Road-movie initiatique, « Presque » met en scène la rencontre entre deux hommes embarqués dans un voyage improbable. L’acteur et réalisateur Bernard Campan, ex-membre des Inconnus, et Alexandre Jollien, écrivain et philosophe, ont écrit, dirigé et interprété ensemble ce récit mêlant rencontres, solitude et pardon. Le film sort en salle le mercredi 26 janvier.
Bernard Campan : C’est l’un des thèmes du film et un sujet qui nous anime fortement avec Alexandre. Depuis quelques années, je suis l’enseignement d’un disciple de Swami Prajnanpad*. Dans cet enseignement, il est dit : « Personne ne vit dans le monde, et chacun vit dans son monde. » S’affranchir du jugement de l’autre, c’est tout un cheminement, qui prend certainement toute une vie.
Le jugement fait partie intégrante de nos vies, tout le monde juge et tout le monde est jugé. Dès le premier regard, nous sommes toujours en train de corriger l’autre. La priorité, c’est de prendre conscience de cela, en essayant de vivre avec. Vouloir s’en affranchir trop vite, cela peut être piégeux.
Alexandre Jollien : Justement, on apprend à aimer son corps à travers le regard des autres. Un regard peut nous détruire, un autre peut nous élever. Ce qui m’aide à panser mes plaies, ce sont les regards. Le film est un appel à la solidarité, à la bienveillance, à enlever les masques et à oser.
Je suis ému de l’accueil du film, notamment par les enfants. Lorsque je traverse une cour d’école, parfois j’ai peur de la moquerie, des regards. Et lors d’une avant-première à Bordeaux, des enfants nous ont dit : « On est touchés ». C’était bouleversant.
A. J. : Aristote dit qu’on se perfectionne avec l’ami, parce qu’il est très exigeant. Les bouddhistes nous expliquent aussi que l’ami attend de nous le meilleur, qu’il nous arrache à nos paresses, tout en étant très bienveillant. L’amitié est une base du progrès spirituel.
B. C. : J’ai une crainte terrible de me sentir jugé, ridicule, pas à la hauteur. C’est tellement difficile de s’exposer au regard de l’autre, de l’accepter. Il faut s’entraîner : quand on veut faire du saut en hauteur, on ne met pas tout de suite la barre à deux mètres. S’exercer à recevoir ces micro-jugements, c’est une discipline du quotidien sans en faire un absolu. Un jugement, ce n’est que l’avis de l’autre.
B. C. : Deux amis qui écrivent et tournent un film, c’est une sacrée aventure ! Tout était à découvrir, à apprendre. J’ai demandé de l’aide à notre producteur Philippe Godeau pour nous aider à coréaliser, nous faire des retours et des suggestions. Ainsi, nous avons presque réalisé ce film à trois.
Entre les indications de Philippe et les miennes, il arrivait qu’Alexandre entende différents sons de cloche au niveau de la direction d’acteur. Il nous disait « Vous me demandez deux choses différentes, c’est complètement antinomique ! ». Un acteur va comprendre qu’on essaye différentes choses. Mais pour Alexandre, c’était très difficile d’entendre ce genre d’injonctions de la part d’un ami. Cela lui rappelait ses 17 années d’institution** où tout était choisi pour lui, cela a réveillé une blessure.
A. J. : Si en surface on pouvait être presque en complet désaccord, au fond il y avait une amitié inaltérable. C’est peut-être la grande expérience de cette coréalisation. On peut être en désaccord, cela ne change rien à l’amitié qu’on porte à l’autre.
A. J. : La question de la mort est souvent revenue dans notre amitié. Bernard est arrivé à la spiritualité le jour où il a pris conscience que tout allait finir, que tout passait et que nous allions vers la mort. Nous avons la chance d’avoir pour ami quelqu’un qui exerce vraiment la profession de croque-mort (NDLR : Le personnage de Louis, joué par Bernard Campan, est entrepreneur de pompes funèbres dans le film.). Le voir aussi humain et rayonnant avec les défunts nous a inspirés.
Tout le défi du film était d’incarner un chemin spirituel au cœur d’une vie et le métier de croque-mort offrait ce rapport au tragique, à la souffrance.
B. C. : Ce n’est pas un film sur le handicap, c’est un film qui inclut le handicap. On ne voulait pas trop le souligner, pour avoir le plus de justesse possible. Ce qui nous a amenés, dans certaines situations, à rester en dessous de la réalité. Trop de réalisme aurait pu paraitre un peu forcé.
A. J. : La méditation aide beaucoup. Prendre des temps dans la journée pour laisser passer tout ce qui nous encombre. Le rapport à l’autre, l’amitié est tellement importante dans la construction de soi. Je dirais qu’il y a trois piliers : la pratique spirituelle, être bien entouré et pratiquer la générosité.
Nietzche disait que si l’on pouvait se lever le matin en se demandant qui on pouvait aider, cela changerait nos vies. Je pense que c’est très précieux.
B. C. : La joie n’est pas quelque chose qu’on trouve en claquant des doigts. Ce n’est pas une émotion, mais une sérénité que l’on trouve en soi. C’est une confiance dans la vie elle-même, qu’il faut essayer de bâtir petit à petit, quoi qu’il arrive.
*Swami Prajnanpad est un maître indien contemporain (1891-1974) dont l’enseignement associe la science et la tradition, l’approche matérialiste et spirituelle.
**Atteint d’infirmité motrice cérébrale, Alexandre Jollien a vécu de 3 à 20 ans dans un établissement d’accueil pour personnes handicapées.