le réseau social continue à vous suggérer de souhaiter un bon anniversaire à des disparus (N.D.L.R. : avec 30 millions de comptes de défunts aujourd’hui, Facebook comptera en 2050 plus de morts que de vivants -source Internet Institute Université d’Oxford).

La loi pour une République numérique

La loi pour une République numérique a été promulguée le 7 octobre 2016. Elle est issue d’un processus inédit à l’initiative d’Axelle Lemaire (alors secrétaire d’État chargée du numérique), qui a débuté fin 2014 par une concertation nationale sur les enjeux du numérique et s’est poursuivi à l’automne 2015 par une consultation en ligne sur le texte de l’avant-projet de loi. Cette loi entend encourager l’innovation et l’économie numérique, promouvoir une société numérique protectrice et garantir l’accès de tous au numérique. Plusieurs de ses dispositions ont été précisées par une quarantaine de décrets. Mais le décret d’application n’a pas encore été publié.

Protéger l’entreprise

Benjamin Rosoor est le PDG et fondateur de la société Transmitio dont l’activité principale est de prévenir les failles et catastrophes liées à la disparition du chef d’entreprise. C’est un fait divers qui l’a alerté sur cette problématique. « Un webmaster, mort en 2015, détenait tous les codes d’accès et partant, toute la richesse d’une petite entreprise. Sa veuve n’avait pas les codes. Il a fallu trouver un petit génie de l’informatique pour craquer l’ordinateur et récupérer les données ».

Le postulat de départ est sans appel : il y a en moyenne 27 codes et identifiants dans les entreprises, qui donnent accès à des informations stratégiques (fichiers clients, contrats, facturation…) Un décès, une maladie invalidante, une démission, un licenciement et tous ces secrets peuvent quitter l’entreprise, ou l’association.

Cette réflexion a débouché sur la création de Transmitio, qui permet de stocker dans un endroit sécurisé toutes les clés numériques (identifiant + mot de passe) avec le nom de légataires ou d’héritiers – qui ne sont pas forcément la famille. Benjamin Rosoor souligne au passage que les plateformes s’organisent peu à peu et que sur LinkedIn, par exemple, si le « formulaire de vérification du décès » est validé, le compte est supprimé.

Pour autant, bien des questions restent encore en suspens aujourd’hui : chiffrer la valeur d’un patrimoine numérique, la valeur intellectuelle et affective d’un blog ou de créations dématérialisées. Faut-il pérenniser un site internet au motif que c’est de l’ordre d’une production comme un livre, un journal ? Comment faire en sorte que le deuil reste du ressort de l’intime et ne soit accaparé par d’autres qui s’approprient et s’épanchent sur le profil public d’un proche disparu ?

Les avantages du faire-part numérique

Forte de deux constats, Clémentine Piazza a créé le site InMemori en 2016. Suite à un décès, les informations pratiques sur les obsèques doivent être communiquées rapidement au plus grand nombre et un espace de condoléances est nécessaire. « Notre mission première, c’est de donner la possibilité à ceux qui viennent de perdre un proche de rassembler et d’informer toutes les personnes concernées. Depuis un espace en ligne privé, la famille peut ainsi faire part du décès et transmettre les informations pratiques sur les obsèques comme la date et le lieu. Elle peut aussi organiser une collecte de dons pour soutenir une association chère au défunt ou pour financer la recherche contre une maladie », explique la fondatrice de la plateforme.

InMemori permet par ailleurs aux proches du défunt de lui rendre hommage, en déposant un message de condoléances, en partageant un message, un souvenir, une photo. « Ce qui rassure les familles endeuillées c’est la dignité et la sobriété du site où ne figure aucune publicité. » InMemori se présente comme un service gratuit, où seules les options sont payantes (offrir des fleurs pour la cérémonie, faire un don à une association ou encore commander le livre rassemblant l’ensemble des hommages partagés sur le site). Pour les proches, c’est aussi la possibilité de choisir le temps, le bon moment pour l’écriture de paroles de réconfort.

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