Coronavirus : « L’état d’esprit général de notre économie est à la solidarité »

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Par Propos recueillis par Patricia Guipponi

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© Jacques Witt – Sipa

L’économiste et essayiste Nicolas Bouzou dirige le cabinet de conseil Asterès. Il porte son regard d’expert sur la crise économique liée à la pandémie. Selon lui, elle bouleverse profondément l’exercice et l’essence même du travail. Une évolution qu’il juge positive.

En quoi cette crise économique se démarque des précédentes ?

Nicolas Bouzou : Nous sommes loin de celle vécue en 1929 ou en 2008. Ces crises étaient générées par le capitalisme. Cette fois, nous sommes face à une épidémie. Et pour protéger la population, on décide un confinement, ce qui a pour conséquence d’arrêter la plus grosse partie des activités économiques. La crise actuelle est créée pour garantir la sécurité de tous. Elle n’est pas consécutive aux déficiences de l’économie.

On met en place des mécanismes pour épargner le plus possible les individus et les entreprises : des dispositifs d’activités partielles, des soutiens aux trésoreries des sociétés… On débloque des aides exceptionnelles comme les primes aux artisans, commerçants, professions libérales qui essuient des chutes de chiffres d’affaires. Tout ceci pour permettre aux salariés et aux employeurs de tenir. Malheureusement, on ne pourra pas éviter des faillites.

Va-t-on pouvoir se relever et rebondir vite ?

N. B. : Ce n’est pas encore prévisible. Plusieurs scénarii se posent. Un rebond rapide suppose que nous sortions du confinement et de la crise sanitaire en même temps que nos partenaires commerciaux. Or, c’est exclu. Nous allons chacun à des rythmes différents. Certains pays importants pour nous, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, n’ont aucune visibilité sanitaire et économique et risquent de mettre du temps pour se relever.

La reprise peut aussi être interrompue par un regain de l’épidémie et donc d’une rechute économique. Ce qui serait le pire des scénarii. Je dirais que l’on s’achemine plutôt vers une reprise lente dans cette dépendance de l’économie à la stratégie sanitaire.

Va-t-on devoir travailler plus dans l’avenir ?

N. B. : Nécessairement car le sujet de l’après crise sera la croissance. On a fait de lourdes dépenses pour pouvoir continuer. On va en faire d’autres tout aussi importantes, notamment pour la santé. Il faut éviter une augmentation des impôts. Ce serait néfaste notamment d’un point de vue psychologique. Ce qui est encourageant, c’est que les partenaires sociaux saisissent toute la mesure de la situation. Nous allons normalement travailler en bonne intelligence.

Le système économique, qui se profile, sera-t-il plus solidaire ?

N. B. : Cette solidarité s’articule déjà naturellement entre les individus et grâce à certaines entreprises qui endossent une responsabilité sociétale de façon formidable. Quand on voit qu’un grand groupe assiste l’État gracieusement en matière d’intelligence artificielle afin d’optimiser les flux dans les hôpitaux, on ne peut que s’en réjouir.

Sans compter ces entrepreneurs qui ont décidé de ne pas mettre leurs employés en chômage partiel mais continuent à les rémunérer. D’autres mettent un point d’honneur à honorer leurs fournisseurs. Or, on voit aussi des entreprises qui décident unilatéralement de ne plus les payer et d’arrêter leurs achats. Elles n’ont pas compris que l’état d’esprit général est à la solidarité. Elles le paieront au niveau de leur réputation.

Notre façon de travailler va-t-elle se modifier ?

N.B. : Oui et c’est une évolution positive. Jusqu’à présent, il nous manquait le sens du travail, l’autonomie des salariés, l’autorité du management, comme je l’ai écrit dans un ouvrage*. Avec cette crise, le travail retrouve sa valeur. Il y a un nouvel esprit d’équipe, plus solidaire. On se serre les coudes. Le salarié prend de l’autonomie car il est en télétravail. Ça concerne le tiers des actifs et ça ne se passe pas trop mal. Les managers redécouvrent une autre façon d’encadrer, dans le bon sens de l’autorité : celle qui élève et non pas l’autoritarisme qui rabaisse.

Par ailleurs, notre perception de certains services et métiers change. On considère autrement les plus modestes, ceux qui sont le plus souvent en première ligne : les employés de caisse, les éboueurs… On reconnaît un sens, une utilité à leur travail. Cette crise a un rôle de révélateur pour cela.

* La comédie (in)humaine de Nicolas Bouzou et Julia De Funès (éditions de L’Observatoire).

Y a-t-il des secteurs économiques qui seront moins impactés ?

N.B. : Les géants du web, les GAFA comme on les surnomme, sont les grands gagnants : Facebook, Google, Netflix… On est dans une économie qui tient par le distanciel. Nos liens sont maintenus grâce au téléphone, aux applications. L’école, les relations familiales, amicales, le télétravail ne passent plus que par les réseaux numériques.

Par Propos recueillis par Patricia Guipponi

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