Coopératives de livreurs et de chauffeurs, une alternative éthique aux plateformes numériques

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Par Alexandra Luthereau

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Face aux géants en ligne de réservations de chauffeurs VTC, de locations d’appartements ou de livraisons de repas, des initiatives sous forme de coopératives émergent comme des alternatives éthiques et solidaires. Leurs maîtres-mots : salariat, qualité et pérennité.

Airbnb, Deliveroo, Gorillaz, Uber… en une dizaine d’années, ces plateformes numériques ont bouleversé notre quotidien. Ces services, accessibles depuis un site Internet ou une application mobile, permettent la mise en relation entre un particulier et un fournisseur de service : livreur de repas, propriétaire souhaitant louer son appartement ou un chauffeur VTC (voiture de transport avec chauffeur). Il n’a jamais été aussi facile d’accéder à ces services en quelques clics.

Mais la réalité est moins dorée pour les travailleurs auto-entrepreneurs de ces plateformes : pas de contrat de travail ni d’accès aux droits du travail salarié, rémunération à la course, horaires à rallonge, baisse du tarif des courses chez des plateformes où ce sont des algorithmes - c'est-à-dire des programmes informatiques - opaques qui décident de l’attribution des courses… Bref, ces plateformes signifient pour eux précarité et mauvaises conditions de travail.

Coopérative : lucrativité limitée et gouvernance démocratique

Face à cette économie des plateformes numériques aussi appelées « ubérisation », en référence à l’entreprise de VTC Uber, des travailleurs s’organisent collectivement depuis quelques années en créant des coopératives. Ces structures de l’économie sociale et solidaire reposent sur une lucrativité limitée et une gouvernance démocratique, selon le principe un sociétaire (un salarié qui a acheté des parts sociales), une voix. Ainsi, avec ces coopératives, les travailleurs reprennent la main sur leur travail. D’abord, en se salariant. Mais surtout, en gérant eux-mêmes leur structure, en prenant les décisions liées à leur activité et leur fonctionnement. « La coopérative appartient à ses salariés-sociétaires », résume Cyril Poumailloux, cogérant des Coursiers Bordelais, qui compte sept salariés, dont quatre sociétaires, tous en CDI de 35 heures.

Le mouvement coopératif est particulièrement dynamique dans le secteur des courses à vélo où les initiatives se multiplient. Coursiers Bordelais, Cargonautes à Paris, Naofood et Tout en vélo à Nantes, Kooglof à Strasbourg… Une quarantaine de coopératives de livreurs à vélo sont nées depuis le mitan des années 2010. Beaucoup sont réunies au sein de la fédération internationale Coopcycle. Laquelle propose d’ailleurs, sur sa page d’accueil, un moteur de recherche des restaurants partenaires des coopératives ville par ville.

Des salariés sociétaires “patrons” de leur coopérative

En revanche, côté course en VTC, une activité largement dominée par l’entreprise Uber, la mise en place de coopératives de chauffeurs peine à se mettre en place. Brahim Ben Ali, représentant national des VTC du syndicat national INV, compte bien faire bouger les lignes. Dans le sillage d’un mouvement social en 2019 dénonçant les dérives de l’ubérisation, il cofonde avec 50 chauffeurs privés la Scic Maze en 2022, dans laquelle le conseil départemental de Seine-Saint-Denis est également sociétaire. La coopérative compte aujourd’hui plus de 700 chauffeurs, dont 500 sont sociétaires. 5 000 autres sont encore sur liste d’attente.

Cette coopérative propose pour l’instant des véhicules avec chauffeurs à des entreprises et des collectivités d’Île-de-France. Avant, de se développer dans d’autres régions et éventuellement sur le marché des courses de particuliers. Là encore, il s’agit de salarier les chauffeurs, leur permettre d’avoir un revenu garanti tous les mois et des horaires précis, sans dépendre d’un algorithme. En outre, ces chauffeurs participent aux décisions relatives à leur entreprise, en étant leurs propres patrons en somme. C’est pourquoi Maze clame « la coopérisation plutôt que l’ubérisation des chauffeurs », pointe Brahim Ben Ali.

Ne pas laisser les centres-villes aux seuls touristes

Dans le domaine du tourisme, la problématique de l’ubérisation est différente. La
« plateformisation » de la location d’appartements de particuliers, avec l’essaimage d’Airbnb partout dans le monde, conduit à laisser les touristes occuper les centres-villes (certains parlent de « touristification »). L’attrait de la rentabilité pousse des propriétaires à proposer leur logement pour des locations touristiques de courte durée sur Airbnb plutôt que le proposer à la location longue durée pour les habitants. Résultat, à Paris, Barcelone, ou Lisbonne par exemple, les logements disponibles pour les locaux manquent. Et qui dit pénurie, dit augmentation des loyers.

En 2018, un groupe d’amis a fondé la coopérative Fairbnb. Son principe ? Proposer un tourisme plus durable qui profite aux locaux et où les rencontres et l’accueil priment, plutôt que la rentabilité locative. De plus, la plateforme reverse la moitié des commissions perçues sur les locations des logements à des projets sociaux ou écologiques locaux. Parmi les projets financés, citons l’école Thot de cours de français pour réfugiés ou encore l’association Casa qui aide les sans-abri au Portugal. « L’idée est que la valeur du logement reste dans la communauté locale. Fairbnb promeut un tourisme plus durable », insiste Chloé Lelouey, responsable Fairbnb France et Portugal.

Choix éthique de la coopérative…

Pour le client, qu’il soit professionnel ou particulier, faire appel à une coopérative « c’est donc choisir une entreprise éthique qui s’oppose aux plateformes », résume Cyril Poumailloux, des Coursiers Bordelais. « Les coursiers sont salariés, avec tous les droits associés, ils ont des congés payés, un salaire digne de ce nom à la fin du mois », abonde Audrey, de la boutique « Fleurs de Mars » à Bordeaux qui a choisi ce service précisément pour ses conditions de travail respectueuses.

… et qualité des services

Ces coopératives entendent se démarquer aussi par des services qu’ils veulent de hautes qualités et centrés sur l’humain, plutôt que sur des algorithmes. Les coursiers à vélos revendiquent un service de proximité où il est toujours possible d’échanger par téléphone avec une personne de la coopérative. Maze espère redorer le blason des chauffeurs VTC en proposant des chauffeurs formés et une prise en charge de toutes les courses y compris pour les personnes vulnérables et à mobilité réduite.

Autre gage de qualité : sur Fairbnb, la totalité des 1620 annonces de particuliers et non d’agences immobilières touristiques - pour des logements en France, en Italie, au Portugal, en Espagne, aux Pays Bas et bientôt au Royaume-Uni - sont vérifiées et répondent strictement aux réglementations en vigueur de chacun des territoires : demande d’autorisation auprès des autorités locales, apposition de son numéro d’enregistrement sur les annonces en ligne, respect du nombre de jours maximum de mise en location.

Notons qu’en 2021, Airbnb a été condamné à verser huit millions d’euros à la Ville de Paris pour ne pas avoir retiré de sa plateforme des annonces non enregistrées, comme l’exige la réglementation de la capitale.
Reste qu’aujourd’hui, ces alternatives ne représentent qu’une infime part des activités en question. Mais pour Clément Breard, autre cogérant des Coursiers bordelais, elles ont le mérite « de montrer qu’un autre modèle social, basé sur le salariat, est possible » dans le métier. Et que ça marche.

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