La Voix de l’enfant : Carole Bouquet et Martine Brousse combattent l’enfance maltraitée

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Par Cécile Fratellini

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

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© DR et Getty Images/AFP

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La comédienne Carole Bouquet et la présidente de La Voix de l’enfant, Martine Brousse, sont mobilisées depuis plus de trente ans auprès des enfants victimes de violences. Elles ont coécrit un livre sur le sujet. Entretien croisé.

Il y a une trentaine d’années, vous avez voulu vous engager et trouver un moyen d’être utile. Pourquoi avoir choisi La Voix de l’enfant ?

Carole Bouquet : C’est assez simple. Le film La déchirure m’avait bouleversée et je voulais venir en aide aux enfants au niveau international. J’ai donc lu beaucoup de documentation d’associations, je suis tombée sur celle de Martine Brousse. Quand je suis arrivée dans son bureau, j’étais éberluée. Nous ne pouvions pas discuter, le téléphone n’arrêtait pas de sonner pour des cas de violences chez des enfants… en France. Dès le lendemain, je me suis mise à travailler. J’ai appelé les journalistes car je me suis dit que peu de gens devaient être au courant de la situation.

Qu’avez-vous pensé quand vous avez vu arriver Carole Bouquet dans votre bureau ?

Martine Brousse : Je rentrais juste d’une mission à l’étranger. Je l’ai vécu comme un cadeau pour les enfants, convaincue que si elle s’engageait avec nous elle irait jusqu’au bout. J’ai vu sa curiosité saine de savoir ce que les parents disaient au bout du fil, ce que l’enfant vivait… Elle était très à l’écoute, ne cherchant pas tout de suite à apporter des réponses, des solutions mais en intériorisant ce qu’elle entendait. Au fur et à mesure, il y avait une sidération. Elle m’a dit « Si moi je ne sais pas, alors que je suis une personnalité au contact des médias, comment le grand public peut savoir ». Et son engagement s’est renforcé au fil des années.

Des histoires et des témoignages

Hugo 4 mois et demi, tué sous les coups de son père, Claire 11 ans, victime de viol, Harouna 17 ans qui a fui le Mali pour la France… C’est avec ses histoires vraies que commence le livre de Carole Bouquet et Martine Brousse Enfants maltraités : occupons-nous de ce qui ne nous regarde pas. Dans la seconde partie du livre, des professionnels (procureur, pédiatre, adjudant de gendarmerie…) partagent leur expérience et leur vécu auprès des enfants victimes de violences.

Enfants maltraités : occupons-nous de ce qui ne nous regarde pas par Carole Bouquet et Martine Brousse aux éditions Cherche midi, mai 2019.

Pourquoi avoir écrit ensemble le livre « Enfants maltraités : occupons-nous de ce qui ne nous regarde pas » ?

C. B. : Cela fait 33 ans que je travaille avec Martine. Pour moi, c'était une évidence, c’était mon travail au quotidien. Pendant 15 ans environ, je passais la moitié de mes journées, malgré mes tournages, à travailler pour la Voix de l’enfant. Et même si j’y consacre moins de temps aujourd’hui, c’est toujours un de mes principaux centres d’intérêt. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut abandonner car le problème n’est pas réglé. Le livre est extrêmement simple, nous avons voulu faire parler les autres. Nous avons voulu expliquer la réalité mais ce n’est pas du tout un livre moralisateur.

M. B. : Ce livre est l’aboutissement d’un travail et un peu une révolte car ce n’est pas normal qu’un à deux enfants meurent chaque semaine. Un plan d’action avait été lancé il y a deux ans. Il faut qu’il soit mis en œuvre. Et on sent aujourd’hui que les choses bougent. Nous travaillons étroitement avec Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de la stratégie pour la protection de l’enfance sur les questions de l’enfance en danger. Il a d’ailleurs annoncé la démultiplication des unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques*, le renforcement du 119 (le numéro vert national), l’accompagnement de l’enfant tout au long de la procédure…

Pensez-vous que les mentalités ont évolué et qu’il est plus facile de parler de l’enfance maltraitée ?

C. B. : Oui, mais il y avait beaucoup de progrès à faire, l’enfance maltraitée n’était pas seulement taboue, au début, ce n'était même pas un sujet. On pensait même que j’inventais. On m’a souvent dit : « Il y a des problèmes plus graves comme le chômage par exemple. Mais quel est le rapport ? », leur répondais-je ! Il fallait trouver des solutions et des solutions pérennes. Au début, nous agissions au coup par coup et enfin, en 1999, la première unité d’accueil médico-judiciaire* a vu le jour à Béziers. C’est une évidence aujourd’hui, il en existe 64, mais ça a pris des années.

M. B. : Beaucoup de choses ont été faites mais il y en a encore beaucoup à faire. Les mentalités doivent évoluer. L’enfance maltraitée est une réalité, un fléau de notre société, ça n’arrive pas que chez les autres. Seulement un Français sur quatre appelle le 119 s’il a un doute. Il vaut pourtant mieux se tromper que de ne rien dire. Au nom de l’enfant, au nom de ses droits, nous devons le protéger. Une société qui ne sait pas protéger ses enfants est une société qui va perdre une partie de son avenir.

*L’unité d’accueil médico-judiciaire pédiatrique permet à l’enfant d’être pris en charge et entendu par une équipe pluridisciplinaire dans le service pédiatrique d’un hôpital et non pas à la gendarmerie ou au commissariat.

Le 119 : un numéro unique pour protéger les enfants

780 000 appels ont été traités depuis la création du 119 en 1990 et environ 410 000 enfants ont été pris en charge*. Le 119 est un numéro d’urgence gratuit depuis tous les téléphones en France et dans les départements d’Outre-mer. Il est ouvert 7j/7 et 24h/24. Qui peut appeler ? Les enfants comme les adultes. Ce numéro est dédié à la prévention et à la protection des enfants victimes de violences. « Sur la maltraitance, il faut libérer la parole des enfants et des parents. Le 119 est là aussi pour donner des conseils. Les écoutants sont formés, il y a des psychologues, des travailleurs sociaux… De plus en plus d’enfants appellent ce numéro vert », précise Martine Brousse, vice-présidente du GIPED (groupement d’intérêt public enfance en danger) qui héberge le 119.

*Source : Enfants maltraités : occupons-nous de ce qui ne nous regarde pas.

Après toutes ces années d’engagement, quelle est votre plus grande fierté ?

C. B. : La création d’unité d’accueil médico-judiciaire. La police, la santé et la justice doivent travailler ensemble. À l’époque, nous avions réussi à mettre autour d’une table les ministres de la Défense, de la Justice, de l’Education et de la famille pour qu’ils travaillent ensemble.

Quel serait pour vous le chantier numéro un pour faire avancer les choses ?

M.B. : Aujourd’hui, l’enfance maltraitée est redevenue un sujet, et l’Etat à la volonté d’agir. Il faut une politique cohérente de l’enfance en danger entre l’Etat, les départements et les associations avec des campagnes d’information et de prévention. Car la prévention est primordiale. Plus on prend en charge l’enfant jeune, plus on lui permet de se reconstruire.

Des actions en France mais également à l’international

La Voix de l’enfant intervient dans 103 pays et regroupe 80 associations. En France, la lutte contre les violences faites aux enfants est la priorité. À l’international, la première action est de donner un état-civil à l’enfant. « Un enfant sans état-civil n’a pas d’avenir, n’a pas accès aux soins, à l’école. Il n’existe pas et ne peut pas être protégé. Le point commun entre nos actions en France et à l’étranger, c'est que tout enfant a le droit à son enfance », insiste Martine Brousse, la présidente de La Voix de l’enfant.

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