Sobriété et consommation : vers un nouveau mode de vie ?

Publié le

Par Estelle Hersaint

Temps de lecture estimé 7 minute(s)

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© David Clarke sur Unsplash

Malgré la crise sanitaire et économique, les Français prennent conscience de l’urgence d’adopter un mode de vie et de consommation plus sobre pour faire face au réchauffement climatique. Une sobriété mise à l’honneur dans un colloque organisé par l'Ademe le 1er juillet 2021. L’occasion de s’interroger sur ses besoins réels et de réfléchir à la notion de sobriété qui s’impose de plus en plus dans les débats environnementaux.

Qu’est-ce que la sobriété ? Quel lien avec la consommation ? Pourquoi est-elle centrale dans la question environnementale ? Associé à la modération, la simplicité ou la frugalité*, la sobriété peine à être défini tant ses réalités sont multiples. Cette notion prend racine dans des traditions philosophiques et religieuses anciennes, affirmant que le bonheur ne se trouve pas dans les possessions matérielles. Elle connaît actuellement un regain d’intérêt face aux critiques de la société de consommation et ses conséquences néfastes sur l’environnement. L’Ademe explique que « dans un contexte où les ressources naturelles sont limitées, la sobriété consiste à nous questionner sur nos besoins et à les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement. Elle doit nous conduire à faire évoluer nos modes de production et de consommation et plus globalement nos modes de vie, à l’échelle individuelle et collective ». Il s’agit de consommer « moins mais mieux » explique Arnaud Leroy, PDG de l’Ademe, lors d’une grande conférence organisée par l’Agence de la transition écologique, le 1er juillet 2021. Selon lui, la sobriété doit devenir « une boussole importante dans les années à venir »

Une consommation qui tend vers plus de sobriété

Malgré un contexte sanitaire et économique difficile, il semble qu’il existe une véritable prise de conscience de l’urgence climatique. « Une vraie sensibilité environnementale, qui progresse et se confirme », selon Anaïs Rocci, sociologue à l’Ademe. En effet, 83 % des Français souhaiteraient vivre dans une société où la consommation prend moins de place, selon le baromètre de GreenFlex et de l’Ademe. 58% des Français pensent même qu’il faudra modifier nos modes de vie pour faire face au changement climatique. Et 61% déclarent avoir changé certaines de leurs pratiques pour réduire l’impact de leur consommation.

On observe donc un réel désir de consommer plus responsable, de vivre dans une société où on ne gaspille plus, où la consommation prend moins de place. D’autant que de nombreuses études l’ont montré : le matérialisme ne rend pas plus heureux à partir du moment où les besoins « de base » des individus sont comblés.

La question des besoins réels et réfléchis s’ancre ainsi au cœur de la notion de sobriété et l’idée de surconsommation recule doucement. Alors que 48% des Français déclarent consommer moins (10% de plus par rapport à 2017), un Français sur deux affirmeaussi limiter les achats neufs. « Des pratiques qui émergent et qui vont dans le sens de la sobriété », assure Anaïs Rocci.

Cette prise de conscience de grande ampleur est observée depuis quelques années au fil des enquêtes menées par l’Ademe et ses partenaires. Un élan qui semble confirmer un désir croissant de repenser la place de la consommation, de la rendre plus responsable. Justifiée par le besoin de réduire les inégalités inhérentes à la surconsommation, la sobriété est ici considérée « comme une posture délibérée pour protester contre la société de surconsommation ; c'est, dans ce cas, une forme de résistance déclarée à la consommation outrancière », assure Pierre Rabhi, dans son livre La sobriété heureuse (2010). 

De nombreux Français impliqués dans cette démarche se disent d’ailleurs fiers de consommer plus sobrement : 61% sont satisfaits et 17% ressentent de la fierté face à cet acte de résistance.

« On reste dans une société de consommation »

Malgré tout, « une grande majorité de la population aspire toujours à consommer plus », déplore Anaïs Rocci. 60% des Français souhaitent « pouvoir se payer plus souvent des choses qui leur font envie » et 35% déclarent « céder à la tentation » lors de leurs achats. « On reste dans une société de consommation, avec des valeurs individualistes, consuméristes et matérialistes », déplore-t-elle.

Ces habitudes s’expliquent selon Anaïs Rocci par le fait que la consommation demeure un vecteur d’inclusion sociale. « Consommer, c’est exister, c’est s’intégrer dans la société, c’est renvoyer une bonne image ». La consommation « est à la fois la réponse à des besoins physiologiques, mais c’est aussi une source de plaisir, une source de distinction sociale », complète Cécile Désaunay, directrice d’études à Futuribles (un centre de réflexion et d'études prospectives). D’autant que « nos sociétés dites développées se sont structurées autour de l’accès à la consommation de masse et nombre de nos concitoyens aspirent légitimement à l’augmentation de leur niveau de vie », ajoute Arnaud Leroy.

En même temps, « il n’est pas facile d’avoir un mode de vie 100% sobre », assure Anaïs Rocci, sociologue à l’Ademe. Et les solutions matérielles ne sont pas évidentes à mettre en place quand on sait que consommer est synonyme d’une vie réussie. 

Dans cet axe, la publicité joue un grand rôle. En effet, 88% des Français pensent que la publicité les incite à consommer toujours plus. Si elle peut avoir un rôle pédagogique sur des sujets liés à la préservation de l’environnement, son lien trop étroit avec le greenwashing** a causé une rupture entre les marques et les consommateurs. Or, pour réduire son impact, « il faut encadrer la publicité. C’est un sujet tabou qui n’a été abordé dans aucune loi mais qui pourtant est nécessaire », selon Laetitia Vasseur, co-fondatrice de HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée).

Une sobriété subie ou choisie ?

Pour Cécile Désaunay, directrice d’études à Futuribles, il existe quatre profils de consommateurs bien distincts, révélateurs des dissonances en matière de sobriété :

  • « Les bobos convaincus » : des consommateurs qui cherchent à prendre du recul et à consommer mieux.
  • « Les décroissants naturels » : ces derniers consomment moins car ils estiment que ce n’est pas nécessaire (on parle surtout ici des personnes âgées).
  • « Les réfractaires » : des personnes pour qui la consommation de masse n’est pas un problème.
  • « La sobriété contrainte » : ces individus souhaiteraient consommer plus mais n’en n’ont pas les moyens. Ils sont donc contraints d’aller vers des pratiques de consommation plus responsables mais pour des raisons économiques et non environnementales.

Des profils variés et une opposition claire se dessine selon Laetitia Vasseur. « Parmi les consommateurs qui nous suivent, on retrouve ceux pour qui le gaspillage est problématique mais aussi beaucoup de personnes ancrées dans une logique consumériste, et qui veulent faire des économies ».

Si le confinement a été riche de réflexions sur le « monde d’après », il a été certes un accélérateur de tendances mais aussi d’inégalités. Un fossé se creuse entre des aspirations croissantes vers plus de sobriété, une remise en cause d’un modèle économique dysfonctionnel et des pratiques qui restent encore largement imprégnées par un modèle consumériste. En moyenne, un Français sur deux seulement a conscience qu’il faut complètement repenser notre modèle économique.

Pour une sobriété plus douce, il faut faire évoluer les imaginaires collectifs 

Malgré tout, les Français ont conscience de la nécessité de modifier leurs modes de vie, même s’il faut passer par des mesures fortes (69% sont par exemple favorables à l’idée de taxer les véhicules les plus émetteurs de gaz à effet de serre).

Alors à l’avenir, pour ne pas subir la sobriété, contrainte en grande partie par la situation climatique, « il faut faire évoluer les imaginaires collectifs, valoriser de nouvelles formes de richesses », assure Anaïs Rocci. « Le concept de sobriété nous invite à inventer de nouvelles sources de croissance. Par exemple en commercialisant des produits plus chers parce que durables ou personnalisés. (…) Certains de ces modèles existent déjà, d'autres restent à inventer pour transformer véritablement les modes de production et de consommation. », conclut Cécile Désaunay.

* Qui se nourrit de peu, qui vit d'une manière simple. Épicure dans sa Lettre à Ménécée (IIIe siècle av. J.-C.) prônait la frugalité comme permettant d’accéder au bonheur : « La frugalité est un bien que l’on ne peut trop estimer ; [...] afin que n’ayant plus les choses dans la même abondance, nous nous passions de peu, sans que cette médiocrité nous paraisse étrange ; aussi faut-il graver fortement dans son esprit que c’est jouir d’une magnificence pleine d’agrément que de se satisfaire sans aucune profusion »

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