Tout savoir sur la pollution lumineuse

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Par Estelle Hersaint

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

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© Pixabay

Des milliers d’étoiles sont aujourd’hui invisibles des populations urbaines. La nuit n’est plus si noire et se confronte à l’augmentation d’une pollution lumineuse due à une généralisation et à une mauvaise utilisation de l’éclairage artificiel.

La Terre brille dans la nuit : il suffit de voir les photos de l’astronaute Thomas Pesquet pour s’en rendre compte. Mais si les villes sont visibles depuis l’espace, il est difficile d’observer les étoiles depuis la Terre. Aujourd’hui, « un tiers de la population mondiale ne voit plus la Voie lactée », assure Eric Piednoël, directeur de l’association française d’astronomie (AFA). En cause : la pollution lumineuse.

« C’est un problème de quantité de lumière artificielle émise la nuit mais aussi de qualité de lumière, explique Anne-Marie Ducroux, présidente de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN). Toutes les sources lumineuses concourent à cette pollution, que ce soit l’éclairage public (lampadaires, signalisations, projecteurs sur les façades de bâtiments) ou privées (spots dans les parkings, les jardins, les lotissements, les enseignes publicitaires… ) ». La pollution lumineuse est visible « si vous ne pouvez pas voir la Voie lactée qui disparaît à cause des lumières parasites », explique Eric Piednoël. « Le ciel semble rose, orange ou bleu alors qu’il devrait être complètement noir ou seulement éclairé par la Lune». Un halo diffus se forme alors au-dessus des villes, les baignant dans une nuit artificielle, gênant l'observation des étoiles.

En France, très peu d’endroits sont aujourd’hui épargnés par la pollution lumineuse. Peu connue, elle est pourtant en constante augmentation. Depuis les années 1990, le nombre de points lumineux a bondi de 89%, entraînant + 94% de lumière artificielle émise la nuit. Difficile à évaluer, « on estime aujourd’hui l’existence de 11 millions de points lumineux. Un chiffre colossal mais largement sous-évalué puisqu’il ne prend en compte que l’éclairage public ». Les nombreux magasins et enseignes (3,5 millions d’enseignes lumineuses) restent la plupart du temps allumés pendant la nuit. Les publicités lumineuses, les parcs privés participent aussi à l’augmentation de cette pollution.

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Crédit : Eric Piednoel / AFA

Crédit : Eric Piednoel / AFA

Des solutions existent pour lutter contre la pollution lumineuse

Les Français se sentent de plus en plus concernés par la question, « leur conscience progresse », assure Anne-Marie Ducroux. Selon un sondage Opinion Way réalisé en 2018, 50% ont davantage entendu parler de pollution lumineuse ces cinq dernières années et près de 80% sont favorables à la réduction de l’éclairage public en milieu de nuit, là où ils n’étaient que 48% en 2012.

De nombreuses initiatives citoyennes sont organisées dans toute la France afin de sensibiliser les populations à la question. Les Nuits des Etoiles organisées par l’Association Française de l’Astronomie (AFA) ou Le Jour de la Nuit, coordonné par l’association Agir pour l’Environnement donnent ainsi l’occasion de contempler la voûte céleste.

En parallèle, plusieurs collectifs ou citoyens concernés se rassemblent aussi plusieurs nuits par an pour éteindre les enseignes lumineuses des magasins, illégalement allumées. Car si une réglementation existe pour limiter la pollution lumineuse, elle n’est pas toujours respectée.

Des lois pour lutter contre la pollution lumineuse

La prise en compte de la pollution lumineuse et d’une nécessaire protection du ciel et de l’environnement nocturne est récente en France. « L’ANPCEN a fait en sorte de créer un ensemble de textes institutionnels prenant en compte les nuisances lumineuses. On a fait inscrire cette mention dans plusieurs lois et décrets », explique Anne-Marie Ducroux.

Ainsi, à la suite du Grenelle de l’Environnement (2009), trois décrets limitant ces nuisances ont été promulgué. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adoptée en juillet 2016, reconnaît également les paysages nocturnes comme « patrimoine commun de la nation ». Afin de compléter la réglementation, le Gouvernement a publié le 28 décembre 2018 au Journal officiel deux arrêtés : l’un relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses et l’autre fixant la liste et le périmètre des sites d’observation astronomique. « Nous avons les textes, maintenant, il faut que l’Etat et les communes les fassent appliquer », rappelle Anne-Marie Ducroux.

Mieux maitriser la consommation énergétique des communes

Pour l’Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN), si l’Etat peut agir, les marges de manœuvre se situent surtout à l'échelle locale. L’éclairage public des communes dépend du maire, « il lui appartient d’avoir une utilisation raisonnée de l’éclairage artificiel ». A ce titre, l’association propose trois étapes à suivre par les collectivités locales pour réduire la pollution :

  1. S’interroger sur la conception et les finalités de l’éclairage : « Il est possible d’allumer un lampadaire sur deux, de diminuer leurs puissances, d’éviter une diffusion vers le ciel…
  2. Repenser l’usage des équipements existants. « Il faut mieux gérer la durée d’éclairement en milieu de nuit et programmer des extinctions selon les besoins du territoire. Eteindre les lumières entre 1 heure et 6 heures du matin par exemple est une solution pour diminuer la pollution lumineuse tout en faisant des économies »

Selon l’ADEME, l’éclairage public représente 41 % des consommations d’électricité des communes ; soit 37% de leur facture d’électricité. Or, mieux maîtriser sa consommation en adaptant les installations actuelles permettrait de faire 40% d’économie. Aujourd’hui, déjà un tiers des communes françaises éteignent leur éclairage public à certaines heures de la nuit. Toutefois, éteindre peut faire craindre pour la sécurité des rues. Pourtant, « il n’y a pas de relation avérée entre sécurité et éclairage » selon Anne-Marie Ducroux, tant sur la sécurité civile que sur la sécurité routière. La majorité des cambriolages (80 % selon l'ONDRP) a lieu en journée. Sur les autoroutes, désormais éteintes la nuit, les accidents ont diminué d’au moins 30%. « Les conducteurs sont plus vigilants et adaptent leur vitesse de conduite », explique-t-elle.

Troisième étape : changer les équipements vétustes

Alors que selon la présidente de l’ANPCEN, il est inutile d’immédiatement changer l’ensemble de l’éclairage public, c’est pourtant la solution privilégiée le plus souvent par les communes.

C’est aussi la réponse apportée par Dominique Ouvrard, délégué général adjoint du Syndicat de l’éclairage (qui rassemble les fabricants de lampes, de matériels d’éclairage …).« Près de 40% des luminaires publics ont plus de vingt ans (comme les boules diffusantes, les lampes à vapeur de mercure…). Ils consomment trop, ils éclairent mal, ils sont nuisibles et polluants ». Remplacer ces luminaires par des lampes plus efficaces, mieux orientées et dotées de systèmes de gradation de la lumière « permettrait de réduire les consommations d’énergie, les coûts de maintenance et d’entretien, les émissions de CO2 ».

Ces nouvelles installations doivent normalement respecter l’arrêté (2018) relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses qui impose par exemple de ne pas éclairer vers le ciel ou de réduire la proportion de lumière bleue dans les spectres de lumière artificielle (privilégiant ainsi les lumières chaudes).

« Aujourd’hui, si vous achetez un luminaire neuf, ce sera de la LED », assure Dominique Ouvrard. Or, la généralisation des éclairages LED, sources de lumière puissantes et d’une durée de vie longue, ne supprime pas les nuisances lumineuses. Si elles sont censées être actuellement la technologie la plus durable, « les LED ne sont pas la solution écologique et magique qu’on nous promet », assure Anne-Marie Ducroux. Elle invite les collectivités locales à « raisonner en coûts et impacts globaux ». Pour cela, il faut tenir compte « de la performance des lampes, de leur dégradation dans le temps, des coûts de maintenance et d’investissement … sans pour autant se précipiter vers une nouvelle technologie ».

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