Précarité menstruelle : « Un effort de solidarité nationale doit être fait pour la prise en charge des protections hygiéniques »

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Par Patricia Guipponi

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Les protections périodiques représentent un coût important pour certaines femmes. Elles doivent parfois choisir entre la nourriture et leur hygiène. Ce qui peut mettre en péril leur santé. Le docteur Thierry Harvey revient sur la question d’une possible gratuité des serviettes et autres tampons.

Thierry Harvey est gynécologue-obstétricien à la maternité des Diaconesses à Paris. C’est aussi le président du réseau de santé périnatal parisien et de Solidarité Paris Maman (Solipam). Il a fait de la précarité menstruelle l’un de ses combats de médecin et d’homme engagé dans la protection des femmes.

Comment considérez-vous le problème de la précarité menstruelle ?

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Dr Thierry Harvey-DR

Dr. Thierry Harvey : Les femmes sont obligées d’avoir une certaine hygiène du fait de leurs règles. Il faut pour cela disposer de serviettes ou de culottes hygiéniques, de tampons ou encore de cups*. Ça coûte de l’argent tous les mois et c’est un lourd budget pour certaines d’entre elles : les SDF, les étudiantes, les personnes à revenus très modestes… Alors, faute de mieux, elles utilisent de l’essuie-tout, du papier toilette, un bout de chiffon… Elles se débrouillent avec les moyens du bord. La priorité, c’est d’avoir un toit, de manger. Ensuite, vient l’hygiène quand cela est possible.
La précarité menstruelle touche environ 1,7 million de personnes. On se retrouve face à des situations graves. C’est le cas quand une femme n’a pas les moyens de se changer et garde un tampon plus de dix heures au risque de devoir se présenter aux urgences pour un syndrome infectieux, dont un choc toxique**, maladie parfois mortelle. C’est inouï ! On ne peut pas laisser faire cela. On se doit de protéger les femmes, de bien les traiter si l’on veut que cette société tourne rond.

« Les règles n’intéressent pas le mâle alpha »

Comment expliquez-vous que ce soit un problème si actuel ?

T.H. : La situation économique générale ne s’arrange pas et ça complique la donne. Cela tient également au fait que les règles restent un sujet tabou. Elles sont associées à l’impureté dans les Ecritures Saintes, pour les religieux, que ce soit chez les Juifs, les Musulmans ou encore les Chrétiens. Avec tout ce que ça comporte comme légendes et idées reçues. Il fut un temps où l’on prétendait que féconder une femme pendant ses règles donnait un enfant roux. Une malédiction. Foutaise ! Certains mythes perdurent malheureusement.
C’est un sujet qui n’intéresse que les femmes et pas le mâle alpha. Il ne veut pas s’enquiquiner avec ça. Or, ce ne sont pas ces messieurs qui se retrouvent tous les mois avec les règles à gérer, les inconvénients, les douleurs et les dépenses que cela entraîne. Ce ne sont pas eux qui gèrent les possibles fuites. Mais il faut qu’ils comprennent que les règles, c’est naturel. C’est la suite de l’ovulation. Ça fait partie de la vie. Et il ne faut pas oublier que les femmes, dont font partie leurs mères, risquent la leur pour la donner. Il faut lever le tabou des règles !

« Les solutions de prise en charge doivent être égalitaires »

Quelle serait la solution à suivre pour combattre cette précarité menstruelle ?

T.H. : À partir du moment où ça coûte de l’argent et prive certaines personnes, la société doit s’interroger et être solidaire. On aide bien les tabagiques à se sevrer alors pourquoi on ne donnerait pas un coup de main aux femmes, à celles qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, aux étudiantes sans le sou ?
Je suis totalement pour la prise en charge sociétale des protections périodiques. En tout cas pour les gens qui ont de faibles revenus. C’est un effort de solidarité nationale comme cela est le cas pour la contraception orale ou l’IVG. Comment ? Où ? À quel moment ? Par bons d’achat ? C’est à réfléchir. Certains établissements de santé, comme la maternité où j’officie, mettent à disposition gracieusement des protections périodiques.
Il y a des solutions mais il faut qu’elles soient égalitaires. Et il ne faut pas abuser de la situation. L’argent que concède la société pour l’achat de protections hygiéniques ne doit pas être employé à autre chose. C’est pour se protéger des règles et pas pour acheter un paquet de cigarettes ou le dernier téléphone à la mode. Cette réalité existe malheureusement. Certains préfèrent sacrifier leur hygiène et leur santé pour de la futilité matérielle ou pour se mettre en danger avec le tabac. La santé est une question de priorité certes mais aussi de bon sens.

*Ou coupes mensuelles, alternatives réutilisables aux protections classiques, que l’on place à l’intérieur du vagin.
**L’accumulation du sang dans le vagin durant de longues heures va favoriser la prolifération de bactéries, dont le Staphylococcus aureus, qui sécrète une toxine. En se diffusant dans l’organisme via la circulation sanguine, cette toxine peut s’attaquer aux organes tels que le foie, les reins, les poumons… En règle générale, un tampon doit être changé toutes les 4 à 6 heures. Une cup doit être vidée et nettoyée toutes les 8 heures.

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