Brigitte Grésy : « Le confinement a montré, et même renforcé, toutes les inégalités femmes/hommes »

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Par Natacha Czerwinski

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

A l’occasion d’une web-émission organisée par l’association Donner des Elles à la santé, la présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a analysé les effets de la pandémie sur les discriminations de genre.

« En première ligne » lors de la crise, mais « sous-valorisées, sous-responsabilisées et invisibilisées » : tel est le paradoxe que vivent les femmes pendant cette pandémie, estime Brigitte Grésy, la présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE). Invitée à s’exprimer lors d’une web-émission* organisée par l’association Donner des Elles à la santé (voir encadré), l’experte a détaillé la façon dont la crise du Covid-19 a mis en lumière les discriminations de genre.

D’une manière générale, le confinement a tout d’abord été « un laboratoire in vivo des rapports sociaux de sexe, observe Brigitte Grésy. Il a montré et même renforcé, pour une bonne part, toutes les inégalités ». Ce sont en effet les femmes qui ont eu, majoritairement, « le soin des enfants, le soin domestique, le soin scolaire, la charge mentale ». Difficile pour elles, dans ces conditions, de « trouver leur espace et leur temps » pour télétravailler sereinement, déplore la spécialiste, qui rappelle également que les signalements pour violences domestiques ont augmenté de 30% pendant cette période et que des « régressions » du droit à l’avortement ont été constatées dans certains pays (Etats-Unis, Pologne).

« Les femmes ont assuré la survie du pays »

Mais les inégalités de genre ont également été manifestes dans les secteurs de la santé, du soin et des services. « Pendant cette crise, les femmes ont été providentielles, elles ont assuré la survie du pays », insiste l’experte. Si leur rôle s’est avéré vital auprès des malades (plus de 80% des infirmiers/infirmières et 91% des aides-soignants/aides-soignantes sont des femmes), il a aussi été central dans le quotidien des citoyens. « 90% des caissiers/caissières dans les magasins d’alimentation sont des femmes, 70% du personnel d’entretien sont des femmes », décrit Brigitte Grésy.

Pourtant, « les métiers majoritairement féminins sont moins valorisés financièrement que les métiers majoritairement masculins : porter un sac de ciment est valorisé, mais porter une personne âgée dépendante est sous-valorisé ». Sans compter que, dans notre société « qui avance masquée et sans contact », « l’accélération sans précédent de la transition numérique va éliminer de façon drastique les métiers du contact et du lien qui sont tenus par des femmes », alerte la présidente du HCE.

Un conseil scientifique composé à 80% d’hommes

Le « grand scandale » de cette crise est aussi médiatique, s’insurge Brigitte Grésy, qui s’appuie sur les données publiées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Dans son « Etude sur la représentation des femmes dans les médias audiovisuels pendant l’épidémie de Covid-19 », l’autorité publique de régulation a en effet montré qu’entre mars et mai 2020, la parole des expertes a été considérablement moins entendue que celle des experts : seuls 21 % des spécialistes présents à l’antenne étaient des femmes, soit encore moins qu’en temps normal (le taux d’expertes était de 37% en 2018).

« Le conseil scientifique, installé le 11 mars 2020 pour éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au Covid-19, est composé à 80 % d’hommes, signale le CSA dans son rapport. Ce sont d’ailleurs essentiellement des hommes membres de ce conseil qui ont été régulièrement interrogés ou conviés en plateau. »

87% de femmes médecins victimes de discriminations

Ce déséquilibre n’est toutefois pas sans lien avec la réalité du milieu médical, où le plafond de verre continue de freiner l’évolution des carrières féminines : ainsi, même si 52% des médecins hospitaliers sont des femmes, le prestigieux corps des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PUPH) reste à dominante masculine (78,2% d’hommes en 2019, selon le Rapport d’activité du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers).

Un baromètre Ipsos inédit, réalisé en janvier 2020 pour le collectif Donner des Elles à la santé et dévoilé lors de la même web-émission, confirme d’ailleurs l’ampleur des inégalités et stéréotypes de genre à l’hôpital : ainsi, 87% des femmes médecins disent avoir été victimes de discrimination et 82% avoir subi des comportements sexistes ou du harcèlement. Qui plus est, 66% des femmes pensent que les hommes sont davantage sollicités dans des activités de représentation. « Le sexisme est extrêmement fort dans notre société, et il crée à la fois une disqualification et une auto-disqualification des femmes », explique Brigitte Grésy.

« La porte est fermée et le quota est la clé »

Une fois ce constat dressé, quels peuvent être les leviers d’action ? Pour la spécialiste, la solution passe par la mise en place de quotas, indispensables pour « maintenir des femmes à des postes de responsabilité ». « Lorsque nous avons lancé le sujet en 2009, certaines femmes disaient : “Je ne veux pas être une femme alibi”, se souvient Brigitte Grésy. Je n’entends plus du tout cet argument aujourd’hui, car elles ont compris que la porte était fermée et que le quota était la clé. Puisque les critères de sélection sont biaisés par de la discrimination sexiste, on a besoin d’en établir d’autres. Et si le mot quota gêne, disons “objectif chiffré” ! »

Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes préconise aussi de faire de l’éga-conditionnalité un moteur de sortie de crise, autrement dit de conditionner l’attribution de fonds publics au respect de règles paritaires ou d’actions pour l’égalité entre les femmes et les hommes. « Aujourd’hui, on injecte des milliards dans l’économie sans aucune contrepartie égalitaire ou environnementale ! », souligne Brigitte Grésy, qui fait également de la lutte contre le sexisme un autre volet essentiel de l’évolution des mentalités. « Si nous n’avons pas de politique centrée sur ce sujet, nous n’y arriverons pas, conclut-elle. Pour que l’usage avance, il faut l’aider avec des procédures un peu contraignantes. Car les résistances à l’égalité sont énormes. »

*La web-émission organisée par Donner des Elles à la santé peut être revue en intégralité.

Donner des Elles à la santé : un collectif pour lutter contre le sexisme dans les métiers de la santé

Son objectif ? « Faire avancer l’égalité femmes-hommes et la féminisation des postes à responsabilité dans le secteur de la santé. » La toute jeune association Donner des Elles à la santé fédère des femmes et des hommes sensibles aux questions d’égalité et désireux de faire bouger les lignes en milieu hospitalier. Grâce à sa première action concrète – la réalisation d’un baromètre, en partenariat avec Ipsos, sur le sexisme à l’hôpital – le collectif entend « briser l’omerta » sur le sujet. D’autres actions devraient suivre, comme la mise au point, en partenariat avec les fédérations hospitalières, d’une charte en faveur de l’égalité et de la transparence des carrières. L’association a aussi pour projet de développer une charte destinée à favoriser la parité dans la prise de parole lors des congrès scientifiques. Enfin, si la situation sanitaire le permet, Donner des Elles à la santé espère organiser, en 2021, un événement physique afin d’encourager, notamment, les dynamiques de réseau.

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