Roubaix, la ville des familles «zéro déchet»

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Par Angélique Pineau

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© DR mairie Roubaix

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La ville de Roubaix fait figure de pionnière du zéro déchet depuis trois ans. Depuis qu’elle a mis au défi ses habitants d’alléger leur poubelle. Récit.

Roubaix fait désormais moins parler d’elle pour son taux de chômage ou sa célèbre piscine, joyau de l’art déco. La ville du Nord est aujourd’hui connue – et reconnue – pour sa démarche « zéro déchet ». C’est elle qui intéresse les médias et attire les curieux. Même Béa Johnson, la papesse du zéro déchet dans le monde, la cite souvent dans ses conférences comme un exemple à suivre. Loin devant San Francisco où elle réside.

Depuis fin 2014, la ville de Roubaix a en effet entrepris de convaincre ses habitants de réduire leurs déchets, à travers son « défi familles ». Chaque année, depuis trois ans, environ 100 foyers (tous volontaires) y participent. Leur défi : diviser par deux le poids de leur poubelle en un an. Sans contrainte ni contrepartie. La mairie mise plutôt sur la démonstration que les familles ont tout à y gagner.

 

[VIDÉO] Zéro déchet : rencontre avec Béa Johnson

Interview de Béa Johnson, considérée comme l’ambassadrice mondiale du « zéro déchet ».

Un programme original qui donne des résultats. En 2016, les participants ont quasiment atteint cet objectif (- 47 % en moyenne). Un quart d’entre eux est même parvenu à diminuer ses déchets de 80 %. Et finalement peu de familles abandonnent le défi avant la fin de l’année. Des résultats qui réjouissent Alexandre Garcin, maire adjoint en charge du développement durable et à l’origine de ce projet.

« Depuis le début, nous avons touché 300 familles, ce qui représente environ 1 000 personnes en tout. Soit 1 % de la population de Roubaix. Cela peut paraître peu. Mais ces personnes en parlent autour d’elles. Ce qui contribue à faire connaître la démarche et à faire comprendre que le zéro déchet, ce n’est pas si compliqué. »

 

[VIDÉO] Kamikatsu, le village japonais qui vise le zéro déchet

Notre reportage dans ce village de 1 700 habitants qui s’est fixé pour objectif d’atteindre le zéro déchet d’ici à 2020.

 

Chacun à son rythme, chacun à sa façon

Mais quelle est donc la recette miracle de Roubaix ? Comment ces familles parviennent-elles en un an à changer de mode vie et à réduire leurs déchets ? Le premier mois, elles sont surtout invitées à peser leur poubelle, sans trop modifier leurs habitudes. Objectif : provoquer une prise de conscience, prendre la mesure des déchets que l’on produit.

Ensuite, tout au long de l’année, les familles peuvent participer (si elles le souhaitent) à des ateliers gratuits, organisés chaque semaine. Il en existe 14 en tout : faire son compost, acheter en vrac, avoir des poules, fabriquer ses produits d’entretien, ses cosmétiques, visiter un centre de tri… Des ateliers qui se veulent très concrets. À la fin de celui sur le compostage par exemple, on repart avec un composteur individuel afin de mettre en pratique tout de suite. Idem pour celui sur les poules, prêtées pendant deux mois, pour essayer. Pour Alexandre Garcin, c’est l’esprit de la démarche qui fait sa réussite.

« On n’est pas dans la culpabilisation, on ne fait pas la morale. Certaines familles ne sont pas prêtes à délaisser l’eau en bouteille pour boire l’eau du robinet par exemple. Si on ne parvient pas à réduire ses déchets de moitié sur un an, ce n’est pas grave. L’important, c’est de prendre conscience que l’on peut changer ses habitudes en douceur. Et que cela peut avoir un impact réel sur ses déchets. Sans parler des économies (notables) que l’on peut faire. »

C’est cet esprit qui a séduit Marie. Avec son époux et leur fils de 2 ans, elle a fait partie des 120 familles du défi 2016.

« Ce que j’ai apprécié, c’est qu’il n’y avait pas de pression. Chacun pouvait avancer à son rythme. De toute façon, ça ne sert à rien de vouloir tout changer d’un coup. Et j’ai appris à faire plein de choses. Au moins, quand on fabrique soi-même son déodorant ou sa lessive, on sait ce qu’il y a dedans et ça rassure. C’est ludique aussi. On a des poules maintenant, donc de bons œufs frais et moins de déchets. En revanche, on n’est pas passé aux couches lavables pour notre fils. Ça, c’était une de nos limites. »

 

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Les conseils d'un expert de l'Ademe pour diminuer nos déchets.

 

Moins de déchets = plus de pouvoir d’achat ?

En se lançant dans cette démarche, les familles ne font pas que réduire leurs déchets. La ville y voit d’autres retombées positives. Les ateliers sur le zéro déchet créent du lien social parmi les participants. Des personnes qui ne se connaissent pas et viennent souvent de milieux différents. Certaines se lancent dans l’aventure par conviction écologique, d’autres en espérant dépenser moins (lire le portrait d’Andrée Nieuwjaer ci-dessous). Et selon Alexandre Garcin, le gain de pouvoir d’achat n’est pas négligeable.

« À la fin du défi, les familles économisent facilement 100 euros par mois en moyenne. Et selon la composition du foyer, cela peut être beaucoup plus. Mais il y a aussi des impacts sur la santé. Le Nord est un des départements les plus touchés par l’obésité et le diabète. Or, le zéro déchet est un outil pour changer le mode de vie des gens. Bien souvent, une fois dans la démarche, on fait plus attention à son alimentation et on consomme moins de produits industriels. »

Comment est né le « zéro déchet » à Roubaix ?

Lors des municipales de 2014 à Roubaix, l’un des thèmes de campagne de Guillaume Delbar était la propreté de la ville. Le candidat de l’époque, devenu maire depuis, proposait de combattre le problème à la source et de trouver des solutions pour réduire les déchets. Parmi elles figurait celle d’Alexandre Garcin de former des familles au « zéro déchet ». Aujourd’hui adjoint en charge du développement durable, c’est lui qui orchestre le « défi familles » de Roubaix.

 

Des écoles et des entreprises « zéro déchet »

La ville dépense 200 000 euros par an pour sa politique « zéro déchet », dont la moitié est subventionnée par l’Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Mais elle ne se limite pas au « défi familles », même si cela reste son action phare. Toutes les écoles de Roubaix sont engagées dans une démarche de réduction du gaspillage alimentaire. Concrètement, les portions ont été revues pour s’adapter aux petites et aux grosses faims. Le pain n’est plus systématiquement donné, mais proposé à l’enfant. Et les conditionnements sont choisis en fonction de la quantité d’emballages.

La mairie a également entrepris de « convertir » petit à petit les administrations au zéro déchet. Parmi les objectifs visés : dématérialiser les documents et mettre fin aux bouteilles d’eau en plastique. Pour les commerçants, un label a été mis en place pour valoriser ceux qui limitent leurs déchets, avec un logo qu’ils peuvent apposer sur leur devanture.

La ville prévoit par ailleurs d’ouvrir une maison de l'économie circulaire et du zéro déchet. Un lieu ressources, rassemblant différents acteurs, et qui serait aussi un incubateur d’entreprises dédiées à l’économie circulaire. À suivre…

 

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Mieux comprendre cette économie qui se veut plus durable, sans épuisement des ressources naturelles.

PORTRAIT

Andrée Nieuwjaer : «la Béa Johnson roubaisienne»

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Andrée Nieuwjaer et son mari Guy

Si on lui avait dit, il y a encore trois ans, qu’elle se serait lancé un tel défi, elle n’y aurait pas cru, Andrée. Réduire ses déchets ? Cela ne faisait pas partie de ses préoccupations. Avec son mari Guy, quand ils recevaient des invités, ils leur servaient à boire dans des verres en plastique. C’est dire. Mais aujourd’hui, cela ne lui viendrait plus à l’idée.

Fin 2014, Andrée apprend que la ville de Roubaix cherche 100 familles pour un défi sur le « zéro déchet ». Elle décide d’assister à la réunion d’information. Pour voir. « Avec Guy, on est retraités et on n’avait rien à faire ce jour-là. » Au cours de la réunion, l’un des arguments fait mouche. « On nous a dit que réduire nos déchets était un moyen de faire des économies. Et comme on ne roule pas sur l’or, on a eu envie d’essayer. » C’est ainsi qu’André et Guy Nieuwjaer se sont retrouvés à participer à la première édition du « défi familles » de Roubaix, en 2015. Seulement, ils n’ont pas fait les choses à moitié. « Si on décide de se lancer, il faut le faire vraiment. Sinon, ça ne sert à rien. »

« Ça nous a changé la vie »

Andrée a assisté à plusieurs ateliers pratiques proposés par la mairie. Depuis, elle s’est mise à fabriquer elle-même ses produits d’entretien, ses confitures… Avec Guy, ils ont commencé à faire du compost et à cultiver un potager. « Aujourd’hui, on n’achète presque plus de légumes. On les met au congélateur pour l’hiver et on tient de novembre à fin mai. » Résultat : des économies, ils en font vraiment. « Avant, avec notre budget de 500 euros de courses, on ne tenait que trois semaines. Et les derniers jours du mois, on faisait comme on pouvait. Mais c’était dur. Aujourd’hui, on dépense entre 170 et 350 euros par mois en tout et pour tout. » Grâce à cela, Andrée a pu se permettre de fleurir sa terrasse. Elle en rêvait. Et avec Guy, ils s’autorisent un restaurant de temps en temps. « Ça nous a changé la vie. »

« Tout le monde peut le faire »

Avec le recul, ils ont pris conscience qu’avant ils gaspillaient beaucoup. Aujourd’hui, ils achètent uniquement ce dont ils ont besoin. Les lots promotionnels, c’est fini. Ils se sont mis au vrac et ils rangent leurs aliments dans des boîtes transparentes. « Cela permet de voir exactement ce que l’on a et d’éviter de les oublier au fond d’un placard puis de se rendre compte que la date limite est dépassée. On mange plus sainement aussi. »

Et des déchets, ils n’en produisent presque plus. Les non recyclables ne dépassent pas un kilo pour une année entière, contre une vingtaine de kilos par mois auparavant (des bouteilles d’eau, des cartons…). Une performance qui vaut désormais à Andrée le surnom de « Béa Johnson roubaisienne ». C’est ainsi qu’Alexandre Garcin, maire adjoint en charge du développement durable de la ville, l’appelle affectueusement. Une boutade en guise de clin d’œil à celle qui est aujourd’hui l’ambassadrice du « zéro déchet » dans le monde. Mais Andrée est elle aussi devenue une référence. On lui demande souvent des conseils, on veut connaître ses recettes, ses petits trucs. Et bien au-delà de son quartier. Elle a déjà reçu la visite d’entreprises de la région et même d’un dirigeant de San Francisco.

En tout cas, ne lui dîtes surtout pas que le zéro déchet, c’est « un truc de bobos ». Au risque de la fâcher. « Si nous, on a réussi, cela montre bien que tout le monde peut le faire. »

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