[TRIBUNE] La solidarité : essentielle, moderne mais fragile (ESS France)

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Par Jérôme Saddier

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Essentiel Santé Magazine a demandé à des personnalités engagées quel regard elles portaient sur la solidarité aujourd’hui. Voici la réponse de Jérôme Saddier, président d’ESS France (la Chambre française de l’économie sociale et solidaire).

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Jérôme Saddier

La solidarité est tout à la fois une valeur, une technique et un principe. À ces trois titres, elle peut donc être considérée comme essentielle et moderne, mais aussi fragile et compromise par d’autres logiques.

Elle est d’abord une valeur individuelle fondée sur la reconnaissance et la considération de l’autre, qui peut motiver chacun dans ses raisonnements et ses actions. En ce sens, elle ne constitue sans doute pas un instinct naturel, mais elle se construit par l’éducation, la culture et les interactions sociales : le « solidaire » est alors le contraire du « solitaire ».

Le socle de notre « contrat social »

La solidarité est aussi une technique d’assurance pour asseoir sur une assiette large la couverture des risques que l’on envisage de prendre en charge : plus il y a de cotisants et de profils différents, mieux on sera protégé grâce à la stabilité des ressources et à la mutualisation des risques. Il s’agit alors à la fois de recourir à un financement solidaire, et de mettre en pratique une égalité de droits, ce qui amène assez naturellement à se doter d’une organisation délibérative et démocratique pour convenir des modalités.

Elle est enfin et surtout un principe politique qui permet d’organiser la constitution de droits et libertés communes en répartissant la charge de leur financement. Nous parlons alors du « contrat social » par lequel chacun s’engage à contribuer en proportion de ses moyens à des politiques publiques dans l’intérêt de la communauté, et à permettre à chacun d’accéder aux moyens indispensables à l’émancipation, à la dignité et à la citoyenneté (éducation, logement, transports, soins, retraite…). La solidarité permet alors d’utiliser les ressources sociales pour constituer des libertés communes, protéger les plus fragiles et garantir la justice sociale.

Une vision durablement solidaire de l’ESS

On voit bien que l’exaltation de l’individu, mais aussi les excès de la société de concurrence dans laquelle nous vivons, ne permettent pas ou plus d’assumer pleinement la solidarité en tant que projet politique, celui qui reconnaît d’abord des libertés communes et non pas seulement des droits individuels. La Sécurité sociale de 1945 a ainsi été progressivement vidée de son sens initial par l’action des gouvernements successifs et des corporatismes, en fragmentant les droits collectifs et leur financement, et en renvoyant progressivement à la responsabilité individuelle. Or, à trop individualiser, on délégitime le collectif et on fragilise la dimension émancipatrice de la solidarité.

Il reste alors la technique, dont le mutualisme en assurance est une illustration encore vivace quoique fragmentée au vu de la normalisation engagée des mutuelles dans la protection sociale.

Il y a encore un espoir, à travers les organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS), pour reconquérir le projet politique. Mais il faudra alors lutter pour ne plus subir les logiques contraires, ne pas seulement raisonner en termes de « business », et assumer une vision durablement solidaire face aux enjeux de la transition globale et planétaire.

Jérôme Saddier, président d’ESS France

ESS France

La Chambre française de l’économie sociale et solidaire a été instituée par la loi ESS de juillet 2014. Encore appelée ESS France, elle assure la représentation de l'économie sociale et solidaire au niveau national et contribue à la faire connaître auprès des pouvoirs publics et des citoyens. Cette économie regroupe les associations, les coopératives, les fondations, les mutuelles et les sociétés commerciales à utilité sociale. Soit au total plus de 220 000 structures en France, qui emploient près de 2,4 millions de salariés.

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