Dans « Je serai là ! », un infirmier raconte en BD son quotidien en soins palliatifs

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Par Nathania Cahen

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Il est infirmier en soins palliatifs mais aussi auteur de bandes dessinées. Xavier, dit l’homme étoilé (en raison de ses tatouages), raconte et dessine son quotidien et ses patients. Avec une grande tendresse et beaucoup d’humanité, il refait un bout de chemin avec ses héros. Ceux à qui il doit sa vocation, ceux qui l’ont particulièrement touché, ceux qui le font avancer. Son album Je serai là ! vient de remporter le Prix Solidarité 2021.

Au fil des planches et des pages de la bande dessinée Je serai là !*, Xavier l’homme étoilé aborde par touches délicates les questions de la fin de vie, de la mort, de l’euthanasie, de la difficulté pour les proches, parfois aussi pour les soignants, d’accompagner du mieux possible ce temps si précieux. Cette façon sensible et pourtant réaliste d’évoquer les soins palliatifs vaut aujourd’hui à cet infirmier-dessinateur le Prix Solidarité 2021, décerné chaque année conjointement par la Fondation Harmonie Mutuelle et L’Obs.

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Xavier, dit l’homme étoilé (en raison de ses tatouages), raconte et dessine son quotidien et ses patients. Son album Je serai là ! vient de remporter le Prix Solidarité 2021. ©Bruno Coutier

Pourquoi, ce titre, Je serai là !, pour votre bande dessinée qui parle des soins palliatifs ?

Xavier : C’est un peu un écho à l’histoire de Lucie, une patiente que j’ai suivie, lorsque j’étais encore étudiant, dans un service d’hématologie en Belgique. À court d’espoir, elle a demandé l’euthanasie. Deux jours plus tard, elle n’était plus là. Cela m’a semblé très brutal ; en France, Lucie serait partie différemment. La philosophie des soins palliatifs est en effet d’aider à vivre sereinement la fin de vie. L’idée est que, face à l’échec de la médecine, on peut s’engager à être aux côtés, à œuvrer pour plus de confort.

Qui sont les personnages, les héros de ce deuxième opus ?

Xavier : Paulette, Coline, Lucie, Nadiyah, mon grand-père et mon arrière-grand-mère… soit toutes les personnes qui m'ont naturellement mené sur le chemin de la philosophie palliative. Tout a sans doute commencé avec mon arrière-grand-mère Nenenne. L’accompagner a constitué ma première expérience de soins palliatifs. J’avais 11 ans…

Une prise en charge physique, morale et sociale

Quelle est votre définition des soins palliatifs, justement ?

Xavier : Les soins palliatifs, c’est une prise en charge qui se concentre autant sur l’aspect physique que moral et social d’une personne. En ayant à cœur de recréer le lien avec la famille – car il arrive que la violence d’une maladie la fasse exploser. Ce peut être accompagner le retour à la maison dans les meilleures conditions possibles pour les malades comme pour les aidants.

C’est une somme de petits détails, souvent loin du médical. Beaucoup ont le sentiment que pour égayer les derniers jours d’une personne, il faut lui proposer quelque chose d’extraordinaire. Or mettre de la vie tient parfois à peu de choses : une parenthèse musicale, un moment drôle ou tendre, un dessert improvisé… Comme des enquêteurs, nous essayons de trouver quelles cordes faire vibrer chez le patient.

Soigner une personne ne se résume pas à administrer des traitements ou à faire sa toilette.

« Maîtriser les symptômes les plus inconfortables »

Comment parvient-on à tenir lorsqu’on côtoie tous les jours la maladie ou la mort ?

Xavier : Ce n’est pas toujours facile, mais ce n’est pas sinistre non plus. On confond souvent mort et fin de vie. Dans fin de vie, il y a pourtant le mot vie. Notre mission n’est pas de sauver des patients qui ne peuvent pas l’être. Mais d’essayer par exemple de maîtriser les symptômes les plus inconfortables des pathologies dont souffrent les patients. Se soucier de leur moral, de leur bien-être.

C’est une écoute attentive, dont devraient bénéficier les autres étages de l’hôpital. Ce qui est triste, c’est de l’avoir nommé un jour « soins palliatifs ».

Que pensez-vous de l’euthanasie ?

Xavier : La question est complexe, il est malaisé de trancher. Être pour ou contre, c’est arrêter de réfléchir à la question, arrêter de penser que la mort peut être très simple. Mais pour répondre, je ne suis pas fan. On ne peut pas tout demander à l’hôpital : soigner, guérir, accompagner et… tuer. Il faut considérer ce que recouvre la demande d’euthanasie – peur de souffrir, de se dégrader, de devenir un poids pour les autres… Si on rassure, si on explique, souvent la demande disparaît. C’est ce qui est arrivé à Rémi : il pensait que le jour où on lui diagnostiquerait une maladie rare, hop, une piqûre et ce serait fini.

La majorité des patients ignore les droits des malades en fin de vie. La plupart du temps, ils n’ont jamais entendu parler des directives anticipées ou de la sédation prévues par la loi Claeys-Leonetti.

Je crois sincèrement en la médecine palliative, même si elle a encore énormément de chemin à faire en termes de promotion.

Votre quotidien dans un service de soins palliatifs vous a-t-il permis d’apprivoiser la mort ?

Xavier : Non, accompagner la fin de vie n’a pas résolu ma propre inquiétude. Après douze ans d’expérience, cela reste un phénomène assez froid. Et reste la même question : waouh, un truc est parti, c’est quoi ? Je n’ai toujours pas la réponse donc je reste concentré sur la vie. Sur l’urgence à profiter de la vie, de la célébrer, d’en faire quelque chose.

« La philosophie des soins palliatifs est récente en France »

Qu’est-ce qui est le plus dur dans votre travail ?

Xavier : Quand certains scénarios vous échappent. Parfois, tu accompagnes un patient et tu ne vois pas surgir sa fin de vie, inattendue, rapide. C’est difficile de prévenir les proches quand ce n’était pas prévu. L’accompagnement du deuil des proches s’accompagne parfois de circonstances pénibles. Mais ce sont des pages qu’il faut tourner vite, car la vie continue dans le service. Il y a des moments violents, puis d’autres tendres, lumineux. C’est cela notre quotidien.

Dans les services de soins palliatifs, que faudrait-il encore améliorer ?

Xavier : Il faudrait plus de souplesse. En Belgique, ils sont tellement plus rock’n’roll et s’encombrent moins de principes. Quand j’ai évoqué les bienfaits d’une baignoire de balnéothérapie, on m’a répondu : nid à germes !

La philosophie des soins palliatifs est encore récente en France, les services manquent de lits et de personnel formé. Pourtant, il existe un diplôme universitaire.

Avez-vous un mantra, une devise ?

Xavier : Oui, dans un roman à l’eau de rose de Joanna Trollope, une phrase m’a énormément marqué : « Dieu nous a donné des souvenirs pour que nous ayons des roses en hiver ». Cela fait sens, et illustre pour moi le chemin compliqué du deuil.

 * Je serai là !, éditions Calmann-Lévy, janvier 2021, 144 pages.

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