« C’est dans le regard des autres que le handicap prend naissance »

Publié le

Par Cécile Fratellini

Temps de lecture estimé 5 minute(s)

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© @Facebook.com/extralouise

Caroline Boudet raconte dans un livre émouvant la naissance de sa fille porteuse de trisomie 21 et le chemin parcouru depuis. Rencontre.

Tout commence par un petit message* posté sur Facebook pour faire réagir « un peu ». Dans les heures qui suivent, il a fait le tour du monde, comment l’avez-vous vécu ?

Caroline Boudet : J’ai été surprise, au mieux je pensais toucher des amis d’amis. En trois jours, nous avons reçu des centaines de messages, c’était incroyable. Si on montre parfois les excès négatifs des réseaux sociaux, ils ont aussi un potentiel positif de solidarité. Aujourd’hui, 25 000 personnes suivent Louise sur Facebook. Alors que quand elle est née, je me disais : « elle n’aura pas d’amis », « les gens vont se moquer d’elle »…  Alors, certes, cela ne donne pas toutes les solutions sur le « comment elle va vivre dans la société » mais ça aide à changer le regard des autres.

 

Vous dites d’ailleurs que l’on devrait tous avoir le regard d’un enfant de 4 ans, sans préjugé.

C.B. : C’est vrai et si j’avais été confronté moi-même au handicap, j’aurais eu moins d’a priori sur la trisomie. C’est pour cela que les enfants en situation de handicap doivent être accueillis dans les crèches, à l’école. Si on commence tôt, il y aura moins de préjugés ensuite. Louise va à la crèche où cela se passe très bien. Elle aime la vie en collectivité et est stimulée par les autres. Nous discutons beaucoup avec l’équipe encadrante en leur expliquant par exemple que notre fille n’est pas fragile et qu’il ne faut pas la surprotéger. Nous dialoguons car c’est l’incompréhension et la peur qui génèrent des problèmes. C’est dans le regard des autres et la comparaison que le handicap prend naissance. Quand nous sommes dans notre cercle familial, nous oublions le handicap. Ce qui nous le rappelle, c’est quand nous voyons ce que d’autres enfants de son âge sont capables de faire. Nous savons qu’elle le fera un jour, cela prend juste plus de temps.

 

Aujourd’hui, avez-vous encore l’impression parfois de vivre « à demi » à cause de ce chromosome en trop ?

C.B. : Non, c’est fini. Au départ, cela a été très difficile, il fallait accuser le coup de cette nouvelle. Même si au niveau médical, nous avons été très bien accompagnés. Mais même la définition du handicap vous met en difficulté par rapport aux autres, il y a quelque chose en plus ou en moins. Désormais c’est intégré dans notre vie. J’ai passé la phase de l’acceptation. Les messages et le livre m’ont sûrement aidée à aller plus vite. J’ai également été accompagnée par un psychologue.

 

Vous dites que vous n’êtes pas une mère courage, juste une mère.

C.B. : Quand je rencontre quelqu’un qui me dit « je vous admire », pour moi ce n’est pas du courage, je ne suis pas exceptionnelle. On fait avec. Pour moi, le courage, c’est prendre une position que l’on a le choix de prendre.

 

Dans votre livre, vous écrivez « C’est toujours Louise qui m’a soignée de sa trisomie », c’est encore vrai ?

C.B. : Oh oui ! Dans les moments de découragement, il suffit de se recentrer sur elle, elle vit sa vie et nous ramène vers l’essentiel. Elle est sereine, sa trisomie n’est pas un problème pour elle.

 

Votre livre n’est pas une fin en soi ?

C.B. : Non. Au départ, j’avais un but, je me disais que chaque personne qui lirait le livre serait bienveillante envers Louise. Aujourd’hui, je fais des rencontres pleines d’espoir avec des lecteurs et avec des familles de jeunes porteurs de trisomie 21. Cela m’aide beaucoup. Et plus on médiatise, plus le regard des gens va changer. On ne va pas s’arrêter là, on va continuer. On a l’impression d’être utile. Et dans dix ans, je voudrais que ce soit anodin de voir un enfant trisomique dans une publicité.

 

* Message paru sur Facebook : Les mots sont importants.

Elle, c’est ma fille. Louise. Qui a quatre mois, deux bras, deux jambes, de bonnes grosses joues et un chromosome en plus. S’il vous plaît, quand vous rencontrez une Louise, ne demandez pas à sa mère : « Ça n’a pas été dépisté pendant la grossesse ? » Soit ça l’a été et la décision de « garder l’enfant » est assumée, soit ça ne l’a pas été et la surprise a été assez importante pour ne pas revenir dessus. En plus, toute mère à une fâcheuse tendance à culpabiliser sur tout et n’importe quoi, alors un chromosome en plus passé inaperçu, je ne vous explique pas.

Ne dites pas à sa mère : « C’est votre bébé malgré tout. » Non. C’est mon bébé, point. Et « malgrétout », c’est moche comme prénom, je préfère largement Louise.

Ne dites pas à sa mère : « Comme c’est une petite trisomique… etc. » Non. C’est une petite trisomique… etc. » Non. C’est une petite âgée de quatre mois qui est atteinte de trisomie, ou qui a une trisomie, comme vous voulez. Ce 47e chromosome n’est pas ce qu’elle EST, c’est ce qu’elle A. Vous ne diriez pas : « Comme c’est une petite cancéreuse… etc. »

Ne dites pas : « Ils sont comme ci, ils sont comme ça. » « Ils » ont tous leur caractère, leur physique, leurs goûts, leur parcours. Ils sont aussi différents entre eux que vous l’êtes de votre voisin.

Je sais que, quand on ne le vit pas, on ne le pense pas, mais les mots importent. Ils peuvent réconforter ou blesser. Alors, pensez-y juste une petite seconde, surtout si vous faites partie du corps médical et portez une blouse blanche, rose ou verte.

Car des « mamans de Louise », il y en a 500 nouvelles par an qui se font gâcher une journée par des mots malheureux. Je sais que ce n’est pas fait pour blesser. Il suffit de le savoir.

 

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