Laurent Grandguillaume : Le modèle repose sur trois principes de base. Le premier, c’est que personne n’est inemployable. Tout le monde doit pouvoir travailler à partir du moment où l’entreprise s’adapte un minimum à la personne. Le second, c’est qu’on peut utiliser le coût du chômage de longue durée pour créer de l’activité économique. En France, cela représente 43 milliards d’euros par an, pris en charge par l’État et les collectivités territoriales, soit 18 000 euros par personne. Or, le SMIC, c’est un peu plus de 20 000 euros par an (cotisations comprises). Enfin, le troisième principe, c’est qu’on ne manque pas de travail en France, on manque d’emplois. Car sur tous les territoires, il y a des besoins non satisfaits.
Le projet des territoires « zéro chômeur de longue durée », c’est donc de mobiliser les coûts du chômage, à la fois pour créer des activités utiles et pour proposer un CDI à ces demandeurs d’emploi. Sous réserve, bien entendu, de ne pas concurrencer les activités qui existent déjà.
En vidéo : À Colombelles, ATIPIC emploie les chômeurs de longue durée
Découvrez l’exemple du territoire de Colombelles dans le Calvados.
L.G. : Plus de 50 % d’entre elles sont liées à la transition écologique, à l’économie circulaire, à la sécurité alimentaire (circuits courts) et au réemploi. Pour le reste, on est principalement sur des activités de proximité avec des services aux personnes qui permettent aussi de lutter contre l’isolement. Concrètement, certains territoires ont développé par exemple une activité de maraîchage, une ressourcerie, une filière bois, un garage solidaire… D’autres ont repris des commerces de proximité qui allaient disparaître.
À chaque fois, plusieurs activités cohabitent au sein d’un même territoire. Car elles sont créées en fonction des envies et des compétences des salariés embauchés. Tout part d’eux et d’un comité local qui rassemble tous les acteurs du territoire.
L.G. : Les dix territoires ont créé une entreprise à but d’emploi (EBE) pour pouvoir recruter des chômeurs de longue durée. En dix-huit mois, les EBE ont déjà embauché environ 650 personnes en contrat à durée indéterminée. Par ailleurs, plus de 350 personnes ont retrouvé un emploi dans le territoire sans passer par l’EBE. Elles ont peut-être bénéficié de la dynamique territoriale, c’est-à-dire des liens entre les différents partenaires réunis autour de ce projet de territoire « zéro chômeur de longue durée ». Parfois, leur profil correspondait tout simplement au besoin identifié par l’un d’entre eux. Au final, plus de 1 000 personnes ont ainsi pu sortir du chômage de longue durée.
Deux territoires (Pipriac en Ille-et-Vilaine et Mauléon dans les Deux-Sèvres) sont même proches de l’exhaustivité. C’est-à-dire qu’ils ont proposé un emploi quasiment à l’ensemble des chômeurs de longue durée présents sur leur périmètre.
L.G. : Oui, car on n’est pas un dispositif défini par un ministère où, pour pouvoir en bénéficier, vous devez rentrer dans une case avec des critères très précis. Et pour qu’il y ait des résultats, on cible d’abord ceux qui ont le plus de chances de retrouver rapidement un emploi. Dans les entreprises à but d’emploi (EBE), il n’y a pas de sélection à l’entrée, si ce n’est qu’il faut être en situation de chômage de longue durée. Ce qui permet de toucher les personnes les plus en difficultés. Pour preuve, en moyenne, les salariés des EBE étaient auparavant au chômage depuis plus de quatre ans.
Les territoires y gagnent aussi beaucoup. Car ces entreprises créent des activités utiles qui génèrent du lien social et de l’activité économique, tout en contribuant à la transition écologique. Et l’emploi amène des recettes fiscales, des cotisations sociales… C’est donc un cercle vertueux. Sans oublier bien évidemment le bien-être pour les personnes qui ont décroché un CDI.
L.G. : Les difficultés des entreprises à but d’emploi (EBE) sont ni plus ni moins les mêmes que dans n’importe quelle entreprise qui vient de se lancer. Ce n’est pas simple, la première année, de dégager un chiffre d’affaires suffisant. Il faut du temps pour faire connaître ses activités sur un territoire (certaines démarrent plus vite que d’autres), pour nouer des partenariats et trouver des clients. Il faut du temps également pour que les équipes se connaissent et apprennent à bien fonctionner ensemble. En clair, les EBE sont des entreprises comme les autres, avec l’humain au cœur de leur projet.
L.G. : Plus de 140 territoires intéressés nous ont déjà contactés, avec tout type de profils : urbains, ruraux et périurbains. Et même parfois des très grandes villes comme Marseille ou Bordeaux. On reçoit des e-mails et des appels tous les jours, pas seulement de France, mais aussi de Belgique, des États-Unis… De grandes institutions internationales, comme l’OCDE* ou la Commission européenne, veulent également en savoir plus sur la démarche.
* OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques.
L.G. : C’est une très bonne nouvelle et une reconnaissance de tout le travail effectué. Cela montre que les pouvoirs publics comprennent l’utilité du projet. Mais maintenant, pour pouvoir réellement l’étendre, il faut qu’il y ait une deuxième loi. Car la première se cantonne uniquement à l’expérimentation sur ces dix territoires. On espère qu’elle arrivera dès 2019 et qu’elle permettra à un maximum de nouveaux territoires de nous rejoindre. C’est pourquoi on ne souhaite pas forcément que cette loi en définisse un nombre précis. L’idée serait que tous ceux qui sont prêts puissent se lancer. Car plus ils seront nombreux, moins il y aura de chômeurs de longue durée dans notre pays.
L.G. : Exactement, et on a bien l’intention de faire en sorte qu’elle le devienne de plus en plus. On espère qu’elle va se multiplier dans de nombreux territoires. En France comme ailleurs. Le projet n’appartient à personne en particulier. Il est né dans la société civile, il a été imaginé au départ par l’association ATD-Quart Monde. Et ce qui est important aujourd’hui, c’est que chacun puisse se l’approprier.