Regards croisés sur la consommation collaborative

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Par Angélique Pineau-Hamaguchi

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

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Qu’est-ce que la consommation collaborative ? Et pourquoi connaît-elle un tel succès, en France ? Réponses avec deux experts.

Comment définiriez-vous la consommation collaborative ?

Philippe Moati : Personne n’est d’accord sur les contours précis. Ce sont des modes de consommation qui mettent en relation directe des particuliers, à travers des plateformes internet, ou qui permettent de mutualiser des choses entre particuliers. Au sein de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), on parle plutôt de « consommations émergentes ». Car on pense que le phénomène est bien plus large que des sites comme BlaBlarCar, Le Bon coin et Airbnb. Il y a un mouvement plus général : une forme de mécontentement à l’égard du système marchand traditionnel, qui s’exprime à travers des pratiques alternatives. Pour autant, ce n’est pas du tout un rejet de la consommation. Bien au contraire. Ce sont souvent les hyper-consommateurs qui sont les plus engagés dans ces pratiques.

Samuel Roumeau : Les acteurs de la consommation collaborative s’appuient en général sur les travaux de l’Américaine Rachel Botsman*. Elle distingue trois types d’usage collaboratif. Le premier, c’est le « produit-service », c’est-à-dire qu’on transforme un produit en service (la voiture en moyen de relier un point A à un point B, dans le cas du covoiturage). La priorité devient l’usage d’un bien plutôt que sa propriété. Le deuxième regroupe les systèmes de redistribution qui favorisent la revente, le don, le prêt et l’échange de biens et de services. À l’image du site d’occasion Le Bon coin, très utilisé en France.
Enfin, le troisième type d’usage, ce sont les modes de vie collaboratifs, basés sur l’idée du partage, comme le coworking (on partage des bureaux, des imprimantes, des salles de réunion…), le couchsurfing (dormir sur le canapé d’un inconnu quand on part en voyage), mais aussi les achats groupés ou Amap**… C’est tout cela la consommation collaborative.

* Coauteur de « What is mine is yours : the rise of collaborative consumption » (en français : Ce qui est à moi est à vous : la montée de la consommation collaborative), paru en 2010. Un livre qui a médiatisé la consommation collaborative à travers le monde.
** Associations pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne.

 

Ces nouvelles pratiques rencontrent un certain succès en France. Pourquoi selon vous ?

Philippe Moati : Souvent, on justifie ce succès par des arguments autour de la notion de responsabilité (prise de conscience de l’impact sur l’environnement, volonté de créer du lien social…), mais les motivations sont d’abord et avant tout économiques. De ce point de vue, la crise est un puissant vecteur. La situation budgétaire des ménages est plus tendue ces dernières années. Alors pour maintenir leur mode de vie, les Français inventent ou réinventent de nouvelles manières de consommer. Elles permettent de dépenser moins ou d’en avoir plus pour le même prix.

Samuel Roumeau : Les gens viennent en effet à la consommation collaborative parce qu’ils y voient un moyen de faire de petites économies ou de rentabiliser des ressources jusque-là sous-utilisées. Mais rapidement, ils se rendent compte qu’il y a d’autres bénéfices. Des bénéfices d’ordre sociétal (la possibilité de partager, d’être ensemble) et environnemental (une diminution de notre empreinte écologique). C’est aussi une façon de se réapproprier notre consommation, de ne plus être un simple receveur de messages publicitaires et de trouver plus de sens. Et une fois que les gens ont goûté à ce genre de pratiques, ils continuent et les diversifient.

La consommation collaborative est donc une vraie tendance de fond, pas juste un effet de mode. Elle peut aussi avoir des effets sur l’économie traditionnelle ?

Philippe Moati : Même si le pouvoir d’achat repartait à la hausse (ce qui n’est pas évident), il n’y aurait pas de recul significatif de ces pratiques. Elles sont en train de s’ancrer profondément dans nos habitudes. Et elles pourraient bien pousser l’économie tout entière à évoluer vers ce que j’appelle une économie des « effets utiles ». C’est-à-dire qui se soucie de trouver des solutions aux problèmes des gens, bien plus que de produire des marchandises, avec les effets environnementaux que l’on connaît. Il faut aller vers un fonctionnement qui dissocie création de richesses et consommation de ressources naturelles. Les Français sont prêts à cela, c’est ce que révèlent ces pratiques.

Samuel Roumeau : La consommation collaborative touche aujourd’hui toutes les générations. Ce sont les jeunes qui ont impulsé le mouvement. Mais, maintenant, tout le monde s’y met. Cela s’est propagé dans la société. Et cela ne se passe plus seulement à l’échelle des individus. Des institutions publiques ou des grandes entreprises réfléchissent aujourd’hui à de nouvelles façons de fonctionner, de produire, de vendre, de proposer des services. Et cela ne fait que commencer, car le phénomène est tout récent.

Mais la consommation collaborative prend également, parfois, des allures de « concurrence déloyale » ?

Philippe Moati : On commence, effectivement, à se le demander. D’autant plus que ces plateformes, qui venaient souvent au départ du monde associatif et militant, sont en train de devenir de véritables entreprises. C’est clair avec Uber par exemple, spécialiste du VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur), et on voit bien que cela peut faire du mal aux taxis. Idem avec Airbnb (le site de locations saisonnières entre particuliers) et l’hôtellerie. Car il n’y a pas ici toute la réglementation, la fiscalité et les charges sociales qui existent dans l’économie traditionnelle. Donc cela va être un vrai défi pour les pouvoirs publics que d’avoir une attitude claire par rapport à cela. Car, pour l’instant, elle ne l’est pas.

Samuel Roumeau : Il y a parfois ce que l’on peut considérer comme une forme de concurrence déloyale. Mais c’est en train de changer. Par exemple aux États-Unis, dans la ville de Portland, Airbnb s’est engagé à récolter les taxes auprès de ses utilisateurs et ils sont maintenant contraints de les payer au même titre que les hôtels. Le mouvement est récent et la législation n’a pas encore eu le temps de s’adapter. Un cadre juridique est certes nécessaire, mais il ne devra pas être trop strict, au risque de l’étouffer. Et puis, c’est aussi une forme de concurrence tout court. Les acteurs traditionnels sont obligés de s’adapter, de trouver de nouvelles réponses. Ce qui peut avoir des effets bénéfiques pour le consommateur.

Par Angélique Pineau-Hamaguchi

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