La sobriété : un vecteur de compétitivité pour les entreprises ?

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Par Estelle Hersaint

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Longtemps perçue par les entreprises comme une solution pour concilier environnement et développement économique, la croissance verte est aujourd’hui délaissée au profit du concept de sobriété. Plus radicale, la notion s’impose dans les débats comme lors d’un colloque organisé par l'Ademe le 1er juillet 2021. Un espoir pour les entreprises de s’adapter aux changements climatiques.

« Dans un contexte où les ressources naturelles sont limitées, la sobriété consiste à nous questionner sur nos besoins et à les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement », rappelle l’Ademe lors d’une table ronde organisée le 1er juillet dernier. L’occasion pour plusieurs acteurs du monde économique d’évoquer leurs expériences et de prouver qu’il est possible d’intégrer la sobriété dans un modèle économique viable.

« La croissance verte ne fonctionnera pas »

Face au réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, le concept de « croissance verte » est devenu un idéal, une nouvelle stratégie pour produire mieux et plus durablement. Pourtant, « on sait désormais que la croissance verte ne fonctionnera pas », assure Julia Faure, co-fondatrice de Loom, une marque de vêtement éco-responsable. « Elle est un leurre », selon le philosophe Dominique Bourg, « elle ne permet de ne réformer notre système que partiellement ».

L’effet pervers de l’effet rebond

En cela, rien de nouveau. Les industriels se sont toujours appliqués à dépenser moins de matière et d’énergie pour gagner en coût de production. Or, en confondant efficience et sobriété, ils ont découvert l’effet rebond. « Quand on améliore un équipement, il devient moins cher et plus facile à utiliser. Alors, on en achète encore plus », explique Julia Faure.

Aussi appelé « paradoxe de Jevons », il désigne un phénomène observé lorsque les économies d’énergie attendues grâce à la création d’une nouvelle technologie ne sont pas obtenues, voire aboutissent à une surconsommation. Le succès des voitures électriques pose par exemple la question de leur fabrication (notamment des batteries) énergivore et très polluante et de leur utilisation, l’électricité n’étant pas toujours propre.

Les comportements individuels et les nouveaux usages contribuent ainsi à une augmentation de la pollution malgré les progrès technologiques. En voulant faire mieux, on fait pire en matière de protection de l’environnement.

Face à cela, la sobriété est « la seule solution à laquelle il faut croire si on veut réduire les gaz à effet de serre », assure Julia Faure. Car malgré une certaine prise de conscience de l’urgence climatique, encore aujourd’hui, le modèle économique de la plupart des entreprises reste essentiellement basé sur la simple vente de biens ou de services.

Or pour perdurer, il faudra s’adapter. Pour ce faire, deux choix possibles : développer une entreprise avec un modèle économique propre et durable ou changer de modèle économique, en optant par exemple pour une économie de la fonctionnalité dont l’offre s’adapte aux besoins réels des personnes, des entreprises et des collectivités ainsi qu’aux enjeux relatifs au développement durable.

La sobriété : une nouvelle perspective économique

« Frugalité*, sobriété et monde de l’entreprise sont antinomiques », explique Julia Faure. En opposition avec la société de consommation normalement prônée par les entreprises et les industriels, la sobriété se traduit chez Loom par une mission en apparence simple mais contradictoire : faire en sorte que les gens consomment moins de vêtements. 

Au-delà du fait que la marque fasse « tout pour maximiser la durée de vie du produit », elle incite surtout « à ne pas consommer ». Pour cela, Loom « ne fait pas de publicité, pas de soldes, pas de collection, pas de prix à 9,99 euros, pas de ventes privées, de paiement en trois fois, ne recourt pas à des influenceurs… ». Elle dit aux consommateurs : « N’achetez pas chez nous si vous avez encore des vêtements. Le jour où vous aurez vraiment usé vos T-shirts, les nôtres seront là ».

Un modèle économique différent, choisi et qui fonctionne puisque Loom a un chiffre d’affaires annuel de plus d’un million d’euros. 

A l’inverse, une sobriété subie 

Pour s’adapter au marché ou aux contraintes environnementales, certains ont été forcés de modifier leur modèle économique en y intégrant la notion de sobriété. 

L’arrivée de la technologie led a ainsi contraint le leader mondial de l’éclairage, Signify (anciennement Philips Lighting) à changer de business model. Cette innovation technologique, quand elle est bien employée, permet de consommer moins et ainsi, de faire des économies d’énergie. In fine, tout ce qui a été mis en place précédemment devient obsolète. 

Alors, la sobriété s’impose : « On l’a davantage subie qu’anticipée. Nous avons dû nous questionner sur comment nous pouvions continuer à créer de la valeur », explique François Darsy, chef de marché chez Signify. 

Cette réflexion les a poussés à changer de perspective, à changer de modèle économique. Aujourd’hui lancé dans un modèle circulaire basé non plus sur la vente d’ampoules mais sur le service et l’usage, l’entreprise propose « un service d’éclairage circulaire. Les clients n’achètent plus de luminaires mais un service d’éclairage de leurs espaces (privilégier l’usage plutôt que la possession), c’est-à-dire la garantie de performance », assure François Darsy. Et en privilégiant une économie de la fonctionnalité, l’entreprise « vend un service plus adapté ».

Accompagner pour changer les mentalités

La sobriété, « ce n’est pas l’ennui, la grisaille, ce n’est pas l’absence de joie, c’est juste que notre satisfaction n’est plus liée uniquement à notre consommation, notre réussite à une idée de croissance, notre bonheur à des questions matérielles. Faire avec les limites, ce n’est pas s‘ennuyer, c’est juste ne pas scier la branche sur laquelle on est assis », affirme Julia Faure. Pour elle, la sobriété doit faire partie de nos vies et le bonheur ne passe pas par la consommation. 

Alors un changement de comportement des consommateurs est ici essentiel quand on sait que 60% des Français souhaitent pouvoir se payer plus souvent des choses qui leur font envie. 

Mais pour ce faire, il faut d’abord modifier celui des entreprises : c’est tout l’enjeu du travail de Véronique Tatry, chargée de mission à l’Ademe, en Occitanie. Avec son équipe, elle propose aux entreprises qui le souhaitent un accompagnement afin de les aider à intégrer cette notion de sobriété dans leurs pratiques. « On reçoit des entreprises pour lesquelles la sobriété est un sujet sous-jacent. Toutes sont conscientes des enjeux climatiques mais toutes sont prises en étau dans un système économique dont l’objectif essentiel est de se démarquer de la concurrence. Et aucune ne sait comment sortir de l’effet rebond », explique-t-elle. Alors pour les aider à trouver du sens, l’Ademe les accompagne « sur le chemin de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération » en identifiant, révélant et développant avec elles tous les effets utiles de leur activité.

* ce qui est simple, sobre

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