À l'hôpital, des biographes pour raconter la vie des patients

Publié le

Par Clémence Dellangnol

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

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Le biographe hospitalier propose à des personnes gravement malades et sans espoir de guérison, suivies à l'hôpital ou à domicile, de raconter des épisodes de leur histoire pour les transcrire sous la forme d'un livre. Une démarche qui bénéficie aussi bien aux patients qu'à leurs proches et aux soignants.

Déployée depuis quinze ans, la biographie hospitalière est proposée dans 21 établissements de soins, sur une cinquantaine de services : oncologie, pneumologie, soins palliatifs, gériatrie, hospitalisation à domicile… La démarche est présentée par les soignants, « de façon intuitive », aux patients dont ils pressentent le besoin d'apaisement, de transmission, « d'avoir un projet qui place du côté des vivants », explique Valéria Milewski, qui a créé le métier en 2007 au service d'onco-hématologie du Centre hospitalier de Chartres.
Intégrée dans le projet d'accompagnement global de la personne, la biographie est toujours offerte pour le patient, prise en charge par l’établissement, des mécènes ou des associations. « Il s'agit d'un soin de nature spirituelle », insiste Valéria Milewski, et non d'une prestation de divertissement.

Un livre personnalisé pour le patient et ses proches

Pendant plusieurs semaines, selon la volonté et l'état de santé de la personne, le biographe hospitalier recueille le récit de sa vie ou de certains épisodes précis. Le nombre et la durée des entretiens varient en fonction des situations. Parfois, ils s'interrompent avec le décès du patient.
Vient ensuite la phase d'écriture, un travail délicat. « Il s'agit d'agencer le récit, de le transcrire de manière à rendre parole à la personne, tout en pensant aux proches qui le liront », décrit Cécile Constantin, ancienne aide-soignante, biographe depuis novembre 2020 dans les hôpitaux de Niort et de Saint-Maixent-L'École. Dans la mesure du possible, le patient relit le manuscrit et choisit avec le biographe le titre, la couverture, des éléments de mise en page... L'ouvrage est enfin fabriqué, sous la forme d'un beau livre personnalisé relié par un artisan d'art, remis à la personne ou à ses proches si elle est décédée.

Des souvenirs et des paroles d’amour

Si la proposition initiale est toujours la même, chaque projet est différent, observe Cécile Constantin. « C'est la personne qui donne le tempo et m'emmène là où elle a envie d'aller », décrit-elle. Certains patients se racontent très facilement, quand d'autres préfèrent se laisser guider. Parfois, les intentions de la personne sont très claires, comme dans le cas de cette jeune mère atteinte d'un cancer, désireuse de laisser à ses enfants des souvenirs et des paroles d'amour réconfortantes. « À l'inverse, j'ai travaillé avec un monsieur pour qui le dialogue noué ensemble comptait beaucoup plus que le livre », se souvient la biographe.
Un point commun relie ces expériences : le désir – ou le besoin – de relire sa vie à l'approche de la mort. « Il s'agit aussi de se réinventer, de donner de la cohérence, de l'unité et du sens à sa vie », souligne Valéria Milewski. Peu importe la véracité des faits retracés. Ce qui compte, « c'est le rite », estime Magali Verdet, biographe depuis sept ans, en poste dans deux hôpitaux de Seine-Maritime (Lillebonne-Bolbec et Fécamp). « Mettre sa vie en récit, cela permet de s'alléger. C'est aussi une façon de se relier à l'humanité, de reprendre une place dans la communauté humaine. »

Des bienfaits pour le patient

De façon très concrète, les soignants constatent les bienfaits de la pratique. Après les séances, les patients apparaissent plus apaisés. Acceptent mieux leur traitement, s'endorment plus facilement, appellent moins à l'aide. Certains, alors qu'ils étaient très déprimés, ne parlent plus du tout de mourir : ils attendent le prochain entretien. « Avec la biographie, le quotidien des patients ne se réduit plus à la maladie, analyse Perrine Choiseau, cadre de santé en oncologie à l'hôpital de Chartres, très attachée à la démarche. Le temps de la séance, ils sont dans leur bulle, c'est un moment de liberté arraché au traitement. »
Pourtant, les souvenirs convoqués ne sont pas tous agréables ou réjouissants. Mais l'exercice autobiographique, parfois mieux accepté qu'un entretien avec un psychologue, « désencombre l'esprit », rapporte Cécile Constantin. La différence ? « La personne sait que son récit va s'inscrire quelque part. »

Pour les proches, un espace hors de la maladie

Vis-à-vis des proches aussi, la démarche offre un espace hors de la maladie. « Je reverrai toujours le sourire merveilleux de cette fille, répétant à tout le monde que son père écrivait un livre », se remémore Valéria Milewski. Parce qu'ils ont pu vider « des petits sacs d'émotions », certains patients renouent avec leur famille un dialogue distendu ou entretiennent des rapports plus sereins. « Depuis que je suis en soins palliatifs, je vois mon fils sous une autre lumière », a ainsi confié un vieil homme à sa biographe.
Quand l'évolution de la maladie le permet, ceux qui le souhaitent remettent eux-mêmes leur autobiographie à leurs proches. Mais beaucoup n'en ont pas le temps, certains ne parvenant même pas au bout de leur récit. Dans ce cas, le biographe laisse passer plusieurs mois, voire un an, avant de recontacter la famille. « Quand le décès survient, les émotions sont exacerbées. Si le livre était remis dans ces conditions, il se chargerait de cette douleur », explique Magali Verdet. Aucune obligation pour les proches d'accepter l'ouvrage. Chaque biographe conserve ainsi quelques exemplaires « orphelins ».
Mais lorsque la rencontre a lieu, elle est souvent intense. Et l'objet prend alors tout son sens, témoigne Valéria Milewski. « Une dame m'a dit un jour : quand je feuillette le livre, c'est comme si maman me faisait un câlin. »

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