Qu’est-ce que la pollution numérique ?

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Par Natacha Czerwinski

Temps de lecture estimé 7 minute(s)

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Sous ses dehors « immatériels », le secteur des technologies de l’information et de la communication est responsable, aujourd'hui, de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et cette pollution numérique a de nombreux effets néfastes, notamment sur la santé.

Envoyer un mail, consulter un site d’information, réserver un billet de train en ligne… : le numérique est dans tous nos gestes du quotidien. Mais ces technologies de l’information et de la communication, qui ont permis de considérables avancées (en matière de détection des maladies, de diffusion des connaissances, d’accès à la culture…) ont aussi leur face sombre. Ce secteur, qui est l’un des plus polluants de la planète, engendre en effet des impacts environnementaux et sociaux d’envergure – et encore souvent méconnus.

Qu’appelle-t-on la pollution numérique ?

On désigne par pollution numérique toutes les formes de nuisances générées par les nouvelles technologies, qu’elles soient liées au fonctionnement d’Internet (transport et stockage des données, fabrication et maintenance de l’infrastructure réseau) ou aux équipements des consommateurs (ordinateurs, smartphones, tablettes…) « Les technologies de l’information et de la communication sont associées à des termes comme ‟virtuel”, ‟immatériel”, et on voudrait nous faire croire qu’il s’agit d’une industrie légère, mais ce n’est pas du tout le cas », observe Florence Rodhain*, docteure en systèmes d’information et maître de conférences à l’École polytechnique universitaire de l'Université de Montpellier.

Quelle est l’ampleur de cette pollution numérique ?

À partir de 2007, les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont commencé à produire autant de gaz à effet de serre que l’aviation civile. Aujourd’hui, le numérique représente environ 4 % des émissions dans le monde, soit un tiers de fois plus que l’aviation civile. « Si ça continue comme ça et que nous ne faisons rien, en 2025 le numérique polluera trois fois plus que l’aviation, prévient Florence Rodhain. Il rejoindra alors le même niveau d’émission que l’ensemble du transport routier léger (autos, motos…) »

Au-delà de la question du réchauffement climatique, le numérique « contribue activement à l’érosion de la biodiversité », fait également remarquer Frédéric Bordage**, fondateur du site de référence GreenIT.fr. La fabrication d’appareils électroniques se traduit en effet par des atteintes à l’environnement telles que la déforestation ou la dégradation des milieux aquatiques.

A quoi cette pollution numérique est-elle due ?

Le cycle de vie d’un objet électronique se décompose en trois grandes étapes : extraction des matières premières et fabrication, usage et fin de vie. Si l’ensemble du processus a des conséquences importantes sur l’environnement, la « palme » des effets indésirables revient aux phases initiales, gourmandes en ressources et en énergie et sources d’innombrables impacts au niveau des écosystèmes.

Ainsi, fabriquer un ordinateur portable de 3 kg nécessite environ une tonne de matières premières et émet environ 200 kg de gaz à effet de serre. Quant à nos smartphones, ils ne contiennent pas moins de 70 matériaux différents, dont 50 métaux, notamment des terres rares***. Or, l’exploitation de ces minerais est responsable d’importants dégâts sur la nature. « Afin d’obtenir un produit presque pur, les roches doivent être raffinées, détaille l’expert du numérique Vincent Courboulay dans son livre Vers un numérique responsable (éditions Actes Sud). Cette opération demande de les broyer, puis de répéter une dizaine de fois des procédés utilisant pléthore de réactifs chimiques, tels que des acides sulfuriques et nitriques. »

La fin de vie des appareils numériques est aussi une source non négligeable de pollutions. « Seuls 20 % d’entre eux sont recyclés de façon responsable, signale Florence Rodhain. Les 80 % restants sont jetés dans des décharges sans prétraitement ou exportés dans les pays du Sud. » Au Ghana, la tristement célèbre décharge d'Agbogbloshie, où sont déversées chaque année près de 40 000 tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques, est ainsi considérée comme l’un des lieux les plus pollués au monde…

« Aujourd’hui, un Américain moyen produit 30 kg de déchets électroniques par an, c’est monstrueux, souligne la chercheuse. Le problème c’est que, dans notre système capitaliste et néo-libéral, il faut renouveler les outils régulièrement pour soutenir la consommation. Mais ce modèle se heurte aux limites de la planète. »

Quelles sont les conséquences sanitaires associées au développement fulgurant des TIC ?

La Terre n’est pas la seule à pâtir de l’explosion de l’industrie numérique. « De façon insidieuse, nos corps sont soumis à rude épreuve », alerte Florence Rodhain. Les effets « boules de neige » de l’utilisation des appareils électroniques sont en effet légion. « Le temps que les enfants passent devant les écrans ne cesse de s’accroître, ce qui augmente leur sédentarité, tandis que leur temps de sommeil se réduit, car la lumière bleue est un excitant, explique la chercheuse. Or, le manque de sommeil et la diminution de l’activité physique sont nocifs pour la santé. Cela accroît les risques cardio-métaboliques, l'obésité, le diabète, les réponses immunitaires défaillantes et, au final, diminue l’espérance de vie. »

Depuis quelques années, les professionnels de santé s’inquiètent également de l’augmentation des cas de myopie, notamment chez les enfants. Si, à l’heure actuelle, un tiers de la population mondiale est myope, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’en 2050, le chiffre devrait atteindre 52 %. « La réduction du temps passé à l’extérieur et l’intensification des activités en vision de près entraînent une hausse du nombre de personnes atteintes de myopie », pointe l’OMS dans son Rapport mondial sur la vision.

Quant aux équipements électroniques mal recyclés, en plus d’être toxiques pour l’environnement, ils constituent également « une bombe sanitaire à retardement », s’inquiète Florence Rodhain. « Dans les décharges où les appareils sont laissés à l’air libre, l’eau de pluie va doucement lessiver les métaux lourds (mercure, plomb, chlore, arsenic…) qu’ils contiennent, décrit l’experte. Ces substances vont s’infiltrer dans les cours d’eau et la nappe phréatique et c’est cette eau qui va alimenter nos légumes… Au final, nous mangeons nos ordinateurs ! »

Quels sont les impacts sociétaux de cette omniprésence du numérique dans nos vies ?

D’après la dernière enquête Médiamétrie, les Français ont passé, en 2020, 2 h 25 par jour sur Internet (un chiffre en progression de 15 % par rapport à 2019). Chez les 15-24 ans, le temps quotidien passé à surfer monte jusqu’à 4 h 23. Certes, la crise sanitaire et les confinements successifs ont renforcé les usages, mais le phénomène n’est pas nouveau.

Ainsi, en 2016, une étude montrait que les Français vérifiaient leur smartphone en moyenne 26,6 fois par jour… « En plus des pollutions matérielles, le numérique génère des pollutions immatérielles, que ce soit dans la relation à soi – quand on est tout le temps derrière son ordinateur ou sa tablette, on se coupe de soi-même – mais aussi dans la relation à l’autre et au savoir, déplore Florence Rodhain. Il y a 20 ans, quand un enseignant faisait son cours, les élèves le regardaient dans les yeux. Aujourd'hui, quand un prof entre dans une salle de classe, il ne voit que des écrans... Les jeunes sont connectés à leurs réseaux sociaux ou jouent à des jeux vidéos, ils n'écoutent que d'une oreille et ont du mal à se concentrer. »

Au travail aussi, « le numérique est une source de stress, ajoute Frédéric Bordage. De plus en plus de salariés ne réussissent plus à faire face à l’avalanche de mails qu’ils reçoivent tous les jours, et cette surcharge cognitive contribue au burn out. » Sans compter que, depuis l’apparition du web, les sources d’information ont également connu un boom sans précédent. Et il est parfois difficile de faire le tri… « Les perles de notre savoir sont noyées au milieu d’un océan de fake news, poursuit l’expert. On ne sait plus où trouver des renseignements fiables, ce qui entraîne une perte progressive de repères et de confiance, tant dans les institutions que dans les médias. »

*Florence Rodhain est l’auteure du livre La nouvelle religion du numérique – le numérique est-il écologique ? (éditions EMS).

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