Alexandre Jollien : L’étymologie du mot nous renseigne. La solidarité, c’est ce qui nous rend solides, ensemble. C’est la compréhension intime de l’interdépendance de tout être. On ne saurait vivre heureux seul, dans son coin, totalement retranché des autres.
Alexandre Jollien a publié près d’une dizaine de livres, dont La sagesse espiègle (Gallimard, 2018). Il a aussi écrit deux ouvrages avec Christophe André et Matthieu Ricard, dont À nous la liberté ! (L’Iconoclaste Allary éditions, 2019).
A.J. : Il est périlleux de généraliser… Constatons simplement qu’aujourd’hui sévit une forte tendance à l’individualisme, à l’égoïsme et à un certain narcissisme. Parallèlement, nombreux sont celles et ceux qui s’engagent, qui se mobilisent activement pour un monde plus juste, plus équitable, plus généreux.
Le défi, c’est bien sûr que chacun contribue à ces élans de solidarité, qu’il mette la main à la pâte, aide, soutienne, épaule celles et ceux qui en ont besoin. La bienveillance s’exerce aussi bien envers le voisin de palier que l’étranger, l’inconnu. Une authentique solidarité, le véritable altruisme n’ont pas de frontières. Ils ne sauraient se confiner à un régionalisme du cœur. Aider, c’est ne faire aucune distinction.
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A.J. : Méfions-nous d’une corrélation rigide, générale, définitive entre les pays riches et la générosité. Sur ce terrain, c’est certain, chacun a du progrès à faire… Pour parler des habitants des pays riches, je pense qu’ils devraient aiguiser davantage le sens de la responsabilité et tout mettre en œuvre pour instituer une juste répartition des richesses, pour que des maux qui pourraient être éradiqués, comme la faim dans le monde, soient réellement éradiqués sans tarder.
Encore une fois, le danger de l’individualisme, l’idéal d’un confort bien à soi, peut gangrener une société durablement. Il nous faut tous nous mobiliser pour freiner ce repli. Le bonheur ne saurait exister que partagé.
A.J. : Chögyam Trungpa* parle du matérialisme spirituel, à savoir l’instrumentalisation de la voie spirituelle à des fins purement égocentriques. Ce danger peut aussi entacher notre approche de la solidarité. On la pratique pour en tirer un avantage, voire pour se revaloriser. Pourtant, rien de plus naturel, gratuit, spontané.
Nous sommes des êtres de liens, nous cohabitons dans la même maison. Le partage est inscrit dans notre nature, au fond de notre être. Si de surcroît, poser des actes de générosité nous décentre, nous sort de nous-mêmes et nous installe dans la joie du don, c’est un cadeau. Ce n’est jamais l’ego qui est solidaire mais une dimension bien plus profonde de notre intériorité.
* Chögyam Trungpa Rinpoché (1939-1987) est un maître du bouddhisme tibétain. Il est connu notamment pour avoir enseigné la sagesse du bouddhisme aux Occidentaux.
A.J. : La vie est tragique. On meurt, on souffre… On se coltine les maladies, les accidents, les tremblements de terre, sans parler de la solitude intrinsèque à notre condition. Dès lors, tendre la main, nous épauler, nous considérer non pas comme des concurrents mais comme des co-équipiers peuvent être un réel secours et alléger considérablement notre rapport au quotidien, aux autres, au monde.
L’individualisme forcené, le capitalisme n’engendrent que de la souffrance. La solidarité n’est pas un idéalisme, loin s’en faut. Elle procède, au contraire, d’un hyper-réalisme. Savoir que tous nous sommes liés, que nous ne pouvons être heureux en nous coupant des autres débouche sur un art de vivre solidaire, joyeux et généreux.
Après tout, si nous vivons en société, c’est que nous avons compris qu’ensemble nous sommes plus heureux, moins démunis, que seuls.
Bonne idée d’avoir interroger Alexandre Jollien. Ses pensées sont profondes et nous redynamisent.
Merci.