« Coiffeurs Justes » : quand vos cheveux contribuent à nettoyer les océans

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Par Natacha Czerwinski

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Plus de 1 800 salons ont adhéré à cette association innovante qui recycle les cheveux coupés et récupérés chez les coiffeurs. Ceux-ci sont ainsi transformés en filtres anti-pollution destinés à capter les hydrocarbures déversés en mer.

En trois coups de balai experts, Morgane Toutain a rassemblé les cheveux éparpillés au sol. Direction : non pas la poubelle, mais l’arrière-salle de son salon de coiffure. Et plus précisément un grand sac en papier marron siglé « Coiffeurs Justes ».

Depuis un an et demi, la gérante du salon 26 Sablons, situé dans le 16e arrondissement de Paris, a adhéré à cette association qui s’est fixée une mission originale : collecter et valoriser les cheveux coupés en leur donnant une seconde vie, au service de l’environnement.

« Tous les cheveux sont utiles »

Le principe ? Moyennement une adhésion de 25 euros l’année, l’association fait parvenir aux professionnels les sacs (ceux-ci sont vendus un euro pièce, mais de plus en plus de marques les proposent également gratuitement à leurs coiffeurs partenaires). Chaque sac, qui permet de stocker environ un mois de coupes, doit ensuite être renvoyé à l’association*.

« Les frais de port sont à ma charge, mais cela ne me dérange pas, car la cause me tient à cœur, confie Morgane Toutain. Nous mettions déjà de côté des cheveux pour permettre de fabriquer des perruques, mais seules les mèches de plus de 25 centimètres peuvent servir… Là, tous les cheveux sont utiles ! D’ailleurs, les clients sont toujours très intéressés quand je leur explique la démarche. Et, de mon côté, je suis contente d’apporter ma petite contribution à la sauvegarde de la planète. »

* À terme, l’association a pour objectif de mettre en place des points de collecte locaux.

Les cheveux : une fibre aux qualités multiples

Aussi étonnant que cela puisse paraître, aller chez le coiffeur est en effet en passe de devenir un éco-geste. L’initiative en revient à Thierry Gras, le fondateur de Coiffeurs Justes, qui fédère aujourd’hui plus de 1 800 professionnels, répartis sur toute la France. Le concept de cette association, créée en 2015 ? « Se servir d’un matériau aujourd’hui considéré comme un déchet et en faire une matière première », explique ce coiffeur installé dans le Var, qui a développé un système de filtres anti-pollution réalisés à partir des cheveux coupés.

« Traditionnellement, les cheveux étaient tous récupérés. On s’en servait par exemple pour solidifier le plâtre, confectionner des chapeaux ou des pinceaux de calligraphie. Mais le plastique les a progressivement remplacés, précise Thierry Gras. La fibre capillaire présente pourtant des qualités multiples. Elle est solide, isolante, incompressible, imputrescible, hydrophile et lipophile (elle capte l’eau et le gras, N.D.L.R.). Sans compter que cette ressource naturelle est gratuite et disponible en quantité colossale ! »

Mais sa plus-value la plus intéressante, estime le spécialiste, c’est sans doute sa capacité d’adsorption (à la différence de l’absorption, l’adsorption fixe les molécules à la surface d’un solide sans y pénétrer, N.D.L.R.). Le président de l’association assure : « Un kilo de cheveux adsorbe huit litres d’hydrocarbures, soit trois fois plus qu’un filtre synthétique. »

Capter les huiles solaires et circonscrire les marées noires

De ce constat est né le projet de Coiffeurs Justes : créer, en garnissant de cheveux des collants ou bas de contention recyclés, des « boudins » destinés à nettoyer les océans. Ceux-ci peuvent par exemple être placés dans les ports ou les cales des bateaux de plaisance, mais aussi au large des plages pour capter les huiles solaires (particulièrement néfastes pour la vie marine) ou bien pour limiter la propagation du pétrole lors des marées noires. Le procédé a d’ailleurs été expérimenté par des pêcheurs bretons en 1978, après le naufrage de l’Amoco Cadiz, avant d’être repris par une association américaine lors de l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, en 2010.

« L’avantage de ces boudins de cheveux, c’est qu’ils sont utilisables une dizaine de fois. Car, à la différence des filtres synthétiques, ils sont lavables, ajoute Thierry Gras. Et, en bout de course, ils sont utilisables comme isolant dans la construction. » Pour compléter cette démarche d’économie circulaire, l’association collabore avec des Établissements et services d’aide par le travail (Esat) pour la transformation des cheveux et la fabrication des boudins dépolluants.

Des particuliers mobilisés

Si l’association est sollicitée par un nombre grandissant de professionnels, que ce soit en France ou ailleurs en Europe, les particuliers aussi se mobilisent. Certains envoient eux-mêmes des mèches de cheveux*, d’autres incitent leur coiffeur préféré à s’engager dans le mouvement. « Tout le monde devient ambassadeur "Coiffeurs Justes" », se réjouit Thierry Gras.

Ce coiffeur inventif ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là : il a ainsi imaginé que les cheveux puissent être convertis en tapis destinés à éponger les hydrocarbures qui souillent, notamment, les sols des garages automobiles ou des stations-service. Autant dire que vos cheveux ont encore de beaux jours devant eux…

* Pour des questions pratiques, l’association recommande toutefois aux particuliers de passer par leur coiffeur plutôt que de faire des envois individuels.

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