Mélissa-Asli Petit : « En voulant protéger les aînés, on les a stigmatisés »

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Par Propos recueillis par Patricia Guipponi

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Le drame des Ehpad pendant la crise de la Covid-19, l’isolement des aînés, leur sécurité au-delà du déconfinement sont des sujets que la sociologue, Mélissa-Asli Petit, spécialiste de la question du vieillissement, passe en revue. Elle revient sur les urgences et les changements à engager dès aujourd’hui.

Mélissa-Asli Petit est docteure en sociologie. Elle dirige Mixing générations, un bureau d'études en sociologie sur les seniors, la silver économie et les âges.

Comment analysez-vous la place laissée aux aînés dans cette crise sanitaire ?

Mélissa-Asli Petit : Les dispositifs économiques et sanitaires mis en place ont devancé la question humaine. On a pris des mesures pour sauver des vies, protéger les plus vulnérables, sans tenir compte de l’avis des principaux concernés. Les aînés n’ont pas été considérés comme des adultes dans la gestion du confinement. Ils ont été infantilisés, vus qu’à travers le statut de personnes vulnérables. On leur a enlevé leur responsabilité comme s’ils avaient perdu la capacité de décider pour et par eux-mêmes.

Des moyens humains et financiers dans les EHPAD

En voulant les protéger, on les a donc exclus ?

M-A. P. : Les plus âgés ne sont pas tous en perte d’autonomie psychique ou physique. La grande majorité des plus de 60/70 ans sont actifs et en forme. Acteurs de cette société, ils ont impulsé des dynamiques.

Certains ont pris la décision de cohabiter durant le confinement et se sont organisés avec les voisins pour les courses. Ils veillaient les uns sur les autres en s’appelant au téléphone. D’autres donnaient des cours à distance à leurs petits-enfants. Certains ont confectionné des masques en tissu pour les habitants de leur commune. Se sentir utiles, participer à l’effort collectif, c’est quelque chose d’essentiel pour les seniors.

Difficile de faire l’impasse sur le drame des Ehpad* quand on évoque les aînés et le coronavirus.

M-A. P. : Tout n’est pas à mettre sur le dos du Covid-19. La crise a mis en évidence des problèmes déjà existants, l’incohérence et le retard de certaines décisions. On n’a pas mis suffisamment d’argent dans la santé. On n’a pas engagé de plan Grand Age et Autonomie quand il le fallait. On a décidé de repousser ces questions fondamentales à plus tard. Sans voir l’urgence.

Ces problématiques restent irrésolues : le financement de la santé, la perte d’autonomie, l’accompagnement… Le rapport El Khomri, rendu en 2019, précise que pour gérer le vieillissement, il faut des moyens financiers, mais aussi humains, du temps, de la formation. Ce dernier point est important car lorsque l’on n’est pas préparé, on va vers toutes sortes de dérives, du système comme des individus.

* Ehpad : établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Les aînés isolés pendant le confinement

La solidarité envers les plus âgés, observée durant la crise sanitaire, n’est-elle pas un point positif ?

M-A. P. : Oui, il y a eu des choses positives pendant le confinement grâce aux solidarités associatives, institutionnelles, individuelles. On a fait preuve d’inventivité dans certains établissements quand, par exemple, on a mis en place des échanges, des activités à distance pour ne pas rompre le lien. On a redécouvert l’importance de la famille. Les outils numériques ont permis de ne pas casser tout contact.

On peut se féliciter aussi du rapport de Jérôme Guedj, en avril 2020, sur l’isolement des aînés en période de confinement, demandé par le ministre de la Santé et des Solidarités. Il avait pour but d’identifier les moyens employés et les acteurs de terrain qui se sont investis dans cette crise auprès des aînés afin de mettre en place un véritable plan de mobilisation nationale. Certains vont dire que c’est de la documentation de plus, or c’est important d’en disposer.

Faut-il vraiment vivre le plus longtemps possible ?

La peur de vieillir s’est-elle encore plus affirmée désormais ?

M-A. P. : C’est un fait. Et le traitement politique du virus n’est qu’une conséquence du traitement sociétal, culturel, économique de la vieillesse, de l’image qu’elle véhicule. On touche à des questions de fond, de société, d’éthique, de spiritualité. Doit-on toujours repousser les limites de la vie ? Qu’est-ce que signifie avoir bien vécu pour chacun d’entre nous ? Que veut-on protéger : la vie ou l’individu ?

Notre société est articulée sur des stéréotypes d’âges. Elle fonctionne dans une mouvance où il faut vivre le plus longtemps possible. Mais a-t-on vraiment envie de parvenir à 150 ans avec un transhumanisme* à outrance ? Sur cette question, il faut prendre en compte la parole des plus âgés, les écouter plus que l’on ne le fait.

* Le transhumanisme est un mouvement qui prône l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer la condition humaine.

Les aînés toujours à distance après le déconfinement

Comment composer entre un retour à la normale et la sécurité des plus vulnérables ?

M-A. P. : Aujourd’hui, nombre de personnes âgées se sentent toujours pénalisées. La plupart de leurs activités quotidiennes, socle de leur lien social et de leur bien-être physique et psychique, n’ont pas repris. La crainte liée à leur âge est toujours présente, de même que la peur du contact physique avec les proches, du toucher…

On a tous vécu une expérience unique de confinement. Cela nous a amenés à mieux comprendre l’isolement, à organiser la solidarité. Mais cela n’empêche pas le rejet et les préjugés. Une personne âgée m’a confié que les siens la maintenaient toujours à distance car elle était jugée trop vieille, donc à risque. Alors comment protéger nos aînés ? Peut-être en arrêtant de les stigmatiser et en les incluant dans des solutions non pas faites spécifiquement pour eux mais avec eux, et dont chacun d’entre nous bénéficie.

Quelles leçons tirer de cette prise en charge des aînés pendant le confinement ?

M-A. P. : La responsabilité de notre monde d’aujourd’hui est politique et citoyenne. La loi Grand Age et autonomie devrait vite être engagée. Il faut promouvoir des lieux de vie différents en sortant du modèle binaire « tout Ehpad et tout domicile », et proposer des modèles qui correspondent à tous les individus.

Le vieillissement ne commence pas quand on se casse le col du fémur. Ça s’expérimente tout jeune. À partir du moment où on arrêtera les idées reçues sur les âges, on aura évolué. C’est à nous de définir vers quelle société on veut tendre.

Par Propos recueillis par Patricia Guipponi

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