Handicap : reportage au café Joyeux de Rennes

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Par Angélique Pineau-Hamaguchi

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© et vidéo : Angélique Pineau

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[VIDÉO] Au café Joyeux, les serveurs et les cuisiniers sont en situation de handicap. Un lieu étonnant, d’où les clients repartent eux aussi un peu différents. Reportage à Rennes.

Il a tout du café branché : décoration soignée, produits frais et plats faits maison. À première vue, rien ne le distingue des autres coffee-shops du centre-ville de Rennes. Mais dès qu’on franchit la porte, on est d’abord surpris par l’accueil. « Bonjour, bienvenue au café Joyeux ! » entonnent en cœur les serveurs derrière leur comptoir, le sourire aux lèvres. Lorsque Justine est à la caisse, elle aime bien ajouter « le lieu de la bonne humeur ! » de son air malicieux. Ici, les serveurs et les cuisiniers sont en situation de handicap, mais travaillent en milieu ordinaire.

Au café Joyeux, on passe commande avant d’aller s’asseoir et on vous remet un petit cube de couleur à poser sur votre table en attendant d’être servi. Sans oublier de vous souhaiter de passer « un joyeux moment ».

Il est 12 h 30, les clients – qu’on appelle ici des convives – affluent. Claire, Youenn et Elisa doivent se frayer un chemin pour récupérer les plateaux et, d’un coup d’œil, repérer le cube qui correspond à chaque commande. Un repère visuel indispensable car tous sont porteurs d’un handicap mental ou de troubles cognitifs. Ils sont sept au total, entourés par Antoinette, la manager, et Catherine, la responsable de la cuisine.

Un lieu ouvert sur la ville

Le café est situé en plein cœur de Rennes. Une visibilité qui attire aussi bien les salariés et les commerçants qui travaillent à proximité que les étudiants et les touristes. Et non pas seulement des militants de la question du handicap. C’était le souhait de son fondateur, Yann Bucaille Lanrezac. « J’ai un profond respect pour tous ceux qui travaillent dans les établissements spécialisés, ils font un boulot formidable, mais ce n’est pas mon métier. Je suis un entrepreneur donc je voulais créer un café qui ressemble à tous les autres, ouvert sur la ville et dans lequel tout le monde puisse entrer, y compris par hasard. »

C’est le cas de Zoé et Florentin, âgés d’une vingtaine d’années. Ils cherchaient « un endroit pour se poser et boire un café ». Ils ne connaissaient pas la particularité du lieu, mais en voyant les pâtisseries à travers la vitrine, ils se sont décidés à entrer. Une fois passé le petit effet de surprise, ils se sont vite sentis comme chez eux. « Le fait qu’on vous accueille avec un grand sourire, ça fait du bien. Et tout le monde est aux petits soins. Venir ici, ça donne la pêche pour la journée ! ».

Morgane, elle, a connu le café via un article dans un magazine. Au début, elle a un peu hésité. « À la fois, je trouvais l’initiative super et en même temps, je me disais que c’était dommage de devoir créer ce genre d’endroits pour que les personnes en situation de handicap puissent travailler. Au final, je ne regrette pas d’être venue. C’est bon et il y a une bonne ambiance. »

À lire aussi : Handicap : rencontre avec le fondateur des cafés Joyeux

Notre interview de Yann Bucaille Lanrezac, qui a créé deux cafés où les employés sont en situation de handicap.

Du temps pour apprendre

« Si on veut que les convives reviennent, il faut aussi que le service soit rapide. À l’heure du déjeuner, ils ont besoin d’être servis dans les dix minutes, car la plupart n’ont pas beaucoup de temps pour manger », souligne Catherine, aux manettes de la cuisine. C’est elle qui établit les recettes mais ce sont bien les équipiers qui cuisinent. « Le matin, je dresse la liste des tâches à effectuer. Je leur demande ce qu’ils ont envie de faire et je leur donne des responsabilités en fonction de leurs goûts et de leurs aptitudes. Cécile aime bien découper les légumes et Youenn préparer les pâtisseries au chocolat. Brandon, lui, adore utiliser les appareils… » Pour le four, Catherine a programmé tous les temps de cuisson en fonction des recettes, il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton.

« Leur apprentissage a été progressif et tous ont beaucoup changé depuis leur arrivée. Ils sont plus autonomes et plus à l’aise. Car ce n’est pas évident d’être en contact direct avec le public, estime Antoinette, la manager. Ils sont également plus polyvalents, ce qui évite la monotonie et développe d’autres compétences. On essaie surtout d’être à l’écoute de leurs besoins. » Leur emploi du temps est aménagé en fonction de leur handicap : ils travaillent entre 12 et 35 heures par semaine.

En stage avant de signer un CDI

Avant leur arrivée au café Joyeux, certains étaient scolarisés en institut médico-éducatif (IME) ou travaillaient en établissement et service d'aide par le travail (ESAT). Les autres étaient en recherche d’emploi. Éducateur spécialisé, Grégoire a été chargé de leur recrutement. « On s’est tourné vers des associations, des établissements spécialisés… D’autres personnes sont venues vers nous grâce au bouche-à-oreille. Tous les candidats ont passé un entretien d’embauche. Il servait à vérifier leur motivation et leur intérêt pour la restauration, leur envie d’apprendre mais aussi leur autonomie sociale. Il fallait qu'ils puissent se déplacer facilement pour venir travailler. Car on n’avait pas vocation à créer un nouvel établissement médico-social. Toutefois, le premier critère, c’est qu’ils devaient être joyeux ! »

Tous ont d’abord été en stage avant d’obtenir un CDI. Vianney vient de signer son contrat et il en est très fier. Lui, c’est à la caisse qu’il se sent le mieux. « J’aime bien discuter avec les gens. » « Il est heureux d’aller au travail le matin et content le soir de nous raconter ses anecdotes de la journée. D’ailleurs, il en parle à tout le monde », raconte Marie-Laure, sa mère. Pour elle, « il n’y a rien de plus triste qu’un jeune qui est contraint de rester chez lui à attendre que la journée passe, faute de pouvoir travailler. »

Changer au contact des autres

Antoinette, la manager, a elle aussi l’impression d’avoir changé depuis qu’elle encadre ces sept « joyeux » équipiers. « Ils m’apprennent beaucoup. À relativiser, à ne pas s’occuper du regard des autres et à rester positive quand un client a une mauvaise réaction. Certains sont un peu fermés quand ils arrivent. Puis ils voient notre sourire et souvent repartent avec. »

Il est 14 heures passées. Le café est désormais plus calme. Catherine en profite pour prendre sa pause, Antoinette file dans le bureau ranger quelques dossiers. Pendant ce temps, Vianney et ses collègues plaisantent. Entre ceux qui supportent le Stade rennais, l’OM et le PSG, les blagues fusent. Soudain la musique d’Alexandrie, Alexandra retentit. Finies les rivalités de clubs de foot, tout le monde se met à danser.

Effectivement, ce café est un peu différent des autres. Peut-être y est-on simplement plus «joyeux» qu’ailleurs…

Bientôt d’autres cafés Joyeux

Le café de Rennes a ouvert ses portes en décembre 2017. Trois mois plus tard, un autre café Joyeux est né à Paris, à deux pas de l’Opéra Garnier, dans le IIe arrondissement. D’autres sont en projet et pourraient ouvrir en 2019 à Bordeaux, à Lille et un second à Paris.

Joyeux est une entreprise solidaire d'utilité sociale (ESUS). Aujourd’hui, elle ne fait pas encore de profits, mais il est prévu que ses futurs bénéfices aident à financer des actions caritatives via la fondation Émeraude Solidaire. Et servent aussi à ouvrir de nouveaux cafés Joyeux.

Par Angélique Pineau-Hamaguchi

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