L’économie sociale et solidaire pourrait-elle fédérer la France de demain ?

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Par Nathania Cahen

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© ALAIN BUJAK

L’ouvrage « Pour une économie de la réconciliation - Faire de l’ESS la norme de l’économie de demain »* relève de l’essai politique et du plan d’action. Jérôme Saddier, président de l’Avise, d’ESS France et du Crédit Coopératif, démontre comment l’économie sociale et solidaire (ESS) peut rendre notre société plus juste. Et propose des engagements, des actions possibles et des « utopies concrètes ».

Une autre organisation de l’économie est possible : c’est le postulat que l’on retrouve en filigrane dans les différentes thèses esquissées au fil de l’ouvrage « Pour une économie de la réconciliation - Faire de l’ESS la norme de l’économie de demain ». L’économie sociale et solidaire ? Trois mots qui désignent un ensemble d'entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations ou fondations. Et dont le fonctionnement interne comme les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale.

« Une organisation de nos activités économiques dans laquelle ce n’est pas l’argent qui commande est nécessaire à l’équilibre de notre société et de nos territoires, ainsi qu’à la pérennité de notre existence sur la planète », plaide Jérôme Saddier, son auteur, également président de l’Avise, d’ESS France et du Crédit Coopératif. Cette organisation doit s’accorder avec d’autres principes que ceux de l’accumulation et de l’individualisme.

L’ESS, « une magnifique expression du projet républicain »

Qui dit économie dit politique, puisqu’il s’agit de servir la société et les individus qui la composent. De fait, « l’ESS est éminemment politique », confirme Jérôme Saddier, qui cite volontiers Pierre Mendès France** : « La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle du citoyen non seulement sur les affaires de l’État, mais sur celles de la région, de la commune, de la coopérative, de l’association, de la profession […] ».

La période actuelle est celle d’une crise à grande échelle, révélatrice d’échecs, d’inégalités (sociales et environnementales). Pour la dépasser, l’économie sociale et solidaire (ESS) propose des alternatives et des outils permettant d’innover et d’entreprendre différemment. Bref, d’agir. Cela suppose certaines valeurs : fonctionner à l’énergie citoyenne, privilégier les intérêts collectifs, endiguer les inégalités et accompagner la transition écologique.

De la finance solidaire à la consommation responsable

Une telle révolution passe obligatoirement par une pensée critique de l’économie, la société et la marche du monde. L’ESS s’appuie aussi sur des tendances de fond positives : finance solidaire et traçable, responsabilité sociétale des entreprises, consommation responsable, numérique au service de l’humain, pratiques citoyennes, énergies vertes, initiatives territoriales… De quoi nourrir la réflexion qui alimente les quatre chapitres de cet ouvrage.

Renouer avec l’esprit collectif

Dans le premier chapitre, « Refonder avec l’ESS une voie de progrès collectif », Jérôme Saddier déplore les fractures de notre société et le délitement de notre « commun républicain » (droit d’engagement, protection des libertés individuelles, attachement à la diversité, valeurs de l’école publique…).

« Le moment est étrange et paradoxal. Nous n’avons jamais eu autant besoin des autres dans l’histoire de l’humanité. Pour nous nourrir, nous déplacer, nous soigner, progresser… Pourtant, nous nous éloignons les uns des autres, comme si le consentement au collectif devenait plus difficile », observe cet homme de convictions.

Refermer cette brèche imposera une refonte profonde des conditions d’élaboration, de conduite et d’évaluation des politiques publiques. Mais surtout un exercice approfondi, encouragé, voire systématique, de la citoyenneté.

Les vertus de l’énergie citoyenne

Le chapitre 2, intitulé « La citoyenneté comme moteur du monde à venir », met en avant l’énergie citoyenne, cet « oxygène brut et inépuisable », ce « creuset de pratiques coopératives et solidaires ». Jérôme Saddier y propose d’inventer la démocratie économique, de créer « le contexte favorable à une prise de conscience universelle s’incarnant dans une multitude d’initiatives économiques et sociales, venus de la société civile ».

Ces initiatives sont constructives dans leurs formes les plus accomplies comme dans les plus émergentes – de la ressourcerie de quartier à l’association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) en passant par la finance éthique et solidaire ou des services de soins et d’accompagnements mutualistes.

Depuis des générations, des solidarités humaines et des mobilisations collectives

Le troisième chapitre, « Les territoires de l’innovation de l’ESS » décrypte comment s’ancre l’économie sociale et solidaire dans le pays, dans les sociétés d’hommes et les terroirs. Ce lien réside dans l’agrégation de besoins et de compétences au service d’une cause ou d’un service à rendre au collectif. Ce lien est enraciné dans les territoires par des histoires et des générations de solidarités humaines, de mobilisations collectives, de savoir-faire partagés.

La « pâte humaine » est dans toutes ces « sociétés de personnes », constituées par les apports de chacun en numéraire ou en nature – ici ouvriers du bois ou viticulteurs, là travailleurs sociaux ou encore artistes.

Redéfinir le contrat social

Le dernier chapitre, « L’entreprise et la démocratie, une réconciliation nécessaire » est l’occasion de rappeler que « le travail est toujours, pour une immense majorité de Français, source de revenus, mais aussi producteur de sens et de dignité (ce qui justifie qu’il devienne un « métier » ou une « profession »), moteur d’émancipation et surtout créateur de droits constituant une protection contre les aléas de la vie. » Il y a donc un enjeu fort à la clé : la redéfinition du contrat social. Ce nouveau contrat social pourra être une protection de base, universelle, constituée de droits sociaux, voire d’un revenu minimum d’activité. Dont tout le monde, vraiment tout le monde, bénéficierait.

Un grand rôle à jouer pour les acteurs de l’ESS

Les idées peuvent changer le monde et l’ESS (l’économie sociale et solidaire) doit y contribuer, dans le cadre d’un projet politique plus large réconciliant la République, la citoyenneté, l’économie et l’écologie. Et Jérôme Saddier d’en appeler aux acteurs de l’ESS : pour créer les conditions politiques du changement, inspirer le reste du monde économique, oser investir et prendre part au débat public.

Le 19e siècle a été celui de la construction de l’égalité. Le 20e, celui de la quête de la liberté. Ces tendances peuvent contribuer à faire du 21e siècle celui de la conquête de la fraternité.

* Éditions Les Petits Matins, collection Mondes en transitions. Avril 2022. 144 pages.

À noter : un débat a été organisé sur le thème du livre de Jérôme Saddier (vidéo du replay), le 24 mai 2022, par l'association des lecteurs d'Alternatives Économiques

Que représente l’économie sociale et solidaire ?

La loi du 31 juillet 2014 donne cette définition légale de l’économie sociale et solidaire (ESS) : « un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine ».

Aujourd’hui, en France, le Panorama de l’ESS (publication de l’Observatoire national de l’ESS) fait état de 2,6 millions d’emplois (dont 67 % occupés par des femmes), créés par 154 679 entreprises et 212 718 établissements. L’ESS est très présente notamment dans l’action sociale (59,5 % des emplois de ce secteur), les sports et les loisirs (58,1 %), les arts et spectacles (31,1 %), les activités financières et assurances (29,7 %).

L’économie sociale et solidaire compte aussi 1,3 million d’associations (représentant 2 millions d’emplois et un budget cumulé de 111 milliards d’euros), 23 880 coopératives, 7 329 mutuelles et 721 fondations.

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