Qu’est-ce qu’une entreprise à mission ?

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Par Yann Cabaret

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Depuis la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises dite loi Pacte, les sociétés qui le souhaitent peuvent intégrer une mission dans leurs statuts. Une possibilité pour elles de s'engager encore plus volontairement dans la poursuite d'objectifs sociaux et environnementaux.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, avant la loi Pacte, l’entreprise n’avait juridiquement aucun autre objectif que d’« avoir un objet licite et [d’]être constituée dans l’intérêt commun des associés » (article 1833 du Code civil)… La Loi du 22 mai 2019 enrichit cette définition en intégrant la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), précisant que la société « est gérée dans son intérêt propre, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

En plus de consacrer la RSE dans la définition de l’entreprise, la loi Pacte introduit deux évolutions juridiques importantes. L’entreprise peut désormais préciser dans ses statuts une « raison d’être » explicitant son projet collectif et lui donnant ainsi une portée de long terme. Elle peut aller encore plus loin, en choisissant comme raison d’être de résoudre un problème social ou environnemental défini, et précisé par des objectifs, et de devenir ainsi société à mission.

PME, groupes cotés, mutuelles…

Avant même que la loi ne précise le cadre juridique de l’entreprise à mission, plusieurs sociétés s’étaient déjà engagées dans cette voie. Depuis, des groupes plus importants se sont positionnés. Danone, fin juin, a été la première entreprise cotée à se lancer avec la mission d’« apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ». En juillet, la Maif a décidé, dans une démarche identique, de placer l’attention portée aux sociétaires, parties prenantes et à la société dans son ensemble au cœur de toutes ses actions. Dans le monde mutualiste — dont l’entreprise à mission consacre les idées et les principes —, cette décision semble naturelle et Harmonie Mutuelle (Groupe VYV) a, elle aussi, choisi d’y travailler dans la perspective de son assemblée générale 2021. « Harmonie Mutuelle est depuis sa création engagée pour la transformation sociale. Notre ADN, c’est la solidarité organisée par un collectif puissant et agissant, ancré dans les territoires et dans la vie des entreprises. Aujourd’hui, nous souhaitons devenir une entreprise mutualiste à mission en inscrivant nos engagements de toujours dans nos statuts », a ainsi récemment expliqué Stéphane Junique, président d’Harmonie Mutuelle.

Au cœur du modèle de l’entreprise

On peut s’interroger sur la portée réelle de ces nouveaux engagements par rapport aux politiques RSE dont se dotent les entreprises depuis une vingtaine d’années. Celles-ci mènent, en effet, déjà des actions pour réduire ou compenser les impacts environnementaux et sociaux de leur activité. Qu’est-ce que cette qualité d’entreprise à mission va apporter ? « Par rapport aux politiques RSE, explique Hortense Pruvost, manager Deloitte et corédactrice du guide “Entreprises à mission : de la théorie à la pratique”, l’entreprise à mission place ces objectifs sociétaux, non plus à côté, mais au cœur du modèle de l’entreprise, de sa stratégie et de ses choix d’investissement. »

Pour y parvenir, la loi pose un cadre juridique précis. L’entreprise doit se donner des objectifs, se doter d’un comité de mission (composé de salariés et d’experts du sujet) qui évaluera l'exécution des objectifs sociaux et environnementaux. Cette mise en œuvre doit également être vérifiée par un tiers indépendant s’appuyant sur les travaux du comité de mission.

Demain, toutes des entreprises à mission ?

Derrière cette nouvelle gouvernance, l’entreprise qui se fixe une mission doit ainsi revoir la coordination des différents secteurs et opérations, la définition de l’offre, la conception du business model… bref, opérer un réel alignement du modèle économique avec la mission. Une démarche longue qui nécessite de créer de nouveaux cadres, de faire des choix et d’investir du temps, des hommes et de l’argent. « Toutes n’ont pas cette ambition ou ne disposent pas des moyens nécessaires à cette transformation, estime Hortense Pruvost. En revanche, n’importe quelle entreprise peut d’ores et déjà se doter d’une raison d’être et inscrire sa proposition de valeur dans ses statuts. C’est une démarche très structurante qui donne de la stabilité à l’entreprise en lui permettant de se projeter à long terme et en évitant de voir ses activités déformées par des changements de direction ou d’actionnariat. »

D’où vient l’entreprise à mission ?

L’idée d’entreprise à mission s’inscrit dans la réflexion menée un peu partout dans le monde suite entre autres à la crise financière et économique de 2008. En France, les travaux de la chaire Théorie de l’entreprise à Mines ParisTech sur le statut et le rôle de l’entreprise dans la société et ceux du programme de recherche pluridisciplinaire du collège des Bernardins sur la question de la responsabilité et la propriété de l’entreprise peuvent être évoqués. Cette réflexion avait nourri le rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » remis par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard au gouvernement en 2018 et sur lequel les travaux de la loi Pacte se sont, par la suite, appuyés.

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