Quels sont les liens entre perte de biodiversité et santé humaine ?

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Par Natacha Czerwinski

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Les atteintes portées à l’environnement créent les conditions de l’apparition de nouvelles maladies et font craindre de prochaines épidémies, alertent les chercheurs. Déforestation, élevage intensif, réchauffement climatique : les mécanismes en cause sont multiples.

L’année 2020 devait être celle de la biodiversité, elle a – malheureusement – été celle du Covid. Pour remettre cet enjeu d’envergure au cœur de l’agenda politique, la France a organisé, le 11 janvier 2021, un One Planet Summit consacré à la biodiversité. Les décideurs du monde entier s’y sont notamment engagés à « protéger les écosystèmes terrestres et marins », « mobiliser des financements pour la biodiversité » et « protéger les forêts, les espèces et la santé humaine ».

Car il y a urgence. Dans un rapport rendu public en octobre 2020, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dresse en effet un constat sans appel. Cet organe intergouvernemental de référence prévient que des pandémies apparaîtront plus souvent, se propageront plus rapidement, causeront plus de dommages à l'économie et tueront plus de personnes que le virus actuel, « à moins que l'approche globale de la lutte contre les maladies infectieuses ne soit modifiée ».

« 70 % des maladies émergentes et presque toutes les pandémies connues sont des zoonoses, c’est-à-dire (des pathologies) causées par des microbes d’origine animale », précisent les experts. Ils estiment à 1,7 million le nombre de virus « non découverts » actuellement présents chez les mammifères et les oiseaux (plus de 600 000 d’entre eux pourraient avoir la capacité d’infecter les humains). Pour autant, il serait « erroné de blâmer la faune » pour l’émergence de ces maladies, insistent les spécialistes, car leur apparition est « causée par les activités humaines et les impacts de ces activités sur l’environnement ».

La destruction des milieux naturels bouleverse les équilibres écologiques

Voilà plusieurs années que les scientifiques alertent sur les liens entre dégradations environnementales et épidémies. « Depuis les années 1980, on a vu apparaître deux phénomènes. D’un côté on perd la biodiversité à toute allure – on parle aujourd’hui de près d’un million d’espèces vivantes menacées. De l’autre, trois à cinq nouvelles maladies apparaissent chaque année, ce qui est beaucoup plus qu’avant, détaille Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Qui plus est, on a constaté que ces maladies sont apparues dans des conditions similaires, à savoir des zones où la biodiversité est forte et où elle est menacée. »

L’un des facteurs les plus importants d’érosion de la biodiversité et donc d’émergence de zoonoses ? La destruction des milieux naturels et le changement d’usage des sols. « Quand on passe d’une forêt primaire à un champ ou à une ville, on bouleverse complètement les équilibres écologiques, poursuit Hélène Soubelet. Si l’habitat d’une espèce est détruit ou si ses ressources alimentaires s’amenuisent, elle va être amenée à se rapprocher de l’homme, ce qui facilite le passage d’agents pathogènes de l’animal à l’humain. »

C’est le cas avec l’épidémie à virus Nipah, découverte en Malaisie à la fin des années 1990. Cette maladie s’est propagée parce que des chauves-souris frugivores, privées de leur habitat naturel du fait de la déforestation, se sont rabattues sur des vergers présents dans des fermes d’élevage de porcs. Contaminés par les fruits partiellement mangés par les chiroptères porteurs du virus, les cochons ont, à leur tour, infecté les humains qui étaient en contact avec leurs sécrétions.

Des liens entre l’élevage intensif et l’apparition de zoonoses

Les pratiques agricoles actuelles jouent, elles aussi, un rôle dans l’émergence de nouvelles maladies infectieuses. Dans une lettre ouverte adressée le 15 janvier à Emmanuel Macron, l’association L214 et plusieurs scientifiques de renom appellent ainsi le président à élaborer « un plan de sortie de l’élevage intensif ».

« Lorsqu’on place les animaux domestiques dans des conditions défavorables à leur bien-être et à leur santé, cela augmente les risques d’amplification des pathogènes, explique Hélène Soubelet. Les animaux sont stressés par la promiscuité et l’absence de liens sociaux normaux (ils sont souvent privés de leurs parents), et le stress diminue l’immunité. Ils n’ont pas non plus accès à une alimentation diversifiée (dans la nature, les animaux vont piocher à droite à gauche les plantes qui vont les soulager quand ils sont un peu malades). Comme il y a une érosion génétique chez ces animaux qui sont tous les mêmes, dès qu’un pathogène apparaît, il se diffuse très vite. Et s’il est susceptible de contaminer l’homme, cela se fait très facilement… »

C’est ainsi qu’est née la grippe espagnole à la fin de la Première guerre mondiale, au moment où les élevages commençaient à s’industrialiser. Cette gigantesque pandémie, diffusée à la faveur des mouvements de troupes, a fait, au bas mot, 25 millions de morts.

L’impact du réchauffement climatique sur ces nouvelles maladies

Quant au réchauffement climatique lui-même, il influence également les espèces et peut donc avoir des impacts sur la diffusion de certaines zoonoses.

« Prenons le cas de populations vecteurs de pathogènes comme les moustiques, qui vivent à une certaine température et à une certaine humidité, souligne Coralie Martin, directrice du laboratoire de parasitologie au Muséum national d’histoire naturelle. Quand les températures augmentent, l’aire de répartition des moustiques s’élargit, elle aussi. De plus, on sait que, chez les moustiques qui transmettent le paludisme, la durée du développement du parasite dépend de la température. À 17 degrés, le potentiel épidémique est nul, mais il augmente en fonction de la chaleur. À une trentaine de degrés, il est à son maximum. »

« Biodiversité, santé animale, santé humaine : tout est connecté »

Attention aussi aux « effets cascade » de certaines activités humaines, prévient la chercheuse. Car quand les processus naturels sont perturbés, les conséquences sanitaires peuvent être particulièrement lourdes.

« En Inde, à la fin des années 1990, les agriculteurs ont beaucoup utilisé le diclofénac comme anti-inflammatoire pour soulager les bœufs qui servent aux travaux des champs, raconte Coralie Martin. Or, il est de coutume dans le pays de laisser les carcasses du bétail mort à l’air libre afin qu’elles soient "nettoyées" par les vautours. Mais le diclofénac s’est avéré mortel pour les vautours. Et leur population a quasiment entièrement disparu en quelques années. Ce sont donc les chiens errants qui ont pris le relais et leur nombre a explosé. Le problème, c’est qu’ils sont extrêmement porteurs de la rage… Aujourd’hui, sur les 59 000 personnes qui meurent de la rage par an dans le monde, un tiers vit en Inde. »

Autre exemple, plus proche de nous, avec la prolifération dans nos forêts d’une espèce invasive : l’écureuil de Corée. Vendu en animalerie dans les années 1970, ce petit rongeur a souvent été relâché dans la nature par ses propriétaires. Or, des travaux menés en forêt de Sénart (Essonne) ont montré que l’animal était un important réservoir à tiques, qui sont elles-mêmes des agents de la maladie de Lyme. « Biodiversité, santé animale, santé humaine : tout est connecté, résume la parasitologue. Espérons que l’épidémie de Covid-19 permette de tirer au moins cette leçon-là… »

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  • Santé environnementale

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