Maladies et traitements
Recyclage : une deuxième vie pour les produits d’hygiène des hôtels
Publié le
Par Natacha Czerwinski
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De prime abord, la petite camionnette électrique, qui sillonne deux fois par semaine les rues de Paris et de la proche banlieue, ne paie pas de mine. Mais les apparences sont trompeuses : sous ses dehors banals, l’estafette blanche, siglée « Hôtels solidaires », remplit une mission ô combien essentielle : contribuer à réduire l’énorme gaspillage qui se joue, en coulisses, dans les établissements hôteliers.
« L’association est née lorsqu’un des cofondateurs, alors veilleur de nuit dans un hôtel, était chargé de jeter les viennoiseries des buffets du petit-déjeuner, raconte Karine Sadaka, coordinatrice des Hôtels solidaires. Il trouvait ça inconcevable de le faire alors que tant de personnes sont dans le besoin. Il a donc commencé à les récupérer pour les redistribuer. Puis, il a compris que la problématique était la même dans tous les hôtels, et que les produits d’hygiène étaient aussi concernés. En effet, lorsqu’on prend une douche ou qu’on fait un shampoing dans un hôtel, on n’utilise qu'une partie infime des échantillons, qui sont ensuite jetés. »
28 000 produits d’hygiène sauvés chaque année
Depuis 2018, l’association Les Hôtels solidaires collecte donc les viennoiseries et les produits d’hygiène de ses établissements partenaires (une quarantaine en Île-de-France et une quinzaine à Rennes). Elle les remet ensuite à des structures soutenant les plus démunis (Armée du salut, Emmaüs, Aurore…). Depuis sa création, l’organisme a pu aider 60 000 personnes grâce aux quelque 15 000 viennoiseries et 28 000 produits d’hygiène sauvés chaque année.
« Pour ce qui est des flacons de gels douche et de shampoing, nous demandons aux hôtels de nous donner des produits au moins à moitié pleins. Mais il est très fréquent que nous récupérions des échantillons neufs, car les hôtels renouvellent régulièrement leurs gammes, précise Karine Sadaka. En revanche, nous ne prenons pas les savons solides, qui nécessitent d'être nettoyés ou traités avant d'être redistribués, ce que nous ne sommes pas en mesure de faire. »
Ces savonnettes usagées ne sont toutefois pas forcément destinées à la poubelle. Depuis quelques années, plusieurs structures dans le monde (Clean the World aux États-Unis, SoapAid en Australie et en Nouvelle-Zélande, SoapCycling à Hong-Kong) se sont en effet donné pour mission de recycler les savons des hôtels et de les mettre à disposition des plus précaires.
En France, deux associations, SapoCycle et Unisoap, ont aussi pris cet enjeu à bras-le-corps, avec une triple approche : environnementale, solidaire et sociale. Le principe ? Collecter les savons à peine entamés, confier leur recyclage à des travailleurs en situation de handicap et les redistribuer gratuitement à des organisations caritatives (Restos du Cœur, Secours populaire, Croix-Rouge, Caritas…).
Le savon, « produit miracle réutilisable à l’infini »
« Notre cœur de métier, c’est de faire le lien entre des gens qui, en règle générale, se côtoient peu : des hôteliers, des personnes en situation de handicap et d’autres en difficulté », résume Dorothée Schiesser, qui a créé SapoCycle en Suisse en 2015, avant de s’implanter en France en 2018.
C’est au Cameroun que cette ancienne journaliste franco-suisse, mariée à un hôtelier, a eu un déclic. « Mon mari avait été engagé pour ouvrir un hôtel de grand luxe à Yaoundé et moi, lors de mes reportages dans le pays, j’ai été confrontée aux maladies liées au manque d’hygiène, raconte-t-elle. Quand j’ai appris que les savons des hôtels étaient jetés, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. »
À son retour en Suisse, elle se renseigne sur le recyclage du savon, ce « produit miracle réutilisable à l’infini », dit-elle, et, désireuse d’ajouter un « impact social » à son projet, élabore un processus accessible aux travailleurs handicapés. Triés puis nettoyés, les savons sont broyés puis transformés en nouveaux pains, le tout sous contrôle bactériologique strict.
L’association, qui travaille avec 283 hôtels (160 en Suisse et 123 en France), dispose de deux ateliers de transformation (à Bâle et à Colmar). Elle a déjà récupéré 28 tonnes de savons et a distribué 190 600 savonnettes (dont 66 640 en France). Elle vient également de mettre au point un système de recyclage des flacons individuels de gel douche, shampoing et après-shampoing. Testé dans un premier temps en Suisse, ce nouveau dispositif devrait être développé prochainement en France.
« La pandémie a renforcé les demandes »
Les besoins sont énormes. D’après un sondage Ifop, publié en mars 2021, trois millions de Français se privent de produits d’hygiène de base faute de moyens. « Au départ, quand j’ai lancé l’association, je pensais que les savons allaient partir dans des pays en voie de développement, reconnaît Pauline Grumel, fondatrice d’Unisoap, qui œuvre aussi à donner une seconde vie aux savons des hôtels. Mais nous sommes énormément sollicités, que ce soit par des ONG nationales ou des structures locales. Et la pandémie a encore renforcé les demandes. Nous essayons de couvrir tous types de bénéficiaires : personnes à la rue, réfugiés, étudiants… »
Créée en août 2017, Unisoap – qui a basé son centre de recyclage au sein d’un Établissement et service d’aide par le travail (Esat) situé à Vaulx-en-Velin – a collecté plus de 7 tonnes de savons et redonné 15 000 savonnettes. Elle compte plus de 200 hôtels partenaires et reçoit « tous les jours » des sollicitations d’établissements intéressés par la démarche.
« Il y a une vraie prise de conscience de la part des hôteliers, d’autant plus que de plus en plus de clients choisissent leur établissement sur des critères écoresponsables », indique Pauline Grumel. Elle projette de développer Unisoap dans les DOM-TOM et a été contactée pour exporter le concept à l’étranger. Il faut dire que le chantier est d’envergure. On estime que plus d’un milliard de savons sont jetés chaque année par les hôtels dans le monde.
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