Qui n’a jamais vu, à la fin d’un marché, des fruits et légumes laissés à l’abandon, faute d’avoir trouvé preneur ? Trop mûrs, un peu tâchés ou simplement biscornus, mais encore parfaitement consommables. Si devant un tel gâchis, on est tous révoltés, certains ne se contentent pas de s’indigner. Ils cherchent des alternatives pour valoriser ces produits initialement destinés au rebut.
Né fin 2010, sur le marché de Wazemmes à Lille, le mouvement des Tentes des Glaneurs prend progressivement de l’ampleur. Des associations ont vu le jour à Grenoble, Roubaix, Paris, Marseille, Boulogne-sur-Mer… À Caen, depuis deux ans, chaque dimanche une équipe de bénévoles fait le tour des commerçants du marché Saint-Pierre pour collecter les invendus : des fruits, des légumes, du pain et même des fleurs (le petit plus qui met du baume au cœur).
Une fois triés, ils sont redistribués gratuitement en fin de marché aux personnes qui se présentent sous la tente. Principalement des sans-abri, des familles monoparentales et des retraités, mais également des étudiants et des travailleurs pauvres. Ici, pas de conditions de ressources. « Nous ne leur demandons pas de justificatifs, seulement la composition de leur foyer pour savoir quelle quantité leur donner, et s’ils peuvent ou non cuisiner », indique Christine Duruisseau, l’une des trois femmes à l’origine de l’antenne caennaise.
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Avec ce système, le partage est équitable etchacun bénéficie d’un panachage de produits, contrairement au glanage « sauvage » qui, en plus, génère parfois des bagarres. « Et cela nous semble moins indigne de venir remplir son cabas sous une tente, plutôt que de devoir ramasser des tomates à même le sol ». En prime, des échanges se créent avec les bénévoles et entre les bénéficiaires.
En s’installant sur le marché de gros de Rungis en 2008, l’A.N.D.E.S., le réseau des épiceries solidaires, cherchait lui aussi à diversifier l’alimentation des personnes en situation de précarité. Et à lutter contre une inégalité : les usagers des structures d’aide alimentaire ne mangent pas assez de fruits et légumes. « Tout simplement parce que ces structures en ont très peu. Car il est plus facile de conserver des boîtes de petits pois que des cagettes de poires », explique Guillaume Bapst, le directeur du réseau (lire également le Point de vue).
Depuis, chaque jour, des salariés en insertion récupèrent des palettes retirées de la vente auprès des grossistes de Rungis. En contrepartie, ces derniers réduisent leurs déchets – et donc le montant de la taxe qu’ils ont à payer – et profitent de la défiscalisation liée aux dons aux associations. Sur 100 kg de fruits et légumes sauvés de la poubelle, environ 55 finissent dans les épiceries solidaires du réseau, mais aussi aux Restos du Cœur, dans les banques alimentaires… Revendus 30 centimes le kilo, pour couvrir les frais.
Après cette première expérience à Rungis, d’autres chantiers d’insertion sont nés à Perpignan, Lille, Marseille et récemment à Lyon. Et d’autres sont en projet. L’autre intérêt de la démarche : elle permet de ramener vers l’emploi des personnes qui en étaient éloignées. Les deux tiers d’entre elles trouvent une solution durable à la sortie.
Ce modèle, c’est aussi celui choisi par les Paniers de la Mer. À l’origine de l’idée : un ancien patron de conserverie, également président d’une banque alimentaire. Il constatait que les familles en difficulté ne pouvaient pas s’acheter de poisson alors que, chaque jour sur les criées, des tonnes d’invendus finissaient à la poubelle ou en farines animales. Le premier Panier de la Mer a ouvert en 1997, dans le Finistère. Quatre autres ont suivi, à La Rochelle (actuellement en restructuration), Boulogne-sur-Mer, Lorient et Saint-Malo. Un nouveau devrait voir le jour à Fécamp, cette année. « Nos salariés en insertion sont formés aux métiers du mareyage. Ils apprennent notamment à nettoyer et à découper le poisson.
Une fois surgelé, il peut ensuite être livré aux structures d’aide alimentaire, dans près de 50 départements », indique Hélène Rochet, directrice de la Fédération nationale. En plus de ce qu’ils parviennent à récupérer, les Paniers de la Mer achètent aussi du poisson, afin de garantir une offre constante et diversifiée aux associations et à leurs bénéficiaires. Comme l’A.N.D.E.S. avec les fruits et légumes.
Trois initiatives qui ne prétendent pas éradiquer la faim dans le monde, mais qui contribuent, à leur échelle, à limiter un peu le gâchis.
Le ministère de l’Agriculture a lancé en 2012 un pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire.
Avec un objectif : réduire son volume de moitié d’ici à 2025, en mobilisant tous les acteurs de la chaîne.
Chaque Français jette en moyenne 20 kg de déchets alimentaires par an : 13 kg de restes de repas, fruits et légumes abîmés, pain… Et 7 kg de produits non consommés et encore emballés.
Source : ADEME
Le point de vue de Guillaume Bapst, directeur d’A.N.D.E.S., le réseau des épiceries solidaires
« Ce qu’il faut bien comprendre avec le gaspillage alimentaire, c’est qu’il n’y a pas un seul coupable, ce serait beaucoup trop facile. Il est présent tout au long de la chaîne : du producteur au consommateur, en passant par les intermédiaires.
Il est difficile de pointer du doigt un tel ou un tel. On est tous un peu mauvais élèves. Et il ne sert à rien de culpabiliser les gens. Quand on était enfants et que l’on ne voulait pas finir nos épinards, on nous disait : « il y a des personnes qui aimeraient bien être à ta place ». Avouons que cela ne nous a jamais vraiment convaincus ! Soyons dans la solution plutôt que dans la culpabilisation.
Ainsi, quand on montre à travers nos initiatives que l’on peut éviter en partie ce gâchis, permettre à des personnes de mieux se nourrir et en plus créer de l’emploi, l’accueil est plutôt favorable.
Il y a en fait plusieurs ressorts : parier sur l’intelligence des uns et des autres et sur le côté porte monnaie aussi, car cela coûte de jeter. Et il n’y a pas de bonne ou de mauvaise raison de ne pas le faire, si cela contribue à limiter le gaspillage. »