Résilience : rebondir après l’épreuve

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Par Christine Roques

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

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Décès brutal d’un proche, handicap, violence ou encore abus sexuels, victimes d’attentat… Nous pouvons tous, un jour, être confrontés à un événement traumatisant. Comment le surmonter et se reconstruire, en un mot faire acte de résilience ? Décryptage.

Reprendre sa vie en main après une épreuve, poursuivre sa route après avoir perdu une partie de son autonomie, un être cher ou avoir dû, pendant des années, faire face à un enchaînement de douleurs ne se décrète pas. Ce processus de reconstruction porte un nom : la résilience. Ce cheminement, plus ou moins long selon les personnes, la nature et l’ampleur du ou des traumatismes subis, obéit à des règles précises. Et fait, depuis plusieurs décennies, l’objet de multiples études.

Un processus longtemps ignoré

Les premiers travaux sur la résilience remontent au début des années 1980. La psychologue américaine Emmy Werner emploie alors ce terme (du latin resalire, « resauter ») pour qualifier la capacité à rebondir d’anciens enfants des rues d’Hawaï qu’elle avait accompagnés 30 ans plus tôt.

En France, c’est Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, qui a grandement contribué à mettre en lumière ces mécanismes à partir du début des années 1990. « Dans nos cultures latines, la “résilience” désignait seulement la capacité de la nature, faune et flore, après un incendie par exemple, à réapparaître, mais sous des formes différentes, explique Boris Cyrulnik. On n’en parlait pas pour les hommes. Face à un traumatisme, la norme était de se résigner. Les multiples travaux menés depuis plus de 20 ans ont permis de donner à la résilience le même sens partout, dans toutes les cultures et pour toutes les populations ».

Guerre, terrorisme, accidents de la vie, maltraitance, mais aussi circonstances plus quotidiennes : ces événements peuvent, selon chacun, représenter ou non un traumatisme et nécessiter la mise en œuvre d’un processus de résilience. « Seul le patient sait qu’il a subi un traumatisme, reprend Boris Cyrulnik. Les mêmes événements affectent différemment les personnes : ce qui abat l’une peut être surmonté plus facilement par l’autre. Parfois aussi, on supporte plusieurs chocs successifs, et un jour survient la goutte d’eau de trop. C’est notamment le cas pour les policiers, gendarmes, militaires, pompiers ou encore soignants. Confrontés au quotidien à des situations difficiles, ils peuvent, à un moment ou un autre, souffrir de ce que l’on appelle un traumatisme par compassion. »

Accepter le traumatisme

Mais quel que soit le déclencheur du traumatisme, la première étape, le préalable indispensable à la reconstruction, c’est de l’accepter. Comprendre que rien ne sera plus comme avant. Cette prise de conscience peut se faire par étapes, comme ce fut le cas pour Louis Derungs*. En 2013, à 19 ans, à la suite d’un accident électrique, il est amputé des deux bras. « L’annonce, au sortir du coma, plonge immédiatement dans l’après. Mais c’est sur la durée, lorsque la clinique remplace les soins intensifs, puis au moment de rentrer chez moi que j’ai pris petit à petit acte des choses que je ne pourrai plus faire, de tout ce qui sera différent. »

La stupeur des premiers instants laisse souvent place à un temps de repli, entre déni et refuge dans les rêves. « C’est, notamment pour les jeunes enfants, une sorte de légitime défense, constate Boris Cyrulnik. Mais nier un traumatisme empêche de le surmonter. Ce travail de résilience peut donc démarrer des années après le trauma. Et pendant tout ce temps, on reste prisonnier du passé. »

Pour Louis Derungs, renoncer n’était pas une option. « J’étais mort, et la vie me donnait une seconde chance. Changer le passé est impossible. Alors, je me suis efforcé de prendre un maximum de recul. Retrouver indépendance et autonomie s’apparentait à un long voyage, que j’ai fractionné en grandes étapes : me laver seul, cuisiner seul, communiquer avec le monde extérieur… J’ai divisé ces étapes en petits objectifs quotidiens, synonymes d’autant de victoires. Je me suis efforcé d’être rigoureux, d’aller toujours plus loin à la manière d’un sportif. Sans en avoir conscience, nous nous imposons des limites. Prendre conscience de notre potentiel, de tout ce que nous avons encore à vivre est impératif. »

* Louis Derungs est hypnothérapeute. Il est l’auteur de 15 000 volts, une méthode pour s’accomplir aux éditions Favre.

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Se reconstruire

Presque toujours, la résilience nous amène à voir les choses autrement : en nous rapprochant des autres, en développant des talents artistiques, en changeant d’orientation professionnelle, et surtout en ne perdant plus une minute du temps qu’il nous reste. Journaliste, Claire Aubé** donne la parole, dans son livre, à 12 témoins ayant traversé des drames aussi divers que la maladie, un deuil ou des années de harcèlement. « Tous portent maintenant un regard différent sur eux-mêmes, sur les autres et sur la vie en général. Leur résilience les a amenés à relever des défis, à multiplier les performances sportives ou encore à changer de métier, pour mener une existence qui leur ressemble davantage. »

À l’image de Louis Derungs : « Je suis devenu hypnothérapeute. J’interviens auprès de personnes confrontées à des problèmes professionnels, en surpoids ou souhaitant gagner en endurance, par exemple. En lien avec un pédopsychiatre, j’aide aussi des enfants à surmonter leurs phobies, leurs angoisses. Mon envie de partager, d’acquérir des connaissances supplémentaires est sans limite. »

** Claire Aubé est journaliste et praticienne en relation d’aide. Elle est l’auteure de Se relever après une épreuve - 12 histoires vraies de résilience et d’espoir, aux éditions Leduc.

À lire aussi : Claire Aubé : « Se relever après une épreuve »

Notre entretien avec cette journaliste qui a recueilli les témoignages de 12 femmes et hommes qui ont réussi à surmonter un drame.

Tous égaux face à l’épreuve ?

Si Louis Derungs a entrepris seul son travail de résilience, un accompagnement est fortement conseillé. « Cet accompagnement, cette présence affective, ajoute Boris Cyrulnik, peut venir de l’entourage – du conjoint, de la mère pour un enfant –, d’un psychothérapeute ou même, comme ce fut le cas pour nombre d’enfants des favelas brésiliennes, d’un éducateur sportif ou d’un artiste de rue ».

La capacité de résilience est néanmoins propre à chacun d’entre nous. Car c’est avant le traumatisme que l’on acquiert les moyens d’y faire face : notre capacité à mettre en mots ce que nous ressentons, et la qualité de nos « attachements sécures », ces liens de confiance avec les autres (famille, amis, etc.) qui nous rassurent sur notre aptitude à nous défendre.

Pouvons-nous pour autant développer notre capacité de résilience pour mieux anticiper un choc ? Renforcer sa confiance en soi, entretenir des liens profonds avec d’autres personnes, considérer les crises de la vie comme des étapes nécessaires, ne pas craindre les changements : les solutions reposent en chacun de nous.

À lire aussi : Témoignage : « Il y a un avant et un après la tragédie »

Le récit de Nadège Carletti, puéricultrice à l’hôpital Lenval de Nice, de service au moment de l’attentat du 14 juillet 2016.

Mieux accompagner les victimes d’attentat

Vingt-trois mesures ont été décidées, en avril 2017, pour mieux accompagner les victimes d’attentats et leurs proches. Y figuraient notamment la création d’un guichet unique d’information, l’amélioration de la prise en charge psychologique et le renforcement de la formation des personnels de santé. Le 9 août 2017, la magistrate Élisabeth Pelsez s’est vue confier la responsabilité d’une délégation interministérielle destinée à poursuivre l’action gouvernementale sur le sujet.

Le guichet unique d’information : www.gouvernement.fr/guide-victimes

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